Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

Survivre pendant les Marches de la mort ?

dimanche 14 septembre 2014

« Nous soutenions celles qui s’effondraient ... Quand une camarade faiblissait, on la mettait au milieu de la rangée pour la soutenir et la cacher au regard des gardes. C’était à tour de rôle » Ida Grinspan

III. Comment survivre dans ces conditions ?

A –Évasions (c’est-à-dire les divers moyens d’échapper à la « marche » infernale)

Les déportés, pour la plupart, viennent de pays, de régions éloignés de ceux de leur camp, de leur trajet et donc ne peuvent pas se repérer ; en outre, pour le plus grand nombre, ils ne parlent pas le polonais ou l’allemand. Les tentatives d’évasion sont de ce fait très hasardeuses et dépendent des opportunités.

Henry Bulawko précise que durant la nuit à travers champs, il y eut quelques tentatives de fuite. « Quelques unes réussirent, dont celle de mon ami Robert Sussfeld qui, bien que blessé, put rejoindre les soldats russes qui le dirigèrent sur un hôpital. Et celle de Hugues Steiner qui, recueilli par l’Armée Rouge, l’accompagna à Berlin ». [janvier]

Jean-louis Steinberg affirme que « huit camarades se sont évadés grâce aux contacts que l’organisation de résistance du camp avait établis avec la résistance polonaise ... Ces camarades se sont cachés dans des fermes polonaises et ont été libérés par l’Armée Rouge quinze jours plus tard ». [janvier]
Gilbert Michlin raconte que lors de la première nuit dans la grange de Nikolaïev, deux détenus (un juif polonais et un juif autrichien [1] se cachent et s’enfuient. Ils le peuvent, parlant polonais et allemand. Gilbert est persuadé qu’eux, Français, auraient été dénoncés dès la première rencontre avec des civils polonais. [janvier]
Dans le livre de Maurice Cling est racontée l’évasion de Frédo : « Comme il a été informé de l’ordre de déshabiller et de jeter les cadavres par-dessus [le bord des wagons découverts] ... il lui vient une idée folle : se mettre nu et se faire jeter à l’extérieur ... [Comme] il a observé que les SS postés en queue du train tirent une rafale de mitraillette en direction des cadavres ... il décide de profiter d’une courbe pour éviter d’être repéré ... il est donc saisi par les pieds et les mains et jeté dans la neige qui amortit sa chute ... Au bout du train, la rafale part machinalement de la mitraillette et le rate de quelques centimètres. Le train s’éloigne ... » Il est accueilli au bout de quelques heures de marche par un couple qui le nourrit puis appelle les gendarmes ! [2] [janvier]

Henri Graff, lors de sa deuxième « marche de la mort », constate que la colonne s’est distendue. A la tombée de la nuit Henri remarque que, dans un virage à épingle à cheveux, il ne voit de SS ni devant, ni derrière : il se laisse tomber dans un fossé assez profond et reste environ 2 heures. Il part ensuite perpendiculairement au trajet suivi par la colonne. Il a couché par terre sans savoir où il était. Au lever du jour il rencontre un autre évadé, un Russe, prisonnier de guerre. Ils se séparent pour sauvegarder leurs chances. Il a erré 3 jours et 3 nuits. Il déterrait des pommes de terre mangées crues. Une jeune mère allemande lui donne la tartine que son enfant avait entre les mains. Il tombe sur des travailleurs français (STO) ; l’un d’eux lui fournit des vêtements, un morceau de pain et lui indique la direction pour trouver les Américains. Il croise 4 soldats allemands et leur sous-officier : il prétend être employé par la ferme à portée de vue ; les soldats attendent qu’il entre dans la ferme, ce qu’il fait, et il y obtient l’autorisation de manger la gamelle du chien. Les soldats étant partis, il reprend son chemin. Il vole le sac à dos d’une sentinelle allemande faisant les cents pas (il y trouve du pain, des conserves, un miroir, des cartes, un nécessaire de toilette ...). Il arrive près de maisons avec des drapeaux blancs au fenêtre et rencontre ses premiers soldats américains – parfaitement ivres ![printemps]
Marche de la mort, évacuation d’Auschwitz I, janvier 1945

