Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

Claudine Herbomel, née Burinovici

ancienne élève du lycée Edgar Quinet, enfant cachée, témoigne
mardi 1er mars 2005

Le 24 septembre 1942, Claudine se sauve avec son petit frère dans les bras
...« j’ai trouvé sur mon chemin des gens admirables qui, au risque de leur vie et en toute simplicité, nous ont cachés, nourris, sauvés, et envers qui j’ai une gratitude et une reconnaissance infinie. »

ENFANTS CACHES 1942-1944, témoignage de Claudine Herbomel devant les élèves du lycée Edgar Quinet.

C’est avec beaucoup d’émotion que je me retrouve aujourd’hui devant vous. J’étais élève à Edgar Quinet en 1941, parmi huit autres de mes compagnes qui portions l’étoile jaune cousue sur notre poitrine comme signe d’infamie puisque nous étions « Juives » et qu’il fallait que cela se sache ! Cette mesure s’accompagnait de mesures restrictives comme l’interdiction d’aller dans les parcs, les musées, les cinémas, nous devions prendre le dernier wagon du métro, et aller dans les magasins seulement entre deux et quatre heures de l’après midi. Les conditions n’étaient pas très favorables pour que nous nous intéressions vraiment à nos études.
C’est d’abord avec des yeux étonnés qu’élèves et professeurs nous regardèrent, puis ce fut l’indifférence.

Les premières rafles eurent lieu en juillet 1942 (rafle du Vél’ d’hiv’) : c’est là que nous avons vu les premiers camions emmener ces pauvres familles, hommes, femmes enfants, bébés, vieillards, d’abord à Drancy puis vers les camps de la mort.
Ce fut la rupture définitive avec mes études, avec l’enfance, l’adolescence !

J’habitais à Montmartre avec ma mère et un petit frère de deux ans, mon frère aîné de 17 ans était parti au maquis, mon père nous avait laissées.
Le 24 septembre 1942, à l’aube, vers 5 heures du matin, j’entends crier mon nom par la fenêtre ; c’est une amie qui nous prévient qu’une nouvelle rafle a commencé et que c’est notre tour d’être « pris ». Prise de panique je supplie ma mère de partir, mais elle me dit qu’elle doit prendre le temps de préparer des vêtements pour le bébé, et des biberons, alors je lui arrache mon petit frère des bras et je lui demande de nous laisser partir en premier tous les deux.
Je dévale l’escalier, à mi-chemin je rencontre trois inspecteurs français : ils viennent vers nous. Alors en une fraction de seconde un affreux dilemme se pose à moi : je remonte pour retrouver maman ou je continue ? Et malgré moi une force me pousse à continuer ma descente, les inspecteurs français heureusement n’ont pas pensé que nous faisions partie de ceux qu’ils étaient venus chercher.
J’ai treize ans et demi, je suis partie pour trois années d’errance.
Je suis devant vous aujourd’hui pour vous dire que s’il y a eu des Français assez vils pour faire de bien sales besognes, (dénonciations, arrestations etc…) j’ai trouvé sur mon chemin des gens admirables qui, au risque de leur vie et en toute simplicité, nous ont cachés, nourris, sauvés, et envers qui j’ai une gratitude et une reconnaissance infinie.

Après l’arrestation de ma mère, suivie de celle de ma grand-mère de mes oncles, de mes tantes, cousins, cousines, tous partis, tous gazés à Auschwitz, nous avons été cachés tous les deux chez des amis, puis nous avons pris le train pur essayer d’aller en « zone libre ». A Angoulême, une des villes qui longeait la ligne dite de démarcation, sur le quai des soldats allemands vérifiaient les papiers de tous les voyageurs, et je n’avais évidemment pas de papiers puisque j’avais jeté ma carte d’identité sur laquelle était apposé le mot « Juif ». Et là une dame qui avait tout compris me prend par les épaules, tient la main de mon petit frère et passe tranquillement devant les soldats en leur disant : « ces enfants font partie de ma famille », et nous passons. Cette dame a été le premier maillon d’une chaîne formidable.

Passés de l’autre côté de la ligne, j’ai frappé à la première porte d’un petit village, la fermière nous a immédiatement fait entrer, a donné du lait au bébé, et nous a hébergés. Puis, de charrette en charrette, cachés sous une couverture, nous avons continué à fuir puisque hélas le sort des Juifs devenait semblable dans les deux zones de la France.

Pour mieux être protégés, nous nous sommes séparés, mon petit frère et moi. Du département de la Vienne où nous avions trouvé refuge, chez des gens très simples qui ne savaient pas à vrai dire ce que voulait dire le mot « Juif », et qui ne comprenaient pas ce qu’on nous voulait, nous avions fini par échouer dans le Tarn et Garonne, près de Montauban.
Malheureusement pour nous la Division allemande des Waffen S.S. allait bientôt en faire son quartier général.

