Jean Zay, assassiné par la Milice le 20 juin 1944 parce qu’il était un ancien ministre du Front populaire, républicain, d’origine juive, protestant et franc-maçon.
Conférence-débat, avec Olivier Loubes, professeur d’histoire en Khâgne à Toulouse, auteur du livre Jean Zay, L’Inconnu de la République, Armand Colin, 2012 et Hélène Mouchard-Zay, présidente du CERCIL, Centre d’étude et de recherche sur les camps d’internement dans le Loiret et la déportation juive, qui présentera les Écrits de prison de son père, Mercredi 4 décembre 2013 à 15h, Lycée Buffon, Salle Benoît - 16 boulevard Pasteur - 75015 PARIS, (métro Pasteur ou Sèvres-Lecourbe), entrée libre.
Petit cahier N° 22 : Jean Zay, une figure symbole de la République, en partenariat avec Ciné-histoire. Conférence-débat du Cercle d’étude du 4 décembre 2013 : conférence d’O. Loubes, témoigne d’H. Mouchard-Zay, textes de M. Braunschweig, J. Drogland, D. Gozlan, M-P. Hervieu, C. Monjanel, N. Mullier. Programmation et journée d’étude de Ciné-Histoire du 14 février 2012 autour du Massilia. PAF 15 euros. |
L ’ancien ministre Jean Zay, assassiné le 20 juin 1944 parce que républicain, laïque [1], juif et résistant, par Marie Paule Hervieu.
1- L’affaire Jean Zay. la république assassinée
Le livre écrit par l’avocat Gérard Boulanger et édité en 2013 est une remarquable enquête historique qui fait suite aux livres publiés sous la direction d’Antoine Prost Jean Zay et la gauche du parti radical, en 2003 et par Olivier Loubes Jean Zay, L’inconnu de la République, en 2012. Le titre de Gérard Boulanger est en référence à l’Affaire Dreyfus (1895-1898) parce que la mise en accusation de Jean Zay, à l’été de 1940, par le tribunal militaire de Clermont Ferrand, se fait sur les mêmes incriminations d’être d’origine juive et traître à sa patrie. Elle s’opère de même au terme d’une intense campagne de presse, menée sans défaillir par les tenants et héritiers de l’Action Française, émules de Charles Maurras, soit l’extrême droite « national-catholique » et son imaginaire militant de guerre civile. On pourrait ajouter que, comme le capitaine Alfred Dreyfus, Jean Zay, ancien député radical, ancien ministre mais aussi officier de l’armée française est condamné, au terme d’un procès politique et de la production d’un faux servant à justifier sa condamnation, à la double peine de la dégradation militaire et de la déportation à vie.
Le texte se développe en trois parties relatives « aux mots qui tuent », avec l’assignation répétée et réductrice de Jean Zay à son identité juive, côté paternel. Mais les responsabilités du maintien de Jean Zay en prison jusqu’à son assassinat le 20 juin 1944 sont aussi celles de l’État Français, du régime de Vichy, qualifié par l’historien Olivier Loubes de « dictature militaire ». Philippe Pétain, au premier chef, mais aussi les ministres François Darlan (à la Marine) et Joseph Barthélémy (à la justice), sont en première ligne dans toutes les formes de persécution endurées par Jean Zay, même si la responsabilité politique de son assassinat relève plus encore des ministres miliciens : Joseph Darnand, secrétaire général au maintien de l’ordre et Philippe Henriot, secrétaire d’état à l’information et à la propagande, arrivés au pouvoir en janvier 1944.L’on pourrait ajouter que la Justice de la Libération et des débuts de la 4ème République ne répare pas intégralement le scandaleux verdict du procès politique d’octobre 1940. Il faut attendre juillet 1945 pour que Jean Zay soit réhabilité et près de 5 ans pour qu’il soit rétabli dans l’ensemble de ses droits.