Albert Bigielman précise qu’à l’occasion d’arrêts en rase campagne « trois ou quatre femmes sans enfant sont parties ». [printemps]
Maurice Lisiak raconte : au moment du départ de Blechhammer, il se cache sous un matelas en paille dans une « chambre noire où des lits à trois étages étaient alignés » : « mourir pour mourir, je préférais rester là ». Bruits des ordres de départ ; puis le silence et « un instant plus tard le bruit des pas militaires » : un SS vient fouiller les lieux, couche après couche ... et oublie de vérifier celle où est Maurice. Maurice parle du miracle à Blechhammer : le SS, « l’Ange de la mort », l’a laissé et est parti sans le trouver. Le lendemain ils étaient une dizaine de survivants dans le camp qui assistèrent à l’arrivée des Soviétiques. [janvier]

Le livre de Suzanne Maudet est consacré à l’évasion de neuf « filles jeunes ». Elles ont profité d’un moment où « derrière nous, pas de SS en vue ; ils sont loin devant. Nous nous regardons rapidement et notre décision est prise aussitôt ... Précisément sur notre gauche, un chemin creux s’enfonce dans la campagne. Nous nous y engouffrons toutes les neuf et marchons bon train. » [printemps]

B – Quelques facteurs d’espérance malgré tout
Primo Levi décrit en quelques pages la fébrilité voire l’euphorie des déportés à l’annonce de leur départ le 16 janvier 1945 : « A travers les murs de la baraque, on percevait dans le camp une agitation insolite ... On voyait qu’ils avaient hâte de se trouver devant le fait accompli, avant que la peur ne les fît reculer ... l’Alsacien Kosman était agité et euphorique. Il me dit : si jamais tu arrivais avant moi, écris au maire de Metz que je suis sur le chemin du retour ... Alberto, lui aussi était joyeux et confiant, comme tous ceux qui partaient ... on s’attendait à quelque chose de grand et de nouveau ; on sentait finalement autour de soi une force qui n’était pas celle de l’Allemagne, on sentait matériellement craquer de toutes parts ce monde maudit qui avait été le nôtre ... »

Maurice Cling est dérouté par les brusques changements visibles dans son block, dans le camp le 17 janvier. « Le couloir est méconnaissable ... des détenus y circulent ... la porte est grande ouverte ... Dans le camp, on n’y sent plus d’autorité. L’effervescence est générale ... il règne une atmosphère de pagaille, et quasiment de débâcle ... on ne voit aucun brassard ... Des groupes discutent avec animation. Les lits sont bouleversés, des hommes sont assis sur les paillasses, affairés à coudre, à préparer des paquets, des « chaussettes russes », des couvertures ».

Sarah Montard évoque une forme d’allégresse au départ d’Auschwitz I : « En passant le portail surmonté de l’inscription « Arbeit macht freï » (le travail rend libre), j’ai ressenti comme un souffle de liberté car nous quittions le camp. Il faisait un temps magnifique. Le ciel était d’un bleu lumineux et la neige étincelait sous le soleil ... Je me souviendrai toujours de cette sensation de légèreté en prenant la route. Les « Posten » (les soldats de la Wehrmacht) qui nous encadraient semblaient également un peu plus détendus que d’habitude. » [janvier]

Maurice Cling raconte qu’au moment de sa sortie du camp « apparaissent des détenues qui s’avancent au pas comme à la parade, en colonne par cinq et en se tenant bras dessus bras dessous, et – pour comble – chantant à tue-tête. Ce sont sans doute des Polonaises ou des Russes, d’après les sonorités aiguës de leur chanson. Elles sont la détermination et le courage incarnés. » [janvier]

L’état des gardiens pendant la marche est d’ailleurs parfois un motif de satisfaction.

Gilbert Michlin évoque les « gardes harassés » au redémarrage du 2ème jour dont la vue donne du courage [janvier]

Léon Zyguel raconte que pendant la marche, ils ont été doublés par des soldats allemands en retraite ; certains étaient blessés ; tous semblaient épuisés. Après un premier sentiment de satisfaction face à cette défaite allemande, un deuxième sentiment, de compassion cette fois, a surgi ce qui aujourd’hui fait penser à Léon qu’il était de fait victorieux des nazis, puisqu’il était resté un humain capable de sensibilité. [janvier]
Suzanne Maudet constate qu’à la halte de Wurzen des hommes de Buchenwald et des femmes de Taucha sont déjà présents. « Et ce spectacle – sinistre au fond – d’individus sales et fatigués , immobilisés dans un sommeil sans repos ... nous remplit d’une joie bizarre : faut-ils que les Allemands soient aux abois pour convoyer au hasard des routes des foules aussi importantes d’étrangers ... comme les fourmis surprises par la destruction de la fourmilière traînent fébrilement en tous sens des oeufs plus gros qu’elles ». [printemps]

Beaucoup de déporté-es signalent leur joie à la vue, « au passage », des dégâts provoqués par les bombardements alliés.
Toutefois les trains des déportés sont aussi des victimes collatérales de ces bombardements. Albert Bigielman indique que des draps blancs sont étalés sur le toit de certains wagons pour éviter les mitraillages alliés. [printemps]

C - Déshumanisation mais aussi solidarités

Les marches de la mort ont presque réussi à totalement déshumaniser les déportés comme le voulaient les nazis. « L’humanité luttant pour vivre aux frontières de la mort n’est pas belle à voir » constate un déporté.

