Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

Maurice Cling (4 mai 1929 – 23 novembre 2020)

Portrait et hommage par ses fils
dimanche 29 novembre 2020

« Le sentiment du devoir impérieux de transmettre ce passé capital s’est imposé à moi avec de plus en plus de force au fil des années. »

Maurice Cling (4 mai 1929 – 23 novembre 2020)

  • Par ses fils
    Maurice le jour de son 87e anniversaire, photo Daniel Cling
« Maurice Cling s’est éteint lundi 23 novembre 2020 au matin. Lui qui aimait tant les mots et la précision n’aurait pas aimé qu’on euphémise la mort et nous aurait repris sur le terme si on lui avait fait lire ce faire-part pour approbation.

Mais Maurice était lumineux. Il était notre phare. Son regard toujours tourné vers l’avenir puisait dans le passé des ressources inestimables, d’analyse et de réflexion sans cesse réactivées.

Depuis 75 ans et son retour de déportation, il considérait que chaque jour supplémentaire en vie était une victoire sur les nazis qui avaient massacré notre famille et auxquels il avait miraculeusement survécu.

Maurice en avril (?) 1944 photo de la classe de 4e peu avant son arrestation, lycée Lavoisier
(2e à partir de la gauche rang de 4 en bas)

Arrêté dans sa classe le jour de son 15e anniversaire en mai 1944, c’est avec son frère aîné, Willy, âgé d’à peine 17 ans, sa mère, Simone, 41 ans et son père, Jacques, 50 ans, immigré de longue date, d’origine roumaine, naturalisé français, ancien combattant volontaire de la Grande Guerre, plusieurs fois décoré, qu’il est interné à Drancy puis déporté le 20 mai 1944 par le convoi n°74.

Projeté dans un monde dans lequel il ne comprenait rien, où les valeurs étaient l’exact opposé de celles dans lesquelles il avait grandi, Babel de langues incompréhensibles, Maurice Cling a fait des mots une de ses raisons d’être, devenant linguiste après avoir fait des études de langues française et anglaise. Actif durant des décennies à l’Amicale d’Auschwitz, puis à la FNDIRP (Fédération nationale des déportés, internés, résistants et patriotes) dont il deviendra président-délégué, il est resté jusqu’à très récemment membre du conseil d’administration de la Fondation pour la mémoire de la Déportation.
En 1999, le livre qu’il a écrit pour témoigner de son expérience concentrationnaire commence par ces mots : « Le sentiment du devoir impérieux de transmettre ce passé capital s’est imposé à moi avec de plus en plus de force au fil des années. (…) Je suis probablement le seul survivant, un demi-siècle plus tard, à pouvoir témoigner, par exemple, de mon frère Willy, d’Éva, des « politiques » français d’Auschwitz et de Dachau que j’ai connus. Je tiens leur mémoire entre mes mains et s’ils revivent ici, je n’aurai pas été sauvé en vain. »

Maurice a commencé à témoigner au début des années soixante et n’a pas cessé depuis qu’il a pris sa retraite à la fin des années quatre-vingt. Malgré la maladie de Parkinson qui l’affaiblissait de mois en mois, son énergie et sa capacité d’indignation sont restées intactes. Avec la conviction chevillée au corps que sa vie n’avait de sens que s’il continuait à militer pour la mémoire de la déportation, il a continué à témoigner, l’an dernier en langue anglaise pour la BBC et peu de temps avant le confinement dans un établissement scolaire voisin des Invalides. De son expérience, Maurice a retiré une volonté farouche de comprendre, s’inscrivant en faux contre ceux qui tentent d’évacuer Auschwitz hors de l’Histoire, hors des luttes séculaires et de la sphère de l’intelligibilité, en évitant par là même de s’interroger sur la complexité des enchaînements historiques et sur l’ensemble des responsabilités.

En 2016, invité avec Paulette Sarcey par l’Institut d’Histoire Sociale Métallurgie, quand il est questionné sur ce qui motive son militantisme et les raisons pour lesquelles il continue à témoigner aujourd’hui, il répond : “ On parle beaucoup d’Auschwitz, parfois plus que de la Résistance, mais on ne parle pas des causes de la Shoah (‘catastrophe’ en hébreu). Après la Première Guerre mondiale, on a parlé de la ‘der des der’, puis après la deuxième, on a dit ‘plus jamais ça !’, mais on ne parle pas des causes de ces guerres. Cette question est pourtant capitale si l’on veut éviter qu’elles se reproduisent. Si l’on ne parle pas de Munich et du Front Populaire, on ne peut pas comprendre ce qui s’est passé à Vichy. Or les mêmes causes produisant les mêmes effets, cela risque de se reproduire mais en pire. Les nazis ont en effet été arrêtés dans leur élan par la coalition anti-fasciste mais s’ils ne l’avaient pas été, il y aurait eu des millions de morts supplémentaires. Avec les évolutions technologiques, on imagine donc facilement ce que pourraient faire les ‘héritiers’ des nazis. (…) ˮ

