Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

Vivre c’est vaincre, André Rogerie

André ROGERIE, (écrit en 1945)
mardi 15 juin 2010

Un témoignage sur Birkenau.
Comparaison entre déportation et STO, texte écrit par le Général André Rogerie, déporté successivement dans sept camps de concentration. Buchenwald, Dora, Maïdanek, Auschwitz-Birkenau, Gross-Rosen, Nordhaussen, Dora à nouveau, puis Harzungen.
André Rogerie est décédé en mai 2014

Le général Rogerie a été arrêté par la Gestapo, à 21 ans, le 3 juillet 1943 à Dax en essayant de rejoindre la résistance. Il a été interné à la prison de Dax, à Biarritz, à Bayonne, au fort du Hâ à Bordeaux, puis au camp de Royallieu à Compiègne.
Puis, il a été déporté, fin octobre 1943, dans les camps de Buchenwald, Dora, Maïdanek et à Auschwitz-Birkenau, le 18 avril 1944. Au cours des marches de la mort, il connait les camps de Gross-Rosen, Nordhaussen, Dora à nouveau, puis Harzungen. Il s’évade de la colonne le 12 avril 1945 dans la région de Magdebourg.
"Au matin, de nouveau la route... Dans les villages, on nous regarde passer. Quelques fois, des femmes se cachent en pleurant. D’autres sourient en disant Zircus, c’est à dire le "cirque". écrit-il à propos des marches de la mort [1]
Il rentre en France le 15 mai 1945.

Article de Françoise Valleton

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Le 18 avril 1944, Birkenau, il est le 183 070. Au camp de la quarantaine, la « main de son chef tue son homme par jour », voire plusieurs : « car il faut bien comprendre qu’un homme mort, c’est une ration de pain qui lui revient ». La mort n’est plus envisagée qu’à travers l’équivalence : un cadavre = une certaine quantité de nourriture. Au récit du médecin Seinberg à propos du gazage, il oppose un essai « d’espoir », non, c’est une fausseté, sinon, l’effroi le submergerait. L’essai d’espoir lui est rempart, rester de ce côté le garde.
Il pèse 43 kg (considéré comme Muselman). Au « F » qu’on marque sur sa poitrine, « Four » traduit un camarade qui sourit, il répond, ils répondent par un rire. Figure du défi humain face à l’inconnu(e) ? Le 20 mai 1944, le F se révèle être « le camp hôpital » (trop maigre), puis sa gale non soignée l’envoie au Block 15, 4 mois en tout dans le complexe du Krankenbau où le chef, Allemand communiste, « épris de justice, veille en personne à la bonne répartition de la nourriture ». Il se retape et demeure là grâce « à ma petite fièvre hebdomadaire ». En juillet 1944, 56 kg, André Rogerie est un des témoins de la disparition de 1944 (une première avait eu lieu en 1943 ) : « hommes, femmes, enfants tous entièrement dépouillés de leurs vêtements, sont entassés dans les camions. Les cris, les vociférations nous parviennent très nettement. Les SS hurlent, les femmes ont des crises de nerf, les enfants pleurent, et les camions partent maintenant à toute vitesse. Dans quelques instants seront consumées toutes ces vies humaines qui, aux yeux de l’Allemagne, ont commis le crime immense et impardonnable d’être Tsigane ». « Maintenant […] nous craignons d’être envoyés nous aussi au four comme bêtes inutiles. » Un non-juif est égal aussi à un cadavre, parce que lui aussi est égal à un animal. Certains humains n’appartiennent plus à l’humanité, de décision « supérieure » aryenne.
André Rogerie a dessiné la topographie du camp, indiquant l’emplacement des chambres à gaz et fours crématoires, entre lesquels on l’a fait passer fortuitement, ainsi que la rampe. Vue oculaire irréfutable.

plan du camp d’Auschwitz-Birkenau par A Rogerie

Assis, «  j’assiste, chaque après-midi, à un spectacle épouvantable : à travers les fils barbelés, nous apercevons […] la “rampe”. […] Tous les jours des milliers […] défilent devant le médecin S.S. qui, d’un geste de la main, les sépare. » Il décrit minutieusement tout le processus. « Je vois la fumée, […] l’odeur de viande grillée se mélange à l’atmosphère. » L’irréfutable sous les yeux du monde, dès 1945. Dans cette narration de l’horreur, il incorpore, comme il le fait avec constance tout au long du récit, des renseignements venant de ce que lui diront d’autres déportés à des moments postérieurs de sa propre déportation, provoquent un va-et-vient dans ce temps particulier, où les ajouts venant d’un futur proche se mêlent à sa propre expérience : il y a une circulation du temps qui agrège, condense le savoir du concentrationnaire en nœuds, le récit ira d’avant en arrière ou d’arrière en avant en une organisation très consciemment et fortement construite.
Puis, ceci : « J’aperçois […] des femmes agenouillées sur un sol caillouteux disposé exprès. Elles sont punies. […] Elles resteront là une journée, deux peut-être, exposées à la pluie, au vent, au froid, aux coups et bientôt elles s’évanouiront, les genoux marqués par les graviers qui pénètrent dans la peau. »

Comparaison entre déportation et STO


Pendant la guerre de 1939-1945, de nombreux Français et Étrangers ont souffert du nazisme, mais le degré de leurs souffrances, qu’il n’est pas question de comparer, dépend de nombreux facteurs et chacun appartient à des catégories qui ont fait l’objet d’appellations particulières qui les déterminent.