Si Jean Zay, né le 6 août 1904 à Orléans est d’ascendance juive par son père, Léon, républicain laïc, radical et franc-maçon, rédacteur de La France du Centre, il est protestant par sa mère, Alice Chartrain, institutrice, qui le fait baptiser, et par sa femme, Madeleine Dreux, qu’il épouse au Temple, en 1931.Ses choix politiques : le Radicalisme en 1925 et la Franc-maçonnerie, en 1926, sont ceux de sa double ascendance qui font de lui un républicain et un laïc, engagé à la gauche du parti radical. Le texte fait aussi référence à la personnalité et aux idées de Jean Jaurès, ainsi qu’aux conditions de son assassinat en 1914. C’est que Jean Zay partage avec l’illustre dirigeant socialiste, un parcours universitaire d’étudiants boursiers remarquables, l’un et l’autre lauréats du Concours général avant de devenir un brillant avocat, comme Jean Jaurès fut un grand professeur de philosophie. L’un et l’autre élus député du Tarn (Jaurès) et du Loiret (J. Zay), furent des figures majeures de la Gauche républicaine au début et à la fin de la Troisième République, attachés à l’unité de leur formation politique et à l’union des gauches radicale et socialiste. Enfin ils furent assassinés, à 30 ans d’intervalle, pour leurs idées et leur action politique, par de médiocres bras armés de l’Ultra-droite.
2. Le ministre réformateur [2] de l’Éducation nationale (1936-1939)
[Un ministre novateur et éducateur : Le 4 juin 1936, Léon Blum nomme Jean Zay ministre de l’ Education nationale et des Beaux-arts du premier gouvernement de Front Populaire.
https://www.lesamisdejeanzay.fr/un-ministre-novateur-et-%C3%A9ducateur NDLR ]
L’ assassinat politique du 20 juin 1944 oblige à remonter à une série de causes qui ont fait de Jean Zay, député radical et ministre du Front populaire, un adversaire puis un ennemi de l’extrême droite des années de crise puis d’occupation, de sa première élection au suffrage universel masculin, à Orléans, jusqu’à son refus de la demande d’armistice et du renversement de la République démocratique et laïque en juin et juillet 1940. Jean Zay a été élu député du Loiret, le 8 mai 1932, à l’âge de 27 ans.Il est réélu le 3 mai 1936 et devient conseiller général d’Orléans le 14 mars 1937, réélu le 17 octobre suivant. Choisi comme ministre de l’Éducation nationale et des Beaux-Arts, du 4 juin 1936 au 13 septembre 1939 dans les gouvernements Blum (socialiste), Chautemps (radical) et Daladier (radical), après une première participation dans le gouvernement Sarraut, il reste sans doute le ministre le plus représentatif du Front Populaire après Léon Blum.
Dès sa première élection en 1932, il est en butte aux attaques ad hominem, verbales et écrites, à caractère antisémite, de ses adversaires politiques, du Journal du Loiret, quotidien orléanais d’extrême droite aux mouvements d’ inspiration réactionnaire et/ou fasciste, comme Les Jeunesses Patriotes, les Camelots du Roi et la Cagoule, scission de l’Action Française. Il faut y ajouter la haine personnelle et politique que lui voue l’écrivain et le pamphlétaire antisémite, Louis-Ferdinand Céline, auteur en 1937 de Bagatelles pour un massacre et en 1938 de L’École des cadavres.
Gérard Boulanger a mené un long travail de recherche pour comprendre comment a pu être assignée à Jean Zay une identité de Juif déraciné, objet de haine et de vengeance, déjà à l’œuvre dans la persécution du capitaine Dreyfus. Il rappelle l’anti-judaisme catholique, les tribunaux de l’Inquisition, mais aussi la figure emblématique de Jeanne d’Arc, la « pucelle » d’Orléans, dont la hiérarchie catholique à fait, à la fin du XIXe siècle, une sainte et même une vierge, objet d’un culte national antithétique de toutes les valeurs de la République démocratique et laïque, héroïne dont le Maréchal Pétain se réclame et à laquelle il s’identifie, en 1940. La haine des journaux d’inspiration « national-catholique », Gringoire et Je suis partout, celle des journalistes et pamphlétaires comme Philippe Henriot, Lucien Rebatet et Louis Ferdinand-Céline, se déchaîne par le rappel incessant d’un écrit de 1924, non publié par le jeune Jean Zay, appelé Le Drapeau, pamphlet pacifiste, et même antimilitariste, alors que le député Jean Zay, alerté par les émeutes anti-républicaines du 6 février 1934, est tout à fait conscient du danger mortel que font courir à la paix et à la démocratie, les régimes fascistes, d’où son engagement public de la première heure, le 14 juillet 1935, dans la stratégie de Front populaire.