Imaginer Maurice éteint ? Peut-on finalement choisir idée plus saugrenue ? »

Willy, Jean-Pierre et Daniel Cling


Maurice et son fils Daniel à Birkenau octobre 1987, photo Maryvonne Braunschweig
  • Par Maryvonne Braunschweig :

Peut-il y avoir portrait plus juste de Maurice Cling ? C’est pourquoi je me permets de reprendre ce long et bel hommage de ses fils à leur père.
Maurice que j’avais rencontré lors d’un voyage de mémoire à Auschwitz en octobre 1987 et avec qui je m’étais liée d’amitié, était alors accompagné de ses deux fils les plus jeunes, Daniel et Pascal (ce dernier aujourd’hui décédé). Ce fut pour moi un choc supplémentaire, alors que je découvrais le site d’Auschwitz et de Birkenau, en sachant encore si peu de choses, de réaliser qu’un adolescent de 15 ans avait pu survivre dans cet enfer et qu’il était là, accompagné par ces deux jeunes adultes splendides qui auraient pu ne jamais venir au monde.
Pendant les cinq jours de voyage, Maurice nous a sidérés par ses bribes de témoignages plus bouleversantes les unes que les autres. Au retour il m’a encouragée à militer dans les associations de mémoire de la déportation, de mémoire de la Shoah (pas encore appelée de ce terme) ce que j’ai fait depuis.
Au sein du Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah, Maurice a toujours répondu à nos demandes quand nous avons eu besoin de lui. Il est un des témoins principaux du film Il faudra raconter de ses fils Daniel et Pascal Cling, présenté lors de la conférence cinéma-débat du 9 avril 2008 qui permet de publier un Petit Cahier intitulé Témoigner de la déportation dans les classes (2e Série, N°5), il est un des témoins qui a connu Marie-Claude Vaillant-Couturier, présent lors de la conférence du 4 décembre 2013, retranscrite dans le Petit Cahier, 2e Série, N°21, Marie-Claude Vaillant-Couturier – Déportée à Auschwitz-Birkenau et à Ravensbrück – Témoin au procès de Ravensbrück. Il est aussi un témoin essentiel des derniers temps du système concentrationnaire à qui Marie-Paule Hervieu emprunte de nombreuses citations dans le Petit Cahier N°24, 2e Série, de juin 2016, sur la fin des camps, intitulé Les Marches et trains de la Mort et il nous permet d’utiliser dans l’ouvrage Les évasions des Marches de la mort (édition du Cercle d’étude, 2014) son récit de l’évasion de son camarade Alfred Elkoubi, raconté oralement plusieurs fois, et mis par écrit dans son livre, Un enfant à Auschwitz.

Décédé au Centre des pensionnaires des Invalides, le lundi 23 novembre 2020, un hommage officiel a été rendu à Maurice Cling, chevalier de la Légion d’honneur, officier des Palmes académiques, par l’Institution, dans la cour d’honneur des Invalides, le vendredi 27 novembre, suivi d’une cérémonie de crémation au cimetière du Père Lachaise, le mercredi 2 décembre. En raison des restrictions sanitaires actuelles, les deux cérémonies ont eu lieu en comité restreint.

  • Sur le site du Cercle d’étude, plusieurs textes le concernant sont publiés :

- Les comptes rendus et annonces des deux conférences et publications liées
Il faudra raconter, quatre rescapés d’Auschwitz témoignent de leur expérience dans les écoles
- La très belle et émouvant lettre d’un de ses anciens condisciples du collège Lavoisier où il fut arrêté qui, le retrouvant dans le livre sur Les Déportés d’Avon – Enquête autour du film Au revoir les enfants de Louis Malle, en 1989, lui écrit 45 ans après pour lui dire le cri de joie des élèves en apprenant au printemps 1945, qu’il a survécu et qu’il vient de rentrer en France.
Lettre à un camarade déporté, Maurice Cling
- Le compte rendu de lecture de son livre témoignage : Un enfant à Auschwitz, paru en 2008 (réédition de Vous qui entrez ici… ‒ Un enfant à Auschwitz, paru en 1999)
Un enfant à Auschwitz, Maurice Cling avec la traduction en allemand par Ulrich Hermann, pour une publication de « l’Amicale d’Auschwitz allemande ».
- un article de Maurice Cling demandé par Maryvonne Braunschweig pour le bulletin Après Auschwitz au nom du Cercle d’étude, après qu’il lui en avait fait le récit oral.
La bataille de Mittenwald, 30 mai 2009
- Le texte qu’il a écrit sur la révolte du Sonderkommando du 7 octobre 1944 à Auschwitz II-Birkenau, (et traduit en allemand par U. H.), pour Andreas Michael Kilian Témoignages du Sonderkommando, par Andreas Killian, dans une publication de « l’Amicale d’Auschwitz allemande ».
Révolte du Sonderkommando SK d’Auschwitz-Birkenau

Maryvonne Braunschweig