Liliane Lévy – Osbert
est, une fois de plus, d’une terrible efficacité pour analyser cette situation : « Tout raisonnement est exclu de nos pauvres têtes. Le vide, le non-conscient. Dépeuplés, desséchés, dépouillés, nos pauvres cerveaux. Nous ne pensons à rien ... Qu’est devenue notre sensibilité, notre compassion, notre solidarité ? .... Ils ont gagné, nous ne sommes plus des humains » . [janvier]
Gilbert Michlin raconte que lorsqu’ils doivent monter dans le train, ils sont plus de 100 pour un wagon. Ils doivent donc rester debout, d’où nouvelle terrible bagarre (à laquelle Gilbert ne participe pas, non par considération morale, mais par conscience de son infériorité physique par rapport aux Polonais et aux politiques) ; « Les coups n’ont qu’un but : tuer celui à qui on le porte » ; une vingtaine de corps jonche le sol du wagon (ce qui va protéger les corps squelettiques du contact du bois). [janvier]
Henry Bulawko observe que durant la nuit dans la baraque, quelques uns en profitent pour « piller les plus faibles, les achevant au besoin » . [janvier]
Maurice Cling, qui vient de recevoir un colis au moment d’être évacué, « pose son colis entre ses pieds. Quelqu’un lui adresse la parole tandis qu’on lui subtilise le carton par derrière ... Quand il découvre le désastre, la colère contre les voleurs et la rage contre lui-même l’emportent un moment sur sa hantise de la liquidation massive du « transport. » [printemps]
Francine Christophe précise que, lorsqu’il faut « partager » les quelques orties et autres « aliments » récupérés au bord de la voie ferrée, une bagarre se déclenche entre les déportés : « Nous sommes devenus des loups ». Lors d’une alerte, les gardiens se terrent peureusement et des Grecs pillent un wagon de vivres militaires. « Nous nous battons tous, mais nous sommes moins fortes que ces hommes devenus sauvages par trop de privations, et quand nous touchons au butin, il ne nous reste plus que des paquets de lessive ! ». A un autre moment un Hollandais roue de coups la mère de Francine qui lui avait demandait de ne pas écraser sa fille en dormant.
Elle indique aussi que ceux qui meurent pendant le trajet sont passés par la fenêtre ; « nous semons des cadavres comme le Petit Poucet semait des cailloux » ; une Hollandaise devient folle et tente d’étrangler son enfant. [printemps]
A Gross Rosen, Henri Graff trouve un pilier pour s’appuyer et « casse la gueule » à un co-détenu qui lui avait pris sa place : « On était devenus des loups » . [janvier]
Quand des pains leur sont envoyés près de Prague, c’est la bagarre pour les attraper ; Sam Braun trop faible, trop malade n’a rien pu avoir ; il a glissé et a été piétiné par ceux qui essayaient d’avoir du pain. [janvier]
D’après Robert Antelme, quand l’épuisement est extrême, après six jours de marche, « on ne parvient plus à se maintenir en place à côté des copains ; ce lien élémentaire ... on n’a plus la force de l’entretenir. Plus la force non plus de parler ... chacun est seul » [printemps]
Toutefois des exemples de compassion, d’aide mutuelle rassurent sur les immenses capacités de quelques uns à rester des humains malgré tout.