Devenu ministre de l’Éducation nationale et des Beaux -Arts dès le premier gouvernement de Léon Blum, il est dénoncé par ses adversaires politiques comme un laïc partisan de « l’École sans Dieu », alors qu’il s’agit, d’après Olivier Loubes, du ministre le plus réformateur depuis Jules Ferry. Jean Zay a prolongé la durée de la scolarité obligatoire jusqu’à 14 ans, il a encouragé les méthodes de pédagogie active (Célestin Freinet), il a décloisonné les niveaux d’enseignement (suppression des ordres inégalitaires pour les remplacer par les trois degrés de l’école unique) en facilitant les passages du primaire et primaire supérieur vers le secondaire, du collège au lycée et à l’université. Il a aidé socialement les élèves et les étudiants boursiers, il a développé la pratique du sport à l’école (le BSP : le brevet sportif populaire) et les activités dirigées, le plein air, avec le concours du sous-secrétaire d’état aux sports, aux loisirs et à l’éducation physique, le socialiste Léo Lagrange. Il a créé des structures d’information et d’orientation, à usage des jeunes et de leurs familles. Enfin il a élaboré un projet d’École nationale d’administration et, avec le secrétaire d’état, le physicien Jean Perrin, il a lancé l’idée de ce qui deviendra le Centre national de la Recherche scientifique (CNRS). Ministre personnellement attaché à l’École de la République, il a aussi augmenté le nombre des postes d’instituteurs (+5 241) et de professeurs (+225) et n’a pas pris de sanctions lourdes, comme la révocation contre des professeurs ayant participé à la grève générale du 30 novembre 1938. Au titre des Beaux-Arts, il a tenté d’organiser un festival des cinématographies des États démocratiques, à Cannes, prévu pour la première quinzaine de septembre 1939, face au festival de Venise, pris en main par l’État fasciste italien. Enfin il a fondé des établissements culturels d’avant garde : le Musée de l’Homme, le Musée d’Art moderne, et jeté les bases d’une phonothèque nationale, en même temps que s’opérait la rénovation de la Bibliothèque nationale.
[NDLR. Pierre Bertaux, en 1937 et 1938, est chef de cabinet de Jean Zay, ministre de l’Education nationale et des Beaux-arts, et, parallèlement, il enseigne à la faculté des lettres de Rennes, puis après avoir quitté le ministère à l’été 1938, à celle de Toulouse. Il n’a pu embarquer sur le Massilia.https://www.ordredelaliberation.fr/fr/compagnons/pierre-bertaux ]
3. Le républicain, patriote courageux (1939- 1940) et le procès politique d’octobre 1940
C’est en 1938, année de l’Anschluss (annexion de l’Autriche) et de la « Nuit de Cristal » (pogrom) que Jean Zay entre en sécession avec la politique de capitulation devant les coups de force et actes de persécution antisémite de l’Allemagne de Hitler. Jacobin, antimunichois, Jean Zay devient pour ses adversaires politiques un « belliciste » et donc un ennemi à abattre, et son destin rejoint alors celui de Georges Mandel.
