« Auschwitz, une monographie de l’humain » de Piotr M. A. Cywinski (directeur du musée d’État d’Auschwitz-Birkenau) chez Calman Lévy, présente en 606 pages une introduction, de multiples courts témoignages groupés par thèmes, des conclusions, un lexique du camp.

Certaines entrées de la table des matières sont attendues telles que « choc initial », « la faim, la soif, le froid, l’hygiène, la mort » etc. D’autres concernent des sujets plus rarement abordés comme par exemple « la culture et l’apprentissage », « les naissances », « l’empathie » ou « le rire et la joie ».
L’auteur fait appel à une « internationale » des rescapés d’où une réelle polyphonie. Mais précise-t-il, les sources sont si diverses et si dispersées que personne n’est en capacité « d’étudier la totalité des sources primaires existantes » d’autant que « à ce jour, très peu de textes ont été traduits ». D’autre part l’auteur explique : « J’ai considéré uniquement les aspects pour lesquels je disposais d’une documentation suffisante, permettant une analyse des sources afin de fournir une description générale ». Donc forcément il y a une grande subjectivité dans ses analyses. L’auteur dit s’être concentré du fait de ses connaissances linguistiques sur des récits en polonais, français ou anglais, dans une moindre mesure en allemand, tchèque ou italien mais de fait il n’y a que très peu de témoins français qui sont cités.
Bien évidemment comme tout livre reposant sur les témoignages des survivants, il manque les ressentis de ceux qui ne sont pas revenus, c’est-à-dire la très grande majorité des déportés arrivés à Auschwitz. « La plupart [des détenus], qu’ils aient mis fin à leurs jours ou se soient abandonnés à une mort inévitable en cessant de lutter, ont emporté avec eux leurs dernières pensées et le secret de l’élan qui les a poussés à cette extrémité. » (p 558).
Par ailleurs, l’auteur rappelle « qu’il n’existe pratiquement aucun mémoire fiable émanant d’anciens prisonniers investis de certaines tâches dans le camp ou assumant des fonctions ‘’importantes’’ dont les actions – indépendamment de motivations aussi impérieuses que le désir de survivre – pouvaient décider si quelqu’un souffrirait ou mourrait ». (p 16).
Enfin les souvenirs racontés longtemps après les années de guerre ont pu subir des modifications, des déformations, le plus souvent involontairement, sous l’influence des jugements moraux (ceux des survivants ou ceux de personnes non directement concernées), des autres récits, des informations connues au moment du témoignage mais ignorées à l’époque des faits.
L’auteur rappelle la très grande diversité des déportés à Auschwitz : nationalités, sexes, âges, catégories socio-professionnelles, fois religieuses ou athéisme, dates de déportation. On pourrait toutefois regrouper les personnes dans le camp en divers « mondes » très différents : outre l’encadrement nazi, les « Muselmann », les prisonniers encore en mesure de se battre pour survivre, les « Funktionshäftlinge », les travailleurs civils employés au camp. (p552-553)
Le camp était une collectivité très inégalitaire : la masse des détenus travaillaient et vivaient sus la férule de prisonniers aux fonctions spécifiques les « Funktionshäftlinge ». « Le camp était une mosaïque de sections, de groupes et de strates dont la complexité augmenta avec le développement du camp et l’arrivée de convois de prisonniers de plus en plus diversifiés ». (p 241-242)
Le dénominateur commun était « réduit à peau de chagrin. La faim taraudait tout le monde. […] Une seule chose comptait au camp : se maintenir en vie et faire en sorte d’aider ses amis à faire de même ». (p 374) « La perspective à long terme n’existait pas, c’est pourquoi les décisions étaient souvent prises pour soulager sa douleur de manière immédiate, voire éphémère. » (p 557)
« Le destin individuel a été, de manière disproportionnée, tellement plus important, qu’il serait difficile d’affirmer sans équivoque que le destin commun, ou plutôt les conditions ou circonstances communes des destins individuels, soit devenu automatiquement un facteur de cohésion. » (p 559)
Le camp étant à la fois camp de concentration, centre d’extermination, réservoir de main d’œuvre esclave : « les priorités de chacune de ces tâches étaient en contradiction flagrante les unes avec les autres. […] Les exemples de l’absurdité de ce système étrange étaient nombreux » comme par exemple ne pas faire travailler les hommes roms et sintis ou les nombreux et interminables appels effectués au détriment du travail. (p 561)
L’ouvrage tente d’approcher au plus près les vécus des détenus, aussi bien en ce qui concerne les données matérielles les plus terre-à-terre que les valeurs morales, idéologiques , les sentiments, les perceptions psychologiques. « La seule échappatoire au monde extérieur était le monde intérieur. Les pensées nostalgiques, l’imagination, les chimères, les rêves – tout ce qui, ne serait-ce qu’un instant, occupait les pensées avec autre chose que l’omniprésence du camp ». (p 171)
« Auschwitz a été élaboré en rupture totale avec les concepts de justice ou d’injustice, de bien ou de mal. […] Par conséquent, ce système de valeurs fondamental pour nous aujourd’hui est totalement inapproprié pour l’analyse de nombreuses situations dans le camp. » (p 551).
« La volonté de survivre à tout prix est une force gigantesque qui a fortement infléchi le sort des prisonniers. Cette force était peut-être plus puissante que tout sens moral ou tout calcul. » (p 558).
Après la lecture de tous ces récits, la question lancinante « qu’est-ce qu’un être humain » garde toutefois une partie de son mystère.
La multiplicité des considérations empêchent de présenter dans cette fiche des grandes lignes : en fonction de son angle d’étude, chacun doit aller « piocher » dans les exemples présentés.
II. Les premiers moments à l’arrivée, CNRD 2015
Birkenau : la déshumanisation dès l’arrivée Yvette Lévy
Vingt mois à Auschwitz, Pelagia Lewinska, 1945
CNRD 2017. La négation de l’Homme dans l’univers concentrationnaire nazi
Le témoignage, le rôle du témoin
Le langage des camps de concentration
Emil Weiss : fonctionnement, topologie et histoire de divers sites du complexe d’Auschwitz :
https://www.youtube.com/@AuschwitzLeComplexe