Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

Hammerstein ou l’intransigeance, une histoire allemande, de Hans Magnus Enzensberger

« La peur n’est pas une vision du monde. »
samedi 1er août 2020

Le baron Kurt Freiherr von Hammerstein-Equord, 1878-1943, commandant en chef de l’armée de terre de la Reichswehr, résistant à Hitler. Ses sept enfants « dissipés et rebelles » ont participé à la résistance intérieure.

« La peur n’est pas une vision du monde. »

Hans Magnus Enzensberger, Hammerstein ou l’intransigeance : une histoire allemande, trad. Bernard Lortholary, Paris, Gallimard, 2010 ; Folio, 2016

Notes de lecture
Kurt von Hammerstein-Equord, officier issu d’une vieille famille noble, protestant, mais pauvre aux yeux de son beau-père, Walther von Lüttwitz [1], épouse Maria von Lüttwitz catholique. C’est un militaire de l’école impériale, il a fait l’école des cadets, un passionné de chasse. Il a la réputation d’être bien informé, de prendre calmement ses décisions.

  • La République de Weimar fait face à des violences, le soulèvement des Spartakistes, les Corps francs, les tentatives de putsch, les assassinats politiques, les combats de mars 1921, les combats ouvriers à Hambourg et Vienne, le mai sanglant à Berlin en 1929.
    Kurt von Hammerstein est chef d’état-major de l’armée de terre de la Reichswehr.
    Avec le Traité de Versailles : pas d’aviation, pas de blindés, pas d’armes chimiques, pas d’état-major, pas de service militaire.
    Isolé, le Reich se tourne vers l’URSS. Par un accord secret Berlin-Moscou, des négociations sont engagées pour moderniser l’Armée rouge avec l’aide de l’Allemagne. Après le traité de Rapallo de 1922 (qui provoque en 1923 l’occupation de la Ruhr) des accords sont signés sur le développement de l’industrie d’armement soviétique et la production de matériel de guerre pour l’Allemagne. Les Soviétiques échangent de l’espace contre des formations d’officiers. Hammerstein participe à des manœuvres communes entre la Reichswehr et l’Armée rouge. Il apprécie ces rencontres avec des officiers de haut rang qui parlent allemand comme Toukhatchevski et Voroschilow. Le 1er juillet 1933 a lieu sa dernière rencontre, puis les bases allemandes en URSS sont liquidées. Hitler veut créer un espace vital à l’Est, asservir les Slaves, lutter contre le communisme.

En 1929, Kurt von Hammerstein est général de division, chef du Truppenamt [2]. Le premier novembre 1930 il est commandant suprême de l’armée de terre. Il loge dans le Bendlerblock.

Façade sud, au bord du Landwehrkanal
Photo U. Schmoll, Berlin, juillet 2020

Il a une idée claire des situations, un jugement sûr :
« Je distingue quatre espèces. Il y a les officiers intelligents, les travailleurs, les sots et les paresseux. Généralement, ces qualités vont par deux. Les uns sont intelligents et travailleurs, ceux-là doivent aller à l’état-major. Les suivants sont sots et paresseux ; ils constituent 90 % de toute armée et sont aptes aux tâches de routine. Celui qui est intelligent et en même temps paresseux se qualifie pour les plus hautes tâches de commandement, car il y apportera la clarté intellectuelle et la force nerveuse de prendre les décisions difficiles. Il faut prendre garde à qui est sot et travailleur, car il ne provoquera jamais que des désastres. » KvH

Le Traité de Versailles suscite des ressentiments. La situation économique avec la crise de 1929 provoque un chômage massif. Les classes moyennes sont touchées par la crise. La population est attirée par les extrêmes. Des milices provoquent des combats de rue en 1932-33. Les SA sont 450 000.

  • Die Machtübernahme
    Dès sa première rencontre avec Hitler, Hammerstein le juge confus et n’a que du mépris pour « les nouveaux fanatiques ». Il fait savoir à Hitler qu’il est prêt à tirer si ce dernier ne parvient pas légalement au pouvoir. Il essaie d’empêcher sa nomination comme chancelier auprès de Hindenburg qui lui assure qu’il ne nommera pas le caporal autrichien chancelier. Mais les nazis intriguent et Hindenburg passe outre : Hammerstein a sous-estimé Hitler et sur-estimé son ami le chancelier von Schleicher. Von Papen et Hitler se sont mis d’accord. La classe politique et militaire est incapable de s’opposer à Hitler par crainte d’une guerre civile. Le parlement est impuissant. Le 30 janvier 1933 Hitler devient chancelier et von Blomberg ministre de la Reichswehr.
  • Un dîner avec Hitler, le 3 février 1933 au Bendlerblock dans les appartements de Hammerstein.
    Hitler gesticulant prononce un discours de 2h30 devant les hauts commandants de la Reichswehr pour les gagner au régime. Il parle de son programme, consolider l’État, extirper le marxisme, la démocratie, le cosmopolitisme, étendre l’espace vital à l’Est, germaniser le sol, expulser des milliers de gens, il se répète. Hitler dira qu’il a parlé à un mur.
  • Feu au Reichstag, 27 février 1933
    Hitler proclame l’État d’exception. Pour Hammerstein, pas de doute, c’est « eux » qui ont mis le feu.
    Le 31 janvier 1934, fin pour Hammerstein de sa fonction de chef de la direction de l’armée. Il est mis à la retraite.
  • 1934 La nuit des longs couteaux
    Le bruit court que Röhm complote avec l’ex-chancelier von Schleicher, ex-ministre de la Défense, l’ami de Hammerstein. Ceci permet à Hitler de se débarrasser de gens gênants, le 30 juin 1934. La Reichswehr a laissé faire, les généraux sont morts de peur, les jeunes officiers se reconnaissent dans le national-socialisme. Des camarades craignent l’arrestation de Hammerstein. Il va à l’enterrement de Schleicher malgré l’interdiction. Il est le seul général. Les SS sont vainqueurs.
  • Au Bendlerblock les filles de Hammerstein donnent des informations au résistants communistes sur ce qui s’y passe. Il y a aussi une taupe. Willi Münzenberg fait paraître à Paris des articles sur l’incendie du Reichstag et sur le 30 juin 1934 dans le « Braunbuch ». Le discours à l’armée du 3 février parvient à Moscou. Hammerstein protège ses filles et lui-même a des protections au sein de l’armée, dont Hindenburg.
  • Hitler s’attribue le commandement de la Reichswehr qui doit prêter serment à sa personne quand Hindenburg meurt le 2 août 1934. La Reichswehr prend le nom de Wehrmacht en 1935. Une machination nazie où le nom de Hammerstein apparaît sur un document, déclenche arrestations et exécutions à Moscou. L’Armée rouge est décapitée en 1937.
  • 1938 les Sudètes
    Hammerstein aurait été prêt à participer à un putsch lors de la crise des Sudètes en 1938, mais les accords de Munich ont mis fin au plan.