Et là aussi, la population juive, bientôt recensée à nouveau fut l’objet de rafles journalières.
Quelques-unes une d’entre nous dont je fais partie, ont été toujours prévenus à temps et cachés dans des granges, des caves, des greniers, des bois. Mon petit frère placé chez une nourrice, j’ai d’abord été cachée dans une écurie où se trouvaient 5 ou 6 chevaux attachés, dans le noir le plus complet, avec le bruit incessant des sabots sur le sol. Au petit matin des gens, (je n’ai jamais su), se relaient pour me déposer de la nourriture. Et puis, je ne sais au bout de combien de temps, je suis sortie, j’avais trop peur.

Alors des religieuses du petit couvent du village m’ont recueillie.
C’était des femmes étonnantes, d’une grande gentillesse, gaies. C’était un havre de paix, le premier, puis elles ont tout fait pour m’envoyer dans le cloître de Montauban.
De cet endroit je garde un souvenir d’une grande émotion : il y avait des sœurs cloîtrées qui s’occupaient d’orphelins et qui en profitaient pour prendre des enfants juifs et les cacher ; Sans jamais chercher à nous cathéchiser, ni à peser en rien sur nous, elles nous ont entourés d’amour, de bonté, de sérénité ? Je me souviens qu’un jour des soldats allemands sont venus pour vérifier l’état civil des enfants, je ne sais ce qu’elles leur ont dit, mais ils sont repartis et notre peur au ventre s’est envolée.

L’évêque de Montauban, Monseigneur Théas, haute figure de la résistance, était en liaison avec ces religieuses. Je devais me rendre chez lui car il avait pour secrétaire pour secrétaire une jeune fille, Melle GINESTE que j’ai retrouvée en lisant le livre des « JUSTES » de Lucien
Lazare. Elle travaillait également à la mairie et grâce à son accès aux tampons, lui procurait de faux papiers pour nous. Hélas, ce jour même, il a été dénoncé par un curé. Revêtu de sa plus belle soutane blanche, il s’est laissé arrêter et fut envoyé à Compiègne pour avoir sauvé beaucoup de monde.

Je voudrais dire et redire à tous qu’en parlant ces dernières années avec des personnes qui ont subi ces épreuves, toutes avaient le même souvenir de gens admirables qui n’avaient qu’une seule idée, faire que nous puissions tout simplement vivre, à leurs risques et périls mais parce que cela leur paraissait tout naturel. Jamais nous ne les oublierons.

Bien sûr, nos épreuves n’ont rien de comparable avec celles de tous ceux qui ont été déportés, qui sont morts dans d’atroces souffrances, ceux qui sont revenus à jamais marqués dans leur âme et dans leur chair, et nous nous sentons souvent victimes, honteuses d’avoir échappé au pire, mais nous avons appris au moins une chose, c’est que l’humanité entière ne peut être taxée d’horreur et qu’il y des gens formidables et je les en remercie du fond du cœur.

Claudine Herbomel, ancienne élève du lycée Edgar Quinet.

Claudine Burinovici-Herbomel est l’auteur d’Une enfance traquée, préface de Serge Klarsfeld, éditions L’improviste, 2001

voir le site de Radio France sur les enfants cachés :
http://www.parolesetoiles.com/index.php
Claudine a été enregistrée par l’INA :
https://entretiens.ina.fr/memoires-de-la-shoah/Herbomel/claudine-burinovici-herbomel

Carte postale du 26 septembre 1942, envoyée de Drancy par Suzanne Burinovici, la mère de Claudine Herbomel, avant sa déportation à Auschwitz. Cette carte a été déposée au musée du Mémorial à la mémoire des Juifs d’Europe assassinés à Berlin.

carte de la mère de Claudine (Quinette), photo Claude Dumond, Berlin Mémorial
carte envoyée de Drancy

Le site du Mémorial :
http://www.stiftung-denkmal.de/startseite.html

N.B.
Le port obligatoire de l’étoile jaune est imposé aux Juifs de la zone occupée, en application de la 8° ordonnance du 29 mai 1942. Les étoiles jaunes sont délivrées dans les commissariats de police.
Le 7 juin 1942, premier jour du port de l’étoile jaune.

Claudine Burinovici-Herbomel, témoigne avec Madeleine, ancienne élève du lycée
Madeleine Kahn, ancienne élève du lycée Edgar Quinet

Claudine et Madeleine

Claudine et Madeleine
enfants cachées, témoignent au lycée Edgar Quinet

notes N.M. 


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