Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

L’effacement des lieux, Janine Altounian

Par Dominique Dufourmantelle
dimanche 9 mai 2021

« Nous autres écrivains du XXème siècle (…) devons savoir (…) que notre seule justification (…) est de parler, dans la mesure de nos moyens, pour ceux qui ne peuvent le faire. »

L’effacement des lieux

Cette autobiographie de Janine Altounian, « une analysante, héritière de survivants et traductrice de Freud », m’amène à une réflexion sur les temps présents, dans le cadre de notre travail de prévention des crimes contre l’humanité.

En ces temps de migration, d’expulsion, voire de déportation, que faire pour ces réfugié.e.s, entassé.e.s dans des camps, ou condamné.e.s à errer, sans refuge, ni aide d’aucune sorte, après avoir fui les guerres, les persécutions, traversé des mers où beaucoup périrent.

Personne pour entendre, écouter leur parole, leurs histoires/récits, accueillir les ruines qu’ils portent, la mémoire d’un passé englouti, la violence passée subie dont elles et ils sont à nouveau victimes ici et maintenant, sous diverses formes, certes spectaculaires, mais non moins destructrices.

Janine Altounian justifie son témoignage en tant qu’acte de résistance.

Elle cite Albert Camus : « Nous autres écrivains du XXème siècle (…) devons savoir (…) que notre seule justification (…) est de parler, dans la mesure de nos moyens, pour ceux qui ne peuvent le faire. » (discours de Suède, déc. 1957)

Nous qui militons pour la mémoire des crimes commis, nous résistant.e.s contre l’oubli, entendons ces êtres expulsés, chassés, jetés sur les routes de l’exil sans bagages, arrachés à leur pays, leur culture, dévastés.

Enfants séparés de leurs parents, livrés à tous les abus possibles, proies faciles pour les prédateurs, ils échappent au massacre de leurs proches, anéantis par la douleur impossible à transmettre et à soulager.

L’expérience traumatique des catastrophes de l’Histoire, écrit Janine Altounian, ne peut accéder à une verbalisation susceptible de la signifier et de l’inscrire dans le monde que par des héritiers de deuxième ou troisième génération. Elle cite Todorov : « Si je perds un lieu d’énonciation je ne peux plus parler, je ne parle pas, donc je ne suis pas. »

Janine Altounian analyse la situation des exilé.e.s qui n’ont pas été accueilli.e.s en France comme elle l’a été.

Ce livre testament analyse toute sa vie. Elle a le sentiment qu’elle n’écrira plus rien, elle a tout dit et elle est devenue très pessimiste, très affectée par la crise migratoire que nous vivons dans une totale impuissance.

Ses parents étaient des migrants, au bout d’une vie de travail, ils ont pu acquérir suffisamment de bien être, pour qu’elle puisse faire des études.

La France dans laquelle elle a effectué ce parcours n’existe plus. Il y avait du travail, un travail qui permettait l’intégration.

L’école de la République lui a permis de respirer enfin. Elle lui donnait une place à condition qu’elle travaille. Une école laïque, alors que la laïcité est en train de disparaître.

Ses parents ne se sentaient pas « minorisés », elle n’a pas vécu dans une atmosphère victimisante. Ils répétaient, « étant donné ce qu’on a vécu, on en sait bien plus que les autres ».

Il faut savoir échanger avec l’autre, se débrouiller avec.

Aujourd’hui, les enfants migrants ne sont pas accueillis.
On oblige les migrants à partir avec rien, ils savent qu’ils ne reviendront jamais.

Dominique Dufourmantelle

Janine ALTOUNIAN, L’Effacement des lieux. Autobiographie d’une analysante, héritière de survivants et traductrice de Freud, Puf, 2019, 280 p.

Exils d’hier et d’aujourd’hui