Ne pas être seul-e est un facteur de résistance très important.
Sarah Montard insiste sur la « chance » exceptionnelle qui fut la sienne : retrouver sa mère dont elle avait été séparée deux mois et demi avant la marche de la mort, quand elle avait été expédiée depuis Birkenau à Auschwitz I : « La première nuit [de la marche de la mort] ... j’ai réussi à me faufiler [à l’intérieur d’une grange]. Il faisait noir. J’ai trébuché sur un corps allongé ... C’est une Française ... Après nous être identifiées l’une l’autre, elle m’a dit que ma mère était dans le convoi, mais en queue. Le lendemain matin, j’ai donc couru à contre-sens pendant que ma mère, prévenue également, courait en avant. Nous nous sommes retrouvées à peu près au milieu du convoi et nous nous sommes juré en pleurant de ne plus jamais nous laisser séparer. Je pense que c’est grâce à ces retrouvailles que nous avons survécu l’une et l’autre ». [janvier]

Suzanne Maudet raconte : « samedi 14 avril 1945, Leipzig-Schönefeld ... deux heures du matin ... Zinka s’accroche à mon bras gauche ; mon bras droit se cramponne à Lon ; Mena tient Lon ; Guillemette tient Mena ... Tout est bien : depuis que le départ est annoncé, depuis quatre heures environ, nous tremblons d’être séparées ... nous savons fort bien que nous irons ensemble n’importe où, même au but le plus horrible – et personne, au fond, ne connaît le but de cette marche étrange – pourvu que notre rang reste ce qu’il est, ce que neuf terribles mois l’ont fait ».

des amies s’organisent pour dormir en marchant :
 Liliane Lévy – Osbert précise : nous marchons 3 par 3 ; « Tel un automate, celle du milieu ferme les yeux, tombe dans l’inconscient, dort ... ». De même Nadine Heftler raconte que soutenue par Estelle et vice-versa, elles ont marché en dormant. [janvier]
Les entraides peuvent être matérielles ou/et morales :

  Ida Grinspan raconte qu’une camarade, à qui on avait apporté un pain avant l’évacuation, a partagé ce pain avec Ida et une autre compagne jusqu’à ce qu’elles soient séparées. Elle rappelle aussi que la fille qui se trouve en bord de rang attrape la neige et la passe aux filles plus à l’intérieur.

« Nous soutenions celles qui s’effondraient ... Quand une camarade faiblissait, on la mettait au milieu de la rangée pour la soutenir et la cacher au regard des gardes. C’était à tour de rôle ». [janvier]
 
 Léon Zyguel précise : pendant les 12 jours de marche, aux arrêts, les déportés se serrent et veillent à ce que personne ne s’endorme (en les stimulant, les bousculant) car s’endormir c’était mourir gelé. Lorsque le frère de Léon est prêt à se laisser mourir lors d’un arrêt, c’est la parole de Léon qui le décide à continuer : « on ne reverra plus ni notre soeur, ni notre père. Il faut qu’on revienne tous les deux pour notre mère ». [janvier]

Maurice Lisiak insiste sur la solidarité constante : « les plus résistants soutenaient les affaiblis et les tiraient, littéralement, sur le verglas ». Les conscients attachaient celui qui perdait la raison entre deux camarades, le traînaient, l’empêchaient d’être achevé sur le bord de la route : « Personnellement, j’ai été sauvé par Léon Slomka et Isaac Pankowski qui m’encadraient en attachant mes poignets aux leurs, exposant leurs vies pour sauver la mienne ». [janvier]

Nadine Heftler souligne la complexité des situations en analysant, à quelques pages d’intervalle, des cas de solidarité et des cas d’obsession de sa seule survie : à partir du 18 janvier 1945 elle n’a eu pour toute nourriture qu’« une mince tranche, terriblement fine » que lui avait donnée une prisonnière qui avait pillé, ainsi que d’autres, la réserve de pain avant de partir. Le 23 janvier, alors qu’elle est sur les routes depuis cinq jours, elle reçoit d’une autre prisonnière « une betterave à bestiaux, complètement gelée ». [janvier]
Mais Nadine affirme plus loin que la lutte pour la vie est âpre, « elle dépend d’une bouchée de pain. Et dans un contexte si extrême la loi du plus fort l’a emporté sur la solidarité ». Ainsi quand un peu de pain et quelques petits pains au lait sont donnés par des STO ou des civils allemands, ce sont des bagarres désespérées : « des quantités de bras démesurément longs, tendus à l’extrême, provenant de têtes hagardes et livides, complètement décharnées dont on ne voyait que la bouche et deux yeux terriblement exorbités, et au bout de ces bras, des mains nerveuses et maigres, dont les cinq doigts étaient écartés comme pour avoir plus de chances d’obtenir quelque chose ». Et quand « quelques-unes déballent devant nous pain et saucisson ... personne ne nous offre quoi que ce soit. » [janvier]
Outre la solidarité entre déportés, les civils ont pu faire preuve de compassion :

