Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

« Pour Daniel » Davisse, né Dan Elie Herz

par Maryvonne Braunschweig
vendredi 16 avril 2021

L’an passé, dans un article publié sur le site nous avions raconté l’histoire incroyable de Daniel Davisse, né Dan Elie Herz, sauvé de la déportation du camp des Milles [1], juif allemand, fils de rabbin, devenu instituteur laïque, militant communiste, homme politique français, maire de Choisy-le-Roi pendant 18 ans. Il est mort le 29 mars 2020, parmi les premières victimes du Covid-19. Pour le premier anniversaire de sa mort, son département, sa ville publient un recueil de 86 pages de témoignages de ceux qui l’ont connu, aimé, admiré, « Pour Daniel ».

La découverte fortuite, en 2019, de lettres de ses parents Herz à de lointains cousins australiens donne un témoignage d’outre-tombe de ce qu’ils ont vécu lors de la « nuit de cristal » à Hambourg. Nous reproduisons ci-dessous ce témoignage :

« Peu de temps après la publication dans Mémoire et Vigilance, Françoise Bulfay, présidente de l’AFMD recevait d’Australie un mail d’un lecteur du journal disant : “ Je m’appelle Howard Wolfers et je suis directeur d’école secondaire à Sidney […]. Je vous écris pour contacter Daniel Davisse. J’ai des lettres qui ont été envoyées par ses parents biologiques à mes parents en 1938. ˮ

Fuir Hambourg en décembre 1938

Voilà, Daniel découvrait ainsi ce petit cousin, et ‒ quel choc ! ‒ des lettres envoyées en 1938 par Walter et Irma à Grete et Gustave, les parents d’Howard Wolfers qui avaient réussi à quitter Hambourg pour l’Australie en 1937.

Les courriers et les photos que lui confia Howard furent aussi pour Daniel un très important moment pour en savoir enfin davantage sur sa maman Irma. Née à Hambourg, Irma Meyer fut, à son arrivée en France, internée avec son mari et son fils au camp de Gurs, dans les Pyrénées. Elle rejoignit Marseille avec le petit Dan, mais fut déportée des Milles avec Walter, et mourut à Auschwitz en 1942. Un travail est en cours pour que son nom figure aussi dans les inscriptions mémorielles à Hambourg et à Esch (Luxembourg).

Dans un mail à son cousin, Daniel disait le bonheur de cette rencontre : “ Les documents que vous m’avez fait parvenir […] me permettent enfin de connaître ma famille maternelle dont je savais peu de choses. Et cela quand je pense au courage de ma mère Irma quand un jour d’août 1942, elle m’a conduit chez mes parents Davisse en sachant que sans doute elle ne me reverrait jamais […] et puis ces lettres racontent beaucoup de choses sur cette grande famille, les déportés, les exilés, ceux qui sont revenus, ceux qui ont disparu. Et puis elles ont une portée historique tel ce que raconte mon père Walter sur la « nuit de cristal » et cette expression « Land der Barbaren » …

Dans une lettre datée du 15 janvier 1939, Walter, à peine arrivé à Luxembourg écrit, en effet, “ j’ai littéralement sorti mon gamin à bout de bras du pays des barbares ˮ. Début décembre, Walter, Irma et Dan ont, en effet, quitté Hambourg après l’épouvantable nuit dite « de cristal » et Walter raconte :

“ Tout a débuté le 10 novembre. À onze heures du soir deux SS voulaient arrêter votre père (Il s’agit de Joël Abrahamson, père de Grete, la maman de Howard, donc grand-oncle de Daniel). La nuit de cristal a commencé le 9, chère Grete. Après environ une demi-heure de perquisition de l’appartement et de contrôle des livres et après avoir constaté que l’homme avait déjà 64 ans ils sont partis. J’ai dormi là-bas. ˮ

Et Walter poursuit en disant comment il s’est caché (près de l’Elbe) et a essayé de protéger l’oncle Joël et sa femme Pauline (Joël et Pauline furent déportés à Theresienstadt en juillet 1942 puis à Treblinka en septembre et ne revinrent pas ‒
Stolpersteine, Peterstrasse 33b à Hambourg).

Joël, Wikipedia
Pauline, Wikipedia

Plus loin dans sa lettre il dit : “ Pourquoi je vous écris tout cela que vous savez peut-être déjà ? Peut-être parce que je crois que quelqu’un pourra un jour raconter ces choses sans peur de la censure ˮ et vers la fin de cette lettre, on apprend que son garçon “ aura six mois après-demain, il est relativement fort, mesure 68 cm et est très coquin [zehr frech] ˮ.

Les deux familles de Daniel Davisse et d’Howard Wolfers se sont rencontrées en juillet 2019 à Choisy, Paris et Marseille (et le camp des Milles). Elles avaient l’intention de se revoir en 2020, le Covid 19 et le décès de Daniel les en ont empêchées.

Maryvonne Braunschweig

Daniel Davisse, sauvé du camp des Milles, 1938-2020