J’ai été fusillée, ma chérie… de Christine Bernard
Voilà un petit livre, d’une écriture fluide, agréable à lire, intéressant et émouvant. Quand elle avait 12 ans, Christine a interrogé sa mère, Yola, née en 1929, qui mangeait bizarrement, sans pratiquement ouvrir la bouche. Yola (Yolande) lui a expliqué : « J’ai été fusillée, ma chérie… ».
Pendant l’insurrection de Varsovie, en août 1944, Yola, adolescente polonaise catholique de 15 ans, a été arrêtée par les Allemands ainsi qu’un groupe de jeunes, engagés comme elle dans la résistance aux Allemands ; prisonniers, ils sont fusillés, mais de façon extraordinaire elle seule n’est pas morte malgré la balle qui lui a traversé la tête de la nuque jusqu’à la base du nez et lui a laissé un handicap permanent.
À la mort de Yola, en France, en 2010, sa fille Christine, qui ne connaît son histoire que par bribes, éprouve le besoin de chercher à en savoir plus pour transmettre l’histoire familiale à sa propre fille, Emily, 19 ans.
Et c’est le début d’une enquête. Christine part de ce qu’elle sait déjà mais qui n’est pas toujours suffisamment précis ; elle veut aussi découvrir les lieux où cette histoire familiale s’est déroulée et se rend sur les lieux en Pologne avec sa fille. Yola lui avait raconté cette histoire familiale ; celle de sa propre mère, Félicie, la grand-mère de Christine, disparue ; celle de son frère, fusillé également ; celle de son père, Léopold, seul rescapé avec Yola, qui lui-même résistant, isolé de sa femme et de ses enfants, a connu arrestations, camps et évasions. Le père et la fille ont réussi à se retrouver tous les deux à la fin de la guerre et sont venus en France où résidaient des proches.
Yola a confié à Christine des souvenirs de son enfance à Lodz, de son adolescence dans Varsovie où sa famille, la famille Ebin, s’établit après avoir été expropriée, dès le début de l’occupation par les Allemands, de l’appartement de sa ville natale. Elle a pris conscience de la coupure entre la ville « polonaise » où elle habite et le ghetto, surtout lors du soulèvement de ce dernier en avril 1943. Elle a raconté ce qu’elle sait de l’histoire de sa mère, Félicie, arrêtée pour faux papiers, disparue après emprisonnement à la prison de Pawiak. Lors de ses recherches à Varsovie récemment, dans les archives de la prison de Pawiak devenue musée, l’auteure retrouve trace du passage de sa grand-mère ; et puis également, grâce à d’autres démarches en France, et à Yad Vashem par l’entremise du Mémorial de la Shoah, elle entre en possession d’un témoignage de sa mère datant de 1997 et surtout de celui de son grand-père datant de 1949 ; mais là il faut laisser le lecteur découvrir lui-même le reste de l’histoire familiale et les questions que posent tout témoignage.
Ce récit intime est à juste titre complété par le point sur la Pologne de 1930 à 1946, fait par un historien, Jean-Yves Potel, intitulé « Le destin de la famille Ebin, un destin polonais », qui permet à tout lecteur de resituer cette histoire familiale dans un cadre plus large. C’est tout à fait bien venu même si, à titre personnel, je trouve que l’antisémitisme polonais, certes signalé, aurait pu être davantage mis en relief, en particulier au sein de l’Armia Krajowa (AK), le mouvement de résistance armé polonais non communiste, ce qui explique l’engagement des résistants juifs polonais chez les partisans communistes. Malgré cette réserve, ce rappel historique est tout à fait nécessaire et bienvenu.
Maryvonne Braunschweig
J’ai été fusillée, ma chérie… de Christine Bernard, Préface d’Annette Wieviorka, postface de Jean-Yves Potel, Tulle, Mille Sources, 2021, 200 pages, 16 €
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