À la déclaration de guerre, le 1er septembre 1939, alors qu’il n’est pas mobilisable, de par son statut de ministre, il démissionne de ses fonctions ministérielles pour s’engager comme volontaire, et il devient sous-lieutenant à l’état major du Train des équipages de l’Armée française. Son abnégation et son courage sont salués et reconnus par ses officiers supérieurs, lesquels témoigneront de son patriotisme à son procès d’octobre 1940. Suite à la retraite de l’armée française ordonnée par le général Weygand, le 12 juin 1940, il est replié dans le département du Puy de Dôme. C’est alors qu’il apprend l’arrêt des combats (17 juin), prélude à la signature de l’armistice, le 22 juin. Il est aussi averti d’une possible convocation de la Chambre des députés et du Sénat à Bordeaux. Il y arrive le 19 juin, puis décide de s’embarquer sur le Massilia, avec l’idée de continuer la guerre, à partir des colonies et protectorats français d’Afrique du Nord. L’embarquement se fait le 20 juin, en fin d’après midi, sur un bateau mis à disposition des Parlementaires par le ministre de la marine, l’Amiral François Darlan, avec le soutien du président de la République, Albert Lebrun et des deux présidents de chambre : Édouard Herriot et Jules Jeanneney. Jean Zay est alors chargé de mission par le ministre de l’intérieur du gouvernement Pétain, Charles Pomaret. Il retrouve à bord 27 parlementaires, dont quatre anciens ministres, personnalités connues de droite (Georges Mandel) et de gauche (Edouard Daladier, Yvon Delbos et Pierre Mendés-France), il est l’un des quatre députés mobilisés qui seront jugés et condamnés à l’été et l’automne 1940 (P. Mendès-France, P. Vienot et A. Wiltzer) et d’autant plus lourdement « sanctionnés » qu’ils sont de gauche ou pas, Juif ou non...
L’éloignement du Massilia qui fait route vers Casablanca, va fonctionner comme « un piège », comme l’écrivent Gérard Boulanger et Olivier Loubes et comme le filme Virginie Linhart dans Juin 1940, le piège du Massilia, tourné en 2011. C’est à dire qu’il se révèle comme la première tentative (réussie) d’élimination du « noyau dur de la résistance républicaine », celle des antimunichois, des adversaires de la signature de l’armistice et du nouveau régime de Vichy, en partisans de la République démocratique et laïque. Le gouvernement Philippe Pétain-Pierre Laval a besoin d’écarter du vote tous ceux qui auraient pu s’opposer à la remise des pleins pouvoirs au Maréchal Pétain, en ramenant la majorité absolue à 325 voix. Les 27 députés et sénateurs retenus en Afrique du Nord auraient pu s’ajouter aux quatre-vingts ayant voté non le 10 juillet 1940, outre les prisonniers de guerre, sans compter les ex-députés communistes déchus de leur mandat pour ne pas avoir condamné le pacte germano-soviétique. Il y a de la part du nouveau régime une politique de revanche sur le Front populaire et la République, qui peut prendre la forme d’un procès et / ou d’un assassinat politiques, comme celui de l’ancien ministre de l’intérieur du gouvernement Blum, le socialiste Marx Dormoy, le 25 juillet 1941 (par deux membres du PPF, le parti de Jacques Doriot et deux hommes de main de La Cagoule). Les 27 parlementaires embarqués sur le Massilia sont des hommes de gauche à 85% dont 7 anciens ministres du Front populaire, auxquels s’ajoutent trois députés de droite, dont l’ancien ministre, Georges Mandel, tous républicains et laïcs, et pas seulement « judéo-maçons » comme les définit la propagande d’extrême droite.
Arrivé au Maroc, Jean Zay apprend par la presse, le 25 juillet 1940 qu’il sera un des quatre députés mobilisés jugés par un tribunal militaire pour « abandon de poste », puis le 16 août, il est arrêté à Rabat, sous le chef d’accusation de « désertion en présence de l’ennemi » et transféré dans la prison de Clermont Ferrand, le 20 août. Interrogé à trois reprises, il comparait devant le tribunal militaire, le 4 octobre 1940 et il est condamné, au vu d’un faux produit par la hiérarchie militaire, un document tendant à démonter une « situation irrégulière » transformée en « acte de désertion ». L’avocat Gérard Boulanger excipe de documents commentés que le député Jean Zay, l’officier, n’a jamais cessé d’être en contact avec les autorités civiles et militaires, y compris sur le Massilia, qu’il s’est embarqué avec l’aval si ce n’est les encouragements des plus hautes autorités de l’État qui était encore celui de la Troisième République. On pourrait ajouter que l’embarquement sur le Massilia s’est fait trois jours après le départ pour Londres du général de Gaulle, et l’ arrestation de Georges Mandel pour détournements de fonds publics, accusation dont il est immédiatement lavé, trois jours après l’annonce publique de la demande d’armistice et deux jours avant sa signature. L’inculpation de « désertion en présence de l’ennemi » est d’autant plus irrecevable qu’à la date retenue, Jean Zay était replié, avec son unité, à Saint Flour, soit à 180 kilomètres du front. Cela n’empêche pas qu’au terme d’une très courte délibération, il soit condamné à la dégradation militaire et à la prison à vie, ce qui en fait d’après l’expression d’Olivier Loubes le « Dreyfus de Vichy ».