Sam Braun évoque avec d’autres une scène mémorable : dans une gare avant Prague des femmes voient passer les trains aux wagons découverts emplis d’individus squelettiques ; et des trois passerelles suivantes, noires de monde, on leur jette des pains. [janvier]
 Gilbert Michlin précise : lors du transfert en wagons découverts, à Prague, depuis un pont, des personnes « nous lancent du pain, des miches entières. Les cris sont des encouragements. Puis le silence. Notre émotion est immense, nous submerge. J’avais oublié ce qu’était un geste simplement humain. » [janvier]
 Sam Braun complète : lorsque les Tchèques lançaient du pain, les SS leur ont tiré dessus. « Mais ils continuaient à nous jeter du pain et les SS continuaient à tirer sur eux ». [janvier]
 Cet épisode est aussi relaté par Simone Veil : Dans les faubourgs de Prague, « les habitants, frappés par le spectacle de cet entassement de morts vivants, nous ont jeté du pain depuis leurs fenêtres. Nous tendions les mains pour attraper ce que nous pouvions. La plupart des morceaux tombaient par terre ». [janvier]
Ces récits identiques de déporté-es qui n’étaient pas dans les mêmes convois sembleraient signifier que des Praguois s’étaient « organisés » pour être présents sur les ponts lors de chaque passage de train, et ce malgré les risques de mort encourus !
 Robert Antelme et ses compagnons de wagon à bestiaux obtiennent de civils (un cheminot, une femme) dans une petite gare tchèque des paquets : des tranches de pain « grandes comme la moitié de la main et épaisses de deux doigts », des cigarettes (une pour sept). [printemps]
Ainsi les Tchèques apparaissent-ils comme solidaires des déportés, quels que soient les moments où ils les croisent.
Léon Zyguel raconte, lui, l’intervention de civils polonais : deux jours avant Gross-Rosen des paysans ont apporté des charrettes de pommes de terre cuites à l’eau : avidité pour manger ; les SS tirent pour rétablir l’ordre ; une fois les cadavres retirés, ils ont mangé les pommes de terre pleines de sang.[janvier]
Nadine Heftler évoque des STO et des civils allemands qui, apitoyés, leur donnent du pain et des petits pains au lait.[janvier]
Mais l’attitude la plus commune est toute autre :

Henry Bulawko écrit que, quand ils traversent des villages, « les gens s’enfuient à notre approche. Ceux qui nous croisent nous regardent avec pitié, impuissants à exprimer d’autres sentiments ». [janvier]
Sam Braun précise : quand on traversait des villages, les gens semblaient se cloîtrer derrière leurs fenêtres (nous étions en Pologne ou en Tchécoslovaquie). [janvier]
Léon Zyguel, devant l’absence de tout civil pendant la marche, pense que le trajet a été vidé des habitants le temps du passage de la colonne. [janvier]
Robert Antelme décrit un hameau : « devant [les maisons], quelques femmes, des petits enfants ... On ne voit pas d’hommes ... Les hommes du hameau doivent être au front ... Le village presque désert, la passivité de ces femmes, la colonne qui passe, c’est le signe de la défaite ». Plus tard, quand ils traversent une ville, il note : « Contre les vitres apparaissent des figures de femmes ... Il y en a qui rient en montrant l’un de nous du doigt ... D’autres sont atterrées et mettent la main devant leurs yeux ». [printemps]
Suzanne Maudet raconte : « Aux fenêtres des maisons, de toutes petites filles nous suivent d’un regard pensif ... des grands-mères auréolées de cheveux blancs agitent la main vers nous d’un air interrogateur et douloureux ». [printemps]
Aujourd’hui, dans les villages polonais jalonnant les trajets suivis par les marches de la mort, ont été installées des plaques commémoratives indiquant le nombre de morts relevés sur le bord des routes après le passage des colonnes de déportés. De même en Allemagne des cérémonies annuelles sont organisées dans de nombreuses communes et des marches symboliques pratiquées.

La suite : Comment expliquer ces Marches de la mort ?
Retour au début : Les Marches de la mort : la parole est aux témoins

[1ce « juif autrichien » est Paul Schaffer)

[2Frédo a alors été l’objet d’une instruction en bonne et due forme, livré tardivement aux SS, transféré à Mauthausen, libéré par les Américains, rapatrié par avion sanitaire à Paris.


Accueil | Contact | Plan du site | | Statistiques du site | Visiteurs : 1386 / 3127135

Suivre la vie du site fr  Suivre la vie du site Témoignages  Suivre la vie du site Les Marches de la mort   ?

Site réalisé avec SPIP 4.3.2 + AHUNTSIC

CC BY-SA 4.0