Famille BERKOVER, Sophie, 53 ans, et ses deux fils, Guy, 20 ans et André, 15 ans.
André est le seul survivant
La famille Berkover habite au 2, rue Félix Terrier, dans un quartier populaire du 20ème arrondissement. Le père, Benjamin, est né à Varsovie en Pologne ( Russie à l’époque), la mère, Sophie, est née à Jassi en Roumanie. Tous deux, d’origine juive, sont arrivés en France en 1897. Ils ont eu quatre enfants nés à Paris, Marcelle, née en 1918, Renée, née en 1913, Guy, né en 1924 et André, né en 1929. Ils sont donc tous Français. Le père est maroquinier et travaille à la maison. Ils se sentent en sécurité en France jusqu’aux premières lois anti-juives. En 1942, André refuse de porter l’étoile jaune qu’il trouve humiliante et dégradante.
Puis, commence la traque. Le 27 mai 1944, Guy Berkover est arrêté rue des Pyrénées par deux policiers en civil, à la sortie des Bains-Douches interdits aux Juifs. En compagnie d’un camarade du quartier, Albert Eskenazi qu’il connaît bien. Visiblement dénoncés, ils sont conduits au Commissariat de police du Père Lachaise, puis au dépôt (prison temporaire de la Préfecture de police) et finalement internés au camp de Drancy où ils entrent le 31 mai 1944. Guy et Albert Eskenazi reçoivent les numéros matricules 23517 et 23579.
Le reste de la famille quitte alors l’appartement et se cache chez une tante qui avait réussi à faire retirer son nom du fichier juif de la Préfecture de police par une connaissance. Le 28 juin 1944, alors que Sophie et André étaient allés récupérer des affaires à leur domicile, ils sont arrêtés après dénonciation par le « Kommando » de Drancy. Ce « Kommando » est composé de trois internés viennois du camp de Drancy, Oskar Reich, et ses deux subordonnée, Vielfschtadt, dit Samson et Veschsler. Il réalise, sous la direction de deux SS des arrestations dans la capitale. Les personnes arrêtées sont conduites au camp le jour même, sans enregistrement de ces arrestations « sauvages ». Les 28 juin, ils entrent donc au camp de Drancy où ils retrouvent Guy et, deux jours plus tard, le 30 juin, ils sont tous les trois conduits à la gare de Bobigny avec 1153 internés déportés vers le centre de mise à mort d’Auschwitz-Birkenau. C’est le 76ème convoi de déportés juifs parti de Drancy.
Le 4 juillet, le convoi entre à l’intérieur du camp de Birkenau sur la « rampe d’Auschwitz » où a lieu la sélection. Les travaux de Serge Klarsfeld ont permis d’apprendre que 223 femmes sur 495 et 398 hommes sur 654 sont déclarés « aptes »pour le travail. Ce sont généralement les plus jeunes. Le nombre de déportés choisis pour ce travail d’esclave, plus de la moitié, est beaucoup plus élevé que celui des transports précédents car Les camps deviennent, en 1944, un vivier de travailleurs pour l’industrie de guerre. L’autre moitié du convoi est gazée dès l’arrivée.
Ainsi, lors de la sélection effectuée par les SS , André, qui n’a pas encore 15 ans, se place dans la file des hommes de plus de 16 ans, pour rester avec son frère aîné. C’est la dernière fois qu’ils voient leur mère, dirigée, elle, vers la file des femmes et des enfants qui vont être gazés dès l’arrivée.
Après deux jours passés à Birkenau, André et son frère entrent donc au camp d’Auschwitz III situé à une petite dizaine de kilomètres d’Auschwitz près du village de Monowitz. Y était installée l’usine surnommée « Buna », d’IG Farben-Industrie destinée à fabriquer du caoutchouc synthétique. André devient le déporté A- 16572 et Guy le A- 16575. Albert Eskenazi sera le n° A 16612. Ils travaillent tous dans un Kommando de terrassement, où ils effectuent des travaux de force, dans le froid. Deux mois avant l’évacuation, Guy, épuisé, est sélectionné pour la chambre à gaz. Mais André réussit à se rendre au « bureau des écritures » où il le fait rayer de la liste. Ils parviennent ainsi à survivre jusqu’à l’évacuation du camp le 18 janvier 1945. Alors que Guy, à bout de force, reste au Revier (« l’infirmerie »), André effectue la première Marche de la mort, une marche de 60 kilomètres sur des routes enneigées, en plein hiver, jusqu’à la ville de Gleiwitz, un Kommando du camp d’Auschwitz. Deux jours plus tard, il est emmené dans wagons à charbon que les hommes rentrés dénommaient « wagons découverts », car sans toit, donc ouverts à tous les vents, à la neige et au froid. Le convoi à destination de Buchenwald est stoppé au milieu d’une forêt. Les prisonniers juifs doivent descendre. Ils marchent en colonnes, encadrés par les SS et les droits communs appelés en renfort et armés par les SS, qui commencent alors à les mitrailler. André parvient à s’échapper, pieds nus dans la neige ; il se réfugie dans une ferme. Il y est caché par des fermiers polonais jusqu’à l’arrivée des troupes soviétiques. André a eu les deux pieds gelés au 2ème degré. L’infirmerie soviétique lui fournit une nouvelle tenue vestimentaire dont il a conservé la chapka. André est ensuite conduit à Katowice où il séjourne 1 mois, dans le lycée transformé en hôpital. En mai, il rejoint Odessa en train et embarque pour Marseille où il arrive le 10 mai 1945. À Paris, il retrouve son père et sa sœur.
Ainsi, seul André a survécu. Sophie Berkover et Guy ne sont pas rentrés. André s’est toujours tourmenté au sujet du devenir de son frère. Les recherches ont permis de savoir qu’il était encore présent au camp en juin 1945 lors des visites des missions alliées. Son père a su qu’il était soigné dans un sanatorium situé en zone soviétique. À partir de là, on perd sa trace.
André devient après la guerre dessinateur industriel. Marié en 1952, il a eu deux enfants, Thierry-Guy et Sylvie. Il était grand-père de deux petites-filles, Margaux et Alice. Il a passé sa vie à Montreuil où il s’est investi dans de nombreuses associations. À partir de 1995, il a témoigné inlassablement dans les collèges et les lycées afin de transmettre la mémoire de la déportation.
André est décédé le 18 août 2018.
Sources : DAVCC Caen AC21P720222-424309-
« L’avant-dernier convoi Drancy-Auschwitz » Chantal Dossin et Jeanine Thomas- François Wehrbach, « André Berkover, matricule A-16572 » et les témoignages d’André Berkover entre 2007 et 2010.
Chantal Dossin