Chez Hammerstein Breisacher Str., lieu de rencontre de la résistance au nazisme

Breisacher Str. 19 photo U. S.

Cette maison était un lieu de rencontre de la résistance au nazisme avec Ludwig Beck, Carl Goerdeler, Martin Niemöller, Otto Gessler, des gens qui débattent sur la situation politique. Il reste hostile au « régime de coquins et de fripouilles », mais ne voit pas comment lutter contre le bourrage de crâne sur des millions de gens sans déclencher une guerre civile. En 1939, rappelé sur le front en Silésie, puis à l’ouest, sur le Rhin, il pense que la guerre voulue par Hitler sera perdue. Le 24 septembre 1939, il est mis à la retraite définitivement. Il participe à la préparation de l’élimination de Hitler, même s’il pense qu’un attentat serait mal compris par les Allemands qui ne voient pas dans quel abîme il les entraîne, et qu’en cas d’échec, les nazis élimineraient tous leurs adversaires. Il rencontre des opposants au cours de parties de chasse, prévient des gens menacés d’arrestation.
KvH parle en famille dès le printemps 1942 des meurtres de masse organisés. En décembre 1942, il apprend par une cousine à Lemberg que les juifs sont tués par le gaz. La conférence de Wannsee est secrète. Les officiers en sont réduits à des récits de témoins oculaires en provenance de l’Est.

Hammerstein décède le 24 avril 1943. Pour ne pas avoir de funérailles officielles et un drapeau à croix gammée sur son cercueil, son entourage le fait enterrer dans le cimetière familial à Steinhorst.

  • Attentat du 20 juillet et Sippenhaft (détention pour compromission familiale), pour servir de monnaie d’échange selon un plan de Himmler.
    L’Attentat du 20 juillet 1944
    La Gestapo qui fonctionne grâce aux dénonciations, recherche tous les membres de la famille Hammerstein. L’épouse et les deux enfants les plus jeunes sont internés pour compromission familiale à la place des deux fils, Ludwig et Kunrat qui ont participé à l’attentat. Les otages, plus de 130 de 17 nations, des parents des familles de la résistance allemande, des parents des conjurés du 20 juillet, des politiques, des officiers, des fonctionnaires, des prêtres, escortés par des SS, après divers camps de concentration, sont envoyés dans la « forteresse des Alpes » dans le Tyrol du sud.
    Bogislaw von Bonin, lui même otage, fait appel au capitaine de la Wehrmacht Wichard von Alvensleben pour les libérer des SS. Ils sont logés à l’hôtel "Pragser Wildsee", les Américains arrivent le 4 mai.
    La famille se retrouve en 1945. Personne ne met en avant son action dans la résistance. Aucun membre de la famille n’a été nazi.

Hans Magnus Enzensberger n’est pas un historien, mais il n’écrit pas un roman. Il a consulté de nombreuses sources, dont des archives familiales, des témoignages.
Il utilise un procédé intéressant « le dialogue avec les morts », imaginant des interviews pour préciser le comportement des protagonistes.
Un livre passionnant.

Hommage aux résistants du 20 juillet, photo U. S.

Hans Magnus ENZENSBERGER, Hammerstein oder der Eigensinn. Eine deutsche Geschichte, Frankfurt am Main, 2008
Hans Magnus ENZENSBERGER, Hammertstein ou l’intransigeance : une histoire allemande, trad. Bernard Lortholary, Paris, Gallimard, 2010, Folio, 2016

Mémoires de Berlin par Etienne François

Attentat du 20 juillet, photo U. S.

N.M.et U.H.

[1Lüttwitz, chef d’état-major de la IVe armée allemande du front ouest en 1914, réprime les Spartakistes avec l’aide de corps francs. Opposé au traité de Versailles, il participe en 1920 au putsch de Kapp qui est mis en échec par une grève générale. Il est amnistié par Hindenburg.

[2Truppenamt bureau des troupes, correspond à Großen Generalstabs. Il est chef d’ état-major général, mot interdit par le Traité de Versailles.