4- L’emprisonnement et la mise à mort de Jean Zay (1940-1944)
La double condamnation de Jean Zay n’appelle aucun recours en grâce, pour un gouvernement de Vichy, qui via le Commissariat Général aux Questions Juives, établit dans une lettre du 12 janvier 1941 que le prisonnier Jean Zay doit être considéré comme étant de « race juive ». S’il est transféré à Marseille, en attente de déportation, du 6 décembre 1940 au 7 janvier 1941, il ne peut, du fait de la conjoncture de guerre navale, être transféré en Guyane, comme Dreyfus, il est donc ramené à la maison d’arrêt de Riom.
C’est aussi à Riom que s’ouvre le 19 février 1942 le procès politique intenté par le régime de Vichy à Édouard Daladier, Léon Blum et Maurice Gamelin, fauteurs de guerre et responsables de la défaite, en tant que responsables politiques. Chefs d’accusation qui tournent à la confusion des accusateurs, ce qui contraint à ajourner le procès le 11 avril, mais qui offre à Jean Zay l’opportunité de faire imprimer par le journal La Montagne des comptes rendus du procès, comme les admirables discours de Daladier et de Blum, retournant contre leurs adversaires les preuves de leur incompétence et de leur trahison. Il semble aussi, d’après les recherches menées par l’historien Benoît Verny, que Jean Zay ait été en contact avec le mouvement de résistance OCM (Organisation civile et militaire). C’est que Jean Zay résiste avec le recours aux mots et analyses, dans ses Souvenirs et solitude, assumant ce qu’il est et ce qu’il a fait, préparant l’avenir avec des projets de réformes.
À son statut de prisonnier s’ajoute un état de mort civile, alors qu’il est privé de tous ses droits civiques et politiques : il est radié de l’ordre des avocats du barreau d’Orléans, déchu de ses mandats de député et de conseiller général, diffamé sans droit de réponse par des journaux d’extrême droite qui excitent à la haine raciale et demandent le châtiment des « traîtres ». Ses biens sont pillés à Paris et à Orléans, spoliés par les Allemands. Des notes à caractère personnel lui sont volées, et après avoir été coupées et résumées, sont publiées dans l’hebdomadaire antisémite Je suis partout entre le 28 février et le 19 avril 1941, avec les commentaires de Lucien Rebatet et Robert Brasillach. Puis ses notes sont diffusées dans la Zone dite libre par le journal de Philippe Henriot, Gringoire. C’est le même futur milicien qui fait éditer les Carnets secrets de Jean ZAY, opération politique à caractère délictueux.
L’assassinat de Jean Zay est perpétré dans un contexte de relance de la campagne d’opinion, avec la publication d’un pamphlet rédigé par trois « auteurs » de l’Institut d’étude des questions juives : Maurice-Yvan Sicard, Henry Coston et Georges Montandon (lesquels furent condamnés à la Libération aux travaux forcés puis graciés). Ce texte est analysé par l’historien Antoine Prost comme étant « un appel au meurtre ». D’après le Jugement rendu le 24 février 1953 par le tribunal militaire permanent de Lyon à l’encontre de Célestin Desbard, Charles Develle, Henri Milou et Jocelyn Maret, les assassins sont des hommes de main de l’État
milicien. Ils agissent sous couvert de Joseph Darnand. L’ancien cagoulard devenu pétainiste a fondé, fin janvier 1943, la Milice Française. Il est nommé secrétaire d’état au maintien de l’ordre puis secrétaire d’état à l’intérieur le 14 juin 1944. Dès janvier 1944, il concentre des pouvoirs de police et de justice et s’entoure de miliciens comme son directeur de cabinet, Raymond Clemoz [3]. Il semble qu’ils aient été choisis par Francis Bout de l’An dit « Gueule cassée », secrétaire général de la Milice Française. Jean Zay est donc extrait de sa cellule, le 20 juin 1944, avec la complicité du directeur et du sous-directeur de l’Administration pénitentiaire, emmené en voiture et au terme d’une cinquantaine de kilomètres, arrivé à Cusset, dans le département de l’Allier, il est abattu d’une rafale de mitraillette [4]. Son corps est déshabillé, jeté dans une faille et camouflé, il ne sera découvert par des chasseurs que le 22 septembre 1946, et identifié, après l’arrestation de Charles Develle, le 5 avril 1948.