Il y a eu les prisonniers de guerre, les requis pour le STO (service du travail obligatoire), les réfractaires (contraints de se cacher), les Malgré-Nous (enrôlés de force dans l’armée allemande), les Français libres, les Résistants, les maquisards, les Juifs persécutés, les déportés, les otages, les internés en camps, les condamnés à mort, les fusillés.

NE PAS CONFONDRE

Déportation et STO, service du travail obligatoire
Sur 141 000 déportés en camps de concentration et d’extermination :

- 76 000 désignés comme « Juifs »

- 65 000 dits politiques ou résistants 600 000 requis pour le STO (convoqués pour être envoyés travailler dans les entreprises allemandes).

ARRESTATION
1- Les Résistants ou politiques sont arrêtés, interrogés, torturés (mais pas systématiquement) emprisonnés, déportés (ou non).
Les Juifs sont arrêtés, raflés internés, déportés (ou non).Affaiblissement physique et mental.
2- Les requis du STO reçoivent une convocation, passent une visite médicale, touchent une prime et attendent l’ordre de départ.

TRANSPORT
1- Trains de 25 à 30 wagons, embarquement à coups de schlague, de 50 à 120 par wagons à bestiaux, 3 à 4 jours de voyage sans eau ni vivres.
Nombreux morts pendant le transport.
Ex. : convoi du 2 au 5 juillet 1944, 935 morts sur 2521 embarqués.
Des trains sont formés de wagons de voyageurs.
2- Le STO peut être accompagné de parents et d’amis lors du départ.
Le requis emporte sa valise, des boissons et des vivres.
Celui qui n’embarque pas devient un "réfractaire".

ARRIVÉE
1- Les déportés sont conduits dans les camps ou sélectionnés pour la chambre à gaz par les SS.
Totalement dépouillés, rasés, affublés d’une tenue de bagnard et d’un numéro matricule parfois tatoué sur le bras : perte totale d’identité.
Sont logés dans des baraques sans hygiène et dans une grande promiscuité.
2- Les requis sont reçus par les autorités responsables de la main-d’œuvre.
Ils conservent leurs effets personnels, et sont logés en camps et baraquements chauffés l’hiver, parfois chez l’habitant.

CONDITIONS DE TRAVAIL
1- 4 heures d’appels, souvent davantage, 12 heures de travail quotidien par tous les temps, de jour ou de nuit, pas de repos obligatoire.
Pour tout salaire, des coups.
2-Même régime que les ouvriers allemands, salaire 1,5 à 2 fois celui d’un ouvrier en France (18 MM de francs 1945 chiffrés par la banque de France)

CONDITIONS DE VIE
1-Alimentation : environ 1000 calories par jour quand ils mangent.
Poids moyen à leur retour en France : entre 35 et 45 kg.
Extermination ou surexploitation par le travail.
Rupture des liens familiaux et amicaux.
2- Même régime alimentaire que les ouvriers allemands, peuvent recevoir colis et lettres.
Permissions accordées pour aller en France (certains, peu, ne repartent pas).

MORTALITÉ - RETOUR
1- Sur les 76 000 déportés juifs, 2500 sont revenus des camps (dont pas un seul enfant de moins de 12 ans), 97% de victimes civiles.
Environ 50% des déportés politiques ou résistants sont rentrés, tous extrêmement marqués.
Certains ont résisté, saboté.
2- Sur 600 000 STO, on évalue à 10% les morts en Allemagne, la plupart victimes, avec les civils allemands, des bombardements.
Certains se sont cachés, les réfractaires. D’autres ont rejoint les maquis. D’autres ont travaillé sur place contre les Allemands (un petit nombre).
Ceux qui ont été arrêtés par la Gestapo et envoyés en camps de concentration ont droit au titre de "Déportés".

Seuls peuvent se réclamer du titre de "Déporté" les personnes qui relèvent :
- du statut défini par la loi N° 48-1251 du 6 août 1948 relative aux internés et déportés de la Résistance.

- ou du statut défini par la loi N° 48-1404 du 9 septembre 1948 relative aux déportés et internés politiques.

- confirmation faite par un arrêt de la Cour de Cassation réunie le 10 février 1992 en assemblée plénière et séance publique.
André Rogerie

ROGERIE André, Vivre c’est vaincre, (écrit en 1945), Maulévrier, éd. Hérault, 1988, 106 p., (réed. UDA)

lire :
Jean Giboureau, un STO parmi tant d’autres
http://www.cercleshoah.org/spip.php?article52
Conférence, La mémoire et l’oubli : L’internement des Tsiganes en France 1940-1946, avec un article en ligne d’André Rogerie :
http://www.cercleshoah.org/spip.php?article26
"Il faudra raconter", film de Cling, avec le témoignage d’André Rogerie :
http://www.cercleshoah.org/spip.php?article56

NM. Janvier 2011, déc 2012

[1Vivre c’est vaincre, p. 97


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