Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

Les adolescents soldats d’Hitler, Baby Division

analyse du documentaire par Jacqueline Duhem
vendredi 13 mars 2020

Quatre-vingt six habitants de la petite cité d’Ascq, près de Lille, sont exécutés en représailles à un sabotage par des membres de la 12. SS-Panzer-Division Hitlerjugend.

Analyse du documentaire sur la 12. SS-Panzer-Division Hitlerjugend intitulé «  Baby Division, les adolescents soldats d’Hitler »

Ce documentaire de 53 minutes, dont le réalisateur est Julien Johan, a été diffusé le 18 février 2020 sur France 2, dans le cadre de l’émission Infrarouge.

Les vingt-deux premières minutes de ce documentaire sont consacrées à la création de la division en 1943, à la formation des jeunes recrues puis au transfert, à bord d’un convoi ferroviaire, d’une partie de l’Aufklärungs-Abteilung (bataillon blindé de reconnaissance) à destination de la Normandie le 1er avril 1944. Durant le transport, une partie des Waffen-SS de ce convoi va exécuter quatre-vingt six habitants de la petite cité d’Ascq, près de Lille dans le nord de la France, en représailles à un sabotage de la voie ferrée par un groupe de résistants, qui ne visait pas ce convoi, sabotage qui a provoqué un léger déraillement sans conséquence [1].

La suite du documentaire, jusqu’à la quarante-neuvième minute, est longuement consacrée à la participation de cette division aux combats en Normandie, après le débarquement allié du 6 juin 1944, durant lesquels certaines unités exécutent des prisonniers de guerre canadiens. Quelques minutes sont consacrées aux représailles contre des civils dans l’Aisne et en Belgique lors du repli des restes de la division vers l’Allemagne en septembre 1944.

Enfin les quatre dernières minutes présentent d’abord des images du procès, en décembre1945, de Kurt Meyer, l’un des commandants de la division, puis celui, en août 1949 à Lille, de dix-sept anciens SS du convoi qui avait subi le sabotage à Ascq.

Le commentaire, les photos colorisées et les extraits d’archives cinématographiques sont entrecoupés par des interviews récents d’anciens membres de la division.

Malheureusement, ce documentaire accumule un certain nombre d’imprécisions et aussi d’erreurs et pèche par le recours presque constant au « sensationnalisme ».

Déjà le choix du titre, la « Baby Division », est « accrocheur » : c’est apparemment les Alliés (canadiens ?), comme cela est affirmé dans le documentaire, qui l’ont surnommée ainsi en raison du jeune âge des recrues. Mais il est faux de dire que ces jeunes ont été recrutés à l’âge de 15 ans alors qu’il s’agit de jeunes gens nés en 1926 et donc âgés de 17 ans. Le recours par les nazis à des adolescents de 15 ans n’intervient qu’à la fin de la guerre en mars-avril 1945. On a aussi la surprise de voir Kurt Meyer, qui a été nommé Standartenführer (colonel) à la tête d’un régiment de la 12e division SS, être présenté comme étant le commandant dès la création de la nouvelle division alors qu’il s’agit, jusqu’au 16 juin 1944, du SS-Oberführer Fritz Witt. En effet, celui-ci est tué lors d’une attaque aérienne alliée durant les combats en Normandie et remplacé, seulement à ce moment-là, par Kurt Meyer. Le lieu d’entraînement de la division, avant son départ pour la Normandie, n’est jamais indiqué alors qu’il se situe en Belgique occupée dans un camp militaire au nord-est de Bruxelles. A partir du 1er avril 1944, des convois ferroviaires vont ainsi se succéder à partir du nord de la Belgique afin de transporter la division vers la Normandie alors qu’une carte du documentaire veut nous faire croire qu’une partie des membres de la division est aussi acheminée à partir de l’Alsace et de la région de Berlin...

Le choix de certaines archives cinématographiques pose aussi problème, en particulier concernant le massacre d’Ascq : le réalisateur a utilisé un extrait documentaire montrant des wagons en feu et des flammes ravageant la petite ville (supposée) d’Ascq alors qu’il n’y a jamais eu d’incendie.

Revenons, pour terminer, sur le côté « sensationnaliste » de ce documentaire. Kurt « Panzer Meyer » en est la « grande vedette », aussi bien dans les images d’archives présentées, que dans les interviews des anciens Waffen-SS. On constate dans le commentaire une volonté délibérée de présenter la 12e division SS Hitlerjugend et ses jeunes Waffen-SS comme étant la division SS ayant fait preuve d’une « cruauté inouïe ». Il nous est asséné qu’« en créant une armée d’adolescents, Hitler a enfanté un monstre » et que « le monstre est lâché sur les routes de France »... En quoi ces propos, d’ailleurs fort caricaturaux, ne pourraient-ils pas être appliqués aussi à d’autres divisions SS, en particulier à la 1ère division Leibstandarte SS Adolf Hitler, à la 2e division SS Das Reich et à la 3e division SS Totenkopf coupables d’atrocités en Europe de l’est mais aussi à l’Ouest, pour la Totenkopf en mai 1940 dans le Nord-Pas-de-Calais et pour Das Reich dans le Limousin à Oradour-sur-Glane en juin 1944  ? De plus, la « cruauté » n’a pas été le seul fait de militaires de divisions de Waffen-SS puisque des atrocités ont été aussi commises par des unités de l’armée régulière, la Wehrmacht [2].

On aurait souhaité que le conseiller historique fasse preuve d’un peu plus de rigueur lors de l’élaboration de ce documentaire afin d’éviter ce genre de dérive.
Jacqueline Duhem

[1Duhem Jacqueline, Ascq 1944, l’Oradour du Nord, Les Lumières de Lille, édition complétée 2020

[2Leleu Jean-Luc, La Waffen-SS, Soldats politiques en guerre, Perrin, 2007 ; Duhem Jacqueline, Crimes et criminels de guerre allemands de 1940 à nos jours dans le Nord-Pas-de-Calais, Les Lumières de Lille, 2016