Famille Steinberg, Germain, 49 ans, Germaine, 47 ans, Jean-Louis, 22 ans, Claude, 19 ans.
Seul Jean-Louis a survécu.
La famille Steinberg vit à Paris dans un appartement sans confort du 14ème arrondissement, au 118 rue Dareau. Une famille bien intégrée, puisque le père de Germain, d’origine russe, est arrivé en France en 1884, fuyant la misère et les raids des cosaques. Marié à une juive turque, ils ont eu neuf enfants, dont Germain, né le 3 avril 1895. Germain avait 19 ans quand la guerre de 1914-1918 a éclaté. Mobilisé, il a été blessé et a été décoré de la Croix de guerre. Il était joaillier, comme tous ses frères. Selon le témoignage de Jean-Louis, il était proche du parti socialiste et avait voté pour le Front Populaire. Il était surtout un « pacifiste intégral », ne voulant pas revivre un deuxième carnage. Son épouse, Germaine Israël, est aussi née à Paris le 19 février 1897. Elle a fait ses études secondaires jusqu’au baccalauréat. Elle avait reçu une éducation libérale et défendait énergiquement l’égalité entre les hommes et les femmes. En 1920, elle se marie avec Germain Steinberg. Ils auront trois enfants, Jean-Louis, né en 1922, Claude, né en 1925 et Michel, né en 1935.
Jean-Louis n’a jamais entendu parler de religion à la maison et il dit que la montée de l’antisémitisme lui a fait découvrir sa « condition de Juif ». Il n’a jamais porté l’étoile jaune et, en 1941, il s’engage, sous l’influence d’un camarade de lycée, aux côtés des communistes dans la lutte antinazie. Cela, à l’insu de ses parents. Il imprime, puis distribue des tracts, le plus souvent la nuit, c’est-à-dire à des heures où il n’avait pas le droit d’être dehors, parce que Juif. Il a aussi transporté des armes pour la branche armée du Parti.
Après la rafle du Vél’ d’Hiv, quand des rumeurs de rafle circulent, la famille se fait héberger pendant la nuit chez des amis, toujours présents, malgré les risques ; les Fontenoy , de fervents catholiques, et Simone Gaillard, une militante communiste.
Mais, le 18 juin, à 2 heures du matin, on frappe à la porte. Ce sont des hommes en civil, il s’agit d’hommes du Commando de Drancy. Ce Commando est composé de trois internés viennois du camp de Drancy, Oskar Reich, et ses deux subordonnée, Vielfschtadt, dit Samson et Veschsler. Il réalise, sous la direction de deux SS des arrestations dans la capitale. Ils sont chargés de repérer tout Juif en liberté à Paris. Les personnes arrêtées sont conduites au camp le jour même, sans enregistrement de ces arrestations « sauvages ». Toute la famille est immédiatement emmenée à Drancy. Seul Michel, le plus jeune, échappe à cette arrestation, car en vacances dans une ferme normande. A l’arrivée à Drancy, au vu du livret de famille, on demande à la mère où est le troisième enfant. Jean-Louis donne alors un grand coup de coude à sa mère qu’il révérait, et lui murmure, « Tu ne vas pas leur dire où il est » et Germaine n’a pas cédé aux pressions habituelles des nazis et de leurs sbires. La famille normande, qui avait pris Michel en pension, à la demande de Jean-Louis, lui a ainsi sauvé la vie.
Le 30 juin, les quatre membres de la famille Steinberg sont conduits à la gare de Bobigny avec 1153 internés destinés à être déportés vers le centre de mise à mort d’Auschwitz-Birkenau. C’est le 76ème convoi de déportés juifs parti de Drancy.
Le voyage qui dure quatre jours, en plein été, est particulièrement épuisant pour ces familles entassées dans un wagon à bestiaux plombé. Le 4 juillet, le convoi entre à l’intérieur du camp de Birkenau sur la « rampe d’Auschwitz » où a lieu la sélection. Les travaux de Serge Klarsfeld ont permis d’apprendre que 223 femmes sur 495 et 398 hommes sur 654 sont déclarés « aptes » pour le travail.
Germain et ses deux fils entrent, comme la quasi-totalité des hommes de ce convoi sélectionnés pour le travail, au camp d’Auschwitz III situé à une dizaine de kilomètres d’Auschwitz près du village de Monowitz. Jean-Louis reçoit le numéro matricule A- 16878. Les trois hommes sont rapidement séparés, affectés dans différents Kommandos ; Ils ne se rencontrent que rarement. La dernière fois que Jean-Louis revoit son père et son frère, ils sont malades et affaiblis. Son père lui apprend qu’il va être transféré « dans un sanatorium » . Jean-Louis comprend que c’est la fin pour son père. Il ne l’a jamais revu.
Jean-Louis a longtemps cru que sa mère avait été gazée à l’arrivée. Or, le rapport de Block 22 B du 18 octobre 1944 atteste de son passage dans cette baraque, son numéro matricule, A-8696, y est indiqué.
Quant à Jean-Louis, ses contacts avec l’organisation l’ont sauvé. Après avoir effectué des travaux de terrassement, il est épuisé. Mais l’organisation de résistance clandestine du camp, qui l’a contacté, le fait affecter dans une équipe de travail à l’usine, à l’abri du froid. Elle lui fournit parfois des rations supplémentaires. Ainsi, il survit jusqu’à l’évacuation du camp le 18 janvier 1945. Une marche meurtrière, 60 kilomètres sur des routes enneigées , en plein hiver, le conduit à Gleiwitz, un Kommando du camp d’Auschwitz. Le 26 janvier, après 6 jours de transport dans des « wagons découverts » sans toit, donc ouverts à tous les vents, à la neige et au froid, il arrive très affaibli, mais vivant, au camp de Dora ; il ne reste que 30 déportés vivants sur 135 sur le plateau du wagon. Quelques jours plus tard, il apprend le décès de son frère Claude dans ce même camp.
Jean-Louis est resté plusieurs mois à l’hôpital. Libéré par les Américains le 11 avril 1945, il est rapatrié à Paris dans un DC3 qui atterrit au Bourget le 25 avril 1945.
Jean-Louis, est seul rentré de déportation. Le retour à la vie est passé par l’action politique et le militantisme, la recherche scientifique au laboratoire de physique de l’ENS, puis à l’Observatoire de Paris. Madeleine White [1], internée au camp de Vittel pendant la guerre, devient la compagne de sa vie en 1946. En 1948, ils ont un fils, Alain, élevé avec Michel, le jeune frère de Jean-Louis, resté en Normandie.
À partir de 1994, Jean-Louis a témoigné inlassablement dans les lycées et collèges, persuadé d’aider ainsi à combattre toutes les formes de racisme, quelles qu’elles soient.
Jean-Louis est décédé le 21 janvier 2016.
Jean Louis Steinberg 1922-2016
Sources : livre de Jean-Louis Steinberg, Des quatre, un seul est rentré : la destruction d’une famille en 1940-1945, Paris, Association des Anciens élèves de l’École alsacienne, 2004.
- Grands entretiens patrimoniaux-ina.fr, 2006
- nos entretiens avec Jean-Louis Steinberg lors de la rédaction du Petit cahier « L’avant-dernier convoi Drancy-Auschwitz » (Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah, 2010) entre 2007 et 2010.
Chantal Dossin