5-Mémoires et histoire de Jean Zay
La disparition brutale de Jean Zay amène sa femme à demander des informations et une enquête au chef de gouvernement, Pierre Laval. De nouveau, au sein du régime de Vichy, des atermoiements et un second faux, sans doute élaboré sous l’autorité du sous directeur des Renseignements Généraux, Pierre Poinsot, tendraient à démontrer que Jean Zay a été enlevé par des maquisards ! mensonge avec lequel ses assassins avaient déjà essayé de le tromper.
À la Libération, en juillet 1945, Jean Zay, dont le corps n’a pas été retrouvé, fait l’objet d’une réhabilitation officielle, il est « cité à l’ordre de la Nation » en 1946,et de multiples hommages publics lui sont rendus par l’Assemblée nationale et à la Sorbonne , mais ses meurtriers et leurs commanditaires ne sont toujours pas identifiés. En dépit de la lettre très argumentée écrite par Madeleine Zay à l’adresse du président de la haute Cour de Justice, Mongibeaux : le Maréchal Pétain, jugé et condamné en août 1945, n’est pas interrogé sur sa responsabilité de chef d’État dans l’assassinat politique de Jean Zay (Lettre qui fait écho à celles de Claude Georges-Mandel adressées à PH. Pétain et P. Laval).
Suite à l’arrestation du milicien, Charles Develle, le 17 mars 1948, le corps découvert le 22 septembre 1946, est identifié le 5 avril 1948 comme étant celui de Jean Zay, et il est enterré au cimetière d’Orléans. Son assassin est jugé par le tribunal militaire de Lyon, les 23 et 24 février 1953. Il est condamné aux travaux forcés à perpétuité, avec circonstances atténuantes. Ce qui pose la double question de la responsabilité politique des dirigeants du régime de Vichy : chefs d’état, de gouvernement et ministres, et de la responsabilité des journaux d’extrême droite qui ne cessèrent d’appeler au meurtre.
Si aujourd’hui « La vérité est en marche », on le doit d’abord à la volonté indomptable de Madeleine Zay et de ses deux filles : Catherine Martin-Zay et Hélène Mouchard-Zay et à une structure associative fondée en novembre 1946, « Les Amis de Jean Zay » présidée par Marcel Abraham, Jean Cassou et aujourd’hui Antoine Prost. Si Jean Zay a donné son nom à d’innombrables lieux de mémoire : plaques , stèles et monuments recensés par Olivier Loubes, sans compter les cinq lycées, vingt et un collèges et soixante-six écoles primaires et maternelles, il n’en a pas moins été pendant une longue période « L’Inconnu de la République ». Des initiatives plus récentes se sont multipliées, comme les rééditions du livre écrit par Jean Zay entre 1940 et 1944, et publié en 1946 : Souvenirs et solitude, jusqu’à sa parution en poche (Belin) en 2012. Au terme d’années de travail de recherche, deux excellents livres ont été publiés, celui de l’historien Olivier Loubes (Armand Colin, 2012) et de l’avocat Gérard Boulanger (Calmann-Lévy, 2013), sans oublier le Prix Jean Zay -République et laïcité- créé en 2005 , pour le centenaire de la loi de séparation de l’Église et de l’État, à l’initiative du Parti radical de gauche et remis en 2012 à l’historien Jacques Julliard. Il y a aussi les tentatives pour faire transférer le corps de Jean Zay au Panthéon [5]. Autant d’hommages rendus à un homme et à une personnalité politique qui fut assassinée en 1944, parce que le gouvernement de Vichy voyait en lui, comme l’écrit l’historien Antoine Prost « un symbole à la fois de la République et de la résistance à Hitler. »
Marie-Paule Hervieu, septembre 2013
L’ancien ministre Jean Zay, assassiné le 20 juin 1944 parce que Républicain laïque, Juif et Résistant, article de Marie Paule Hervieu en pdf :
Médiagraphie
Mémoire d’un homme, modernité d’une oeuvre :
http://www.cndp.fr/crdp-orleans-tours/jean-zay/
ZAY Jean, Souvenirs et solitude 1946, poche, Belin, 2012, 565 p.
