ARAGER Stéphanie, 40 ans en 1944,
résistante et survivante
Stéphanie Arager-Oguse, appelée Jeanne, de son deuxième prénom, est née le 16 juin 1903, à Paris dans le 14ème arrondissement. Son père, Joseph Oguse, originaire de Vilnius en Lithuanie était médecin. Il venait au secours des plus défavorisés, soignait gratuitement, notamment des immigrés russes. Jeanne Arager suivra le même parcours.
Elle entreprend des études de médecine en 1920, est reçue douzième au concours de l’internat des hôpitaux de Paris où elle exerce de 1935 à 1938. En 1937, elle épouse Jacob Arager, originaire de Pologne, médecin également. Jacob part le 25 novembre 1936 comme médecin volontaire aux côtés des Républicains espagnols. Il est tué un mois plus tard le 24 ou le 25 décembre 1936, par des mercenaires marocains lors de la bataille de Lopéra.
Jeanne Oguse-Arager, restée seule, poursuit, sous d’autres formes, le combat de son mari contre le fascisme. Ses activités sont multiformes. Très tôt elle agit individuellement. Ainsi dès août 1940, elle vient en aide à des médecins juifs étrangers interdits par les lois anti-juives d’exercer leur profession ; elle intervient au dispensaire « La mère et l’enfant » situé au 56 de la rue Amelot établissant de vrais-faux diagnostics pour hospitaliser et éviter des arrestations. Puis elle participe à la fondation de mouvements de résistance : ainsi en 1942, elle est un des membres fondateurs du MNCR, Mouvement national contre le racisme , dirigé par Adam Rayski, responsable de la section juive de la MOI ( Main d’œuvre immigrée). Elle y sera responsable de la rédaction du journal clandestin « J’accuse ». Elle recherche également des refuges et des fonds pour sauver des enfants juifs en danger. Elle a aussi hébergé chez elle pendant 3 semaines le docteur juif Meyer Zeller [1], évadé de l’hôpital Rothschild en mars 1942. En tant que membre du « Front National » des médecins, en 1942 et 1943, elle collecte des médicaments pour les FTP ( Francs-Tireurs et partisans) et donne des soins à des clandestins.
Le 27 mars 1943, elle est arrêtée à son domicile, rue de la Folie-Méricourt, dans le 11ème arrondissement par les Brigades spéciales de la Préfecture de police chargées de la traque des communo-terroristes au cours de l’année 1943. Internée à la prison de la Petite Roquette, elle y est restée plus d’un an jusqu’à ce que le Tribunal d’État, une création du gouvernement de Vichy, statue sur son sort le 10 juin 1944. Accusée d’avoir rédigé un tract communiste, trouvé chez elle, sur la situation des Juifs, d’être doctoresse au dispensaire, « L’Ordre médical », association secouriste israélite, de tendance communiste, et de militer au Parti communiste, elle a été condamnée à la déportation et livrée aux Autorités allemandes. Elle a été internée au camp de Drancy le 16 juin et déportée le 30 juin 1944, dans l’avant-dernier convoi Drancy-Auschwitz, le convoi 76.
Le voyage qui dure quatre jours est insupportable du fait de la chaleur de l’été. Le 4 juillet, le convoi entre à l’intérieur du camp de Birkenau sur la « rampe d’Auschwitz ». Les travaux de Serge Klarsfeld ont permis d’apprendre que 223 femmes sur 495 et 398 hommes sur 654 sont déclarés« aptes » (expression des nazis) pour le travail forcé. Ce sont généralement les plus jeunes. Le nombre de déportés choisis pour ce travail d’esclave, plus de la moitié, est beaucoup plus élevé que celui des transports précédents car les camps deviennent, la dernière année de la guerre, un vivier de travailleurs pour l’industrie de guerre.
Jeanne Arager, entre donc au camp de femmes de Birkenau et devient alors le numéro A-8522. Elle quitte Auschwitz, peu de temps après son arrivée, car affectée comme docteur au « Revier » d’un petit camp, le camp de Parchnitz, annexe du camp de Gross-Rosen, situé en Tchécoslovaquie. Ce qui, selon les dires de Jeanne à sa famille, assura sa survie, car elle y était à l’abri du froid et souvent mieux nourrie.
Jeanne Arager rentre de déportation le 18 juin 1945. Âgée de 42 ans, en charge de sa mère, très âgée, elle est restée cependant une militante. A l’Union des femmes françaises, issue des comités féminins de la résistance. Elle était médecin légiste à la clinique des Bluets fondée par le syndicat CGT des métallos et où était pratiqué l’accouchement sans douleur, une méthode révolutionnaire à l’époque. Elle est toujours restée, selon les témoignages de ses neveux et petits-neveux, optimiste, confiante, dévouée aux autres, notamment dans son métier. Elle est décédée le 12 septembre 1983 à Ivry-sur-seine.
Photographie d’avant-guerre
Source : Fonds privé
DAVCC AC21P 218627818- PPo cote GB /91 - Archives nationales. 4W/25.
Livre « Elles étaient juives et résistantes » Chantal Dossin-Editions Sutton.
https://www.cercleshoah.org/spip.php?article679
Chantal Dossin