CR : Jean Zay, « Souvenirs et solitude »
Zay Jean, Écrits de prison. 1940-1944 Belin, 2014, 1 054 p.
Jean Zay, père fondateur du CNRS avec Jean Perrin
https://lejournal.cnrs.fr/billets/jean-zay-cest-la-republique
https://www.academie-sciences.fr/fr/Colloques-conferences-et-debats/jean-zay-un-heritage-vivant.html
BOULANGER Gérard, L’Affaire Jean Zay : La République assassinée, Calmann-Lévy, 2013
LOUBES Olivier, Jean Zay, l’inconnu de la République, Éditions Armand Colin, 2012, 288 p.
http://clio-cr.clionautes.org/jean-zay-l-inconnu-de-la-republique.html
Films :
Dans la lumière de Jean Zay, Mariek Aucante
Un crime français, documentaire par Catherine Bernstein (coproduit par le CNRS), 53 min, Enquête sur la disparition de Jean Zay et son assassinat. « Interviennent au cours du film, les historiens Anne Simonin, Antoine Prost et Olivier Wieviorka, Caroline Piketty conservatrice aux Archives Nationales, Alain Ferrari, réalisateur du film »Milice, film noir« et les deux filles de Jean Zay, Catherine Martin-Zay et Hélène Mouchard-Zay (Cercil). »
Fiche du film :
http://videotheque.cnrs.fr/index.php?urlaction=doc&id_doc=2821
http://clioweb.canalblog.com/archives/2012/02/20/23568292.html
L’école est à nous ! ou comment Jean Zay révolutionna l’Éducation Nationale, documentaire de Stéphane Benhamou, 2015, 52 min. LCP mardi 26 mai à 20h35
- Jean Zay, ministre du cinéma (France | 2015 | 78 minutes)
Un film de Francis Gendron et Alain Tyr en collaboration avec Alain Braun Ciné-histoire
Le Massilia :
Le piège du Massilia en juin 1940, premières résistances, premiers procès politiques
L’affaire du « Massilia », Christiane Rambaud, Seuil, 1984, 253 p.
Virginie Linhart, Juin 1940 : le piège du « Massilia », 2010
Jean-Pierre Azéma, « 1940, l’année noire »
Le “Massilia” sans voile, un documentaire
A mort la gueuse, Gérard Boulanger
– « Les papiers de Jean Zay entrent aux Archives nationales », 8 juin 2010.
http://www.archivesnationales.culture.gouv.fr/chan/chan/pdf/jean-zay-simonin.pdf
– Colloque 5 décembre 2014
Programme université d’Orleans
Des écrits de Jean Zay et sur Jean Zay, avec une biographie de Jean Zay par Par C. Piketty et E. Landgraf :
http://www.archivesnationales.culture.gouv.fr/chan/chan/pdf/jean-zay-simonin.pdf
http://irice.univ-paris1.fr/IMG/pdf_Jean_Zay_VDF.pdf
Le portail européen des archives, les procès :
https://www.archivesportaleurope.net/ead-display/-/ead/pl/aicode/FR-FRAN/type/fa/id/FRAN_IR_028000/dbid/C47091830
Cf.Gallica, Le Journal des débats : http://gallica.bnf.fr
Pour prolonger le sujet
Lien avec l’actualité :
Aujourd’hui, des attaques insupportables et scandaleuses, à caractère raciste, ont été portées et continuent de l’être, soit oralement, soit par écrit, contre deux ministres de la République qui sont aussi des femmes politiques : Christine Taubira et Najat Vallaud-Belkacem. Ces injures racistes nous rappellent les agressions physiques et verbales à caractère antisémite qui ciblaient, pendant le Front populaire puis l’Occupation, le président du Conseil Léon Blum et le ministre de l’Éducation nationale Jean Zay.
La revue « Histoire » n° 334 de septembre 2008 présente un article d’ Olivier Loubes : « Des enfants d’étrangers expulsés bien que scolarisés. » Un CR de Martine Giboureau :
http://www.cercleshoah.org/IMG/pdf/D-etranges-retours.pdf
L’Affaire Dreyfus (1894-1906) - La LDH
DUMOND Claude, Zola et l’affaire Dreyfus. L’engagement d’un intellectuel, collection Récits d’historien, Hatier, 2014, 158 p.
BARUCH Marc Olivier et DUCLERT Vincent, Justice, Politique et République. De l’affaire Dreyfus à la guerre d’Algérie, Complexe, 2002
COINTET Michèle, La milice française, Fayard, 2013.
http://www.lesinrocks.com/2013/09/19/actualite/la-france-na-pas-ete-immunisee-contre-le-fascisme-11428099/
VIAL Eric,La Cagoule a encore frappé, Larousse 2010
La Cagoule et l’assassinat des Rosselli : 1937
http://clioweb.canalblog.com/archives/2017/06/05/35354772.html
Pendant la Deuxième guerre, le CSAR (la cagoule) est proche de Vichy.
Remonter.
L’assassinat de Marx Dormoy par la Cagoule
André TOURET, biographie Marx Dormoy, éditions Créer, 1998
Gayle K. BRUNELLE et Annette FINLEY-CROSWHITE, Assassination in Vichy : Marx Dormoy and the Struggle for the Soul of France, Toronto, University of Toronto Press, 2020
Gayle K. Brunelle et Annette Finley-Croswhite, L’assassinat de Marx Dormoy : enquête sur la Cagoule, Paris, Nouveau Monde éditions, coll. « Histoire », 2024
Le livre des deux universitaires américaines, traite de l’assassinat politique de Marx Dormoy, des commanditaires et des exécutants, tous en liens avec la Cagoule(le comité secret d’action révolutionnaire) fondée en 1936 devenue Mouvement social révolutionnaire en 1940, très actif dans le cabinet civil de Pétain.Ce que ces organisations que l’on peut qualifier de criminelles, du fait de leurs méthodes, reprochent à l’ancien ministre de l’intérieur qui a pris la suite de Roger Salengro, c’est d’avoir fait emprisonner leurs hommes de main ,de les avoir en quelque sorte dissous, pour complot(s) contre la sureté de l’état républicain, de même sont ils avides de revanche contre , je cite,page 230," le juif Georges Mandel qu’ils accusent d’avoir fait abattre d’une balle dans la tête,Thierry de Ludre, quand il était ministre de l’intérieur dans le gvt de Paul Reynaud (entre le 18mai et le 16 juin1940) ???
Quant au commissaire de la PJ : Chenevier, c’est un fonctionnaire de police, encadré par les gouvernements de Vichy, mais courageux dans sa volonté(commune avec le premier juge d’instruction Jean Marion) de trouver et à terme de châtier les coupables de l’ assassinat de M. Dormoy, il a fait de la résistance et a été déporté, mais, à la libération il a été suspendu de la Sûreté nationale, puis contraint de prendre sa retraite, avec pension, en février 1946, puis décoré de la croix de guerre en août, et lavé de tout soupçon en janvier 1948, les dirigeants socialistes et communistes ainsi que le second juge d’instruction Robert Lévy restant méfiants et réservés contre ce qu’il était convenu d’appeler les Vichysto-résistants. Après avoir été arrêtés et emprisonnés, les coupables ont été libérés sur ordre du dernier gouvernement de Vichy, Darnand, ancien cagoulard et chef de la Milice, nouveau secrétaire d’état, étant à la manoeuvre et qu’ils ont pu se réfugier dans l’Espagne de Franco ou en Amérique latine... Marie Paule Hervieu, 2024
2013-avril 2014