Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

Famille KAUFMANN

convoi 76
lundi 31 mars 2025
Famille Kaufmann, Meta, 40 ans, Siegfried, 50 ans, Ruth, 15 ans

Meta est née Oppenheimer le 6 juillet 1903 à Bad Mergentheim, près de Francfort. Fille de Léopold Oppenheimer et de Bella née Neuman. Elle avait deux soeurs Martha et Irma.Francfort.

Siegfried Kaufmann était né le 13 février 1894 à Kehl, près de Strasbourg, à la frontière franco-allemande. Il était le fils de Joseph Kaufmann et d’Elise née Simon.

Meta et Siegfried s’étaient mariés en 1927 et avaient eu une fille, Ruth, née à Mannheim le 5 mai 1930. Siegfried était négociant en produits agricoles, dans le commerce des grains, notamment. Il était venu souvent en France, dès 1921, pour ses affaires.

Photographie de Siegfried, Meta et leur fille Ruth prise à Marseille en 1941

En 1935, à la suite des lois raciales de Nuremberg, excluant les Juifs de la société allemande, son entreprise a été mise sous contrôle des Nazis. La famille a alors quitté Kehl où elle vivait. Elle s’est réfugiée en France, dont ils parlaient et comprenaient la langue, d’abord à Strasbourg, située face à Kehl sur la rive opposée du Rhin, puis se sont installés à Paris, où ils vont habiter au 117, avenue Émile Zola, dans le 15ème arrondissement jusqu’à la guerre. Sur leur demande de Reconnaissance de Réfugié venant de l’Allemagne sous la mention « Pourquoi avoir quitté l’Allemagne ? » on lit - « ne pouvant approuver le régime hitlérien et ne voulant pas en subir la terreur ».

La vie est cependant difficile pour la famille. Le commerce de Siegfried a des difficultés en raison de la crise économique qui sévit en France depuis 1932. Après la déclaration de guerre, en 1939, Siegfried est interné en tant qu’″ennemi étranger″ dans un camp d’internement, on ne sait pas précisément lequel. En 1940, avec le début de la guerre, il s’engage dans la Légion étrangère et est envoyé en Algérie. Il est libéré le 11 novembre 1940 à Bel Abbès. Dès son retour, il réussit à partir avec Meta et Ruth dans le sud de la France où il se fait embaucher comme ouvrier agricole dans une ferme. Puis il habite à Marseille, où il loge au 15, rue du Théâtre français, puis à l’hôtel Continental rue Beauvau. C’est durant probablement cette période où il vit dans le sud, qu’il réussit à faire sortir sa mère, Elise Kaufmann, du camp de Gurs où elle a été internée. En effet, les nazis ont brutalement expulsé, les 22 et 23 octobre 1940, 6500 hommes, femmes et enfants juifs du pays de Bade, du Palatinat et de la Sarre dont 60% de personnes âgées. Elise Kaufmann a elle-même 75 ans. Sept convois les emmenèrent au camp de Gurs.

Fiche du dossier d’Elise Kaufmann au camp de Gurs

Fiche du dossier d’Elise Kaufmann au camp de Gurs où elle est notée : pas rentrée, évadée, partie USA 21/7/1941


C’était la première action d’envergure, systématique menée par les nazis à l’égard des Juifs. Élise Kaufmann, qui était restée à Kehl, a ainsi été arrêtée, selon sa famille, le 20 octobre 1940 et internée au camp de Gurs. Dès le lendemain de son arrivée, elle envoie un télégramme à sa fille, Eugénie Noymer, qui vit déjà à New-York, lui demandant d’envoyer argent et papiers. Elle figure sur une liste d’internés du camp de Gurs venant de Kehl, avec la mention « ausgerettet » ( échappée) Son dossier conservé aux Archives des Pyrénées atlantiques donne les explications : en janvier 1941, elle demande à aller se soigner à Gan, dans les Basses-Pyrénées, dans une pension dénommée ″Mon repos″. Le médecin du camp lui délivre un certificat médical attestant que, très âgée (elle a alors près de 75 ans), Madame Kaufmann a besoin d’un repos hors du camp. Le directeur du camp ajoute qu’″elle dispose de moyens suffisants pour n’être à la charge d’aucune collectivité″…. Elle reste à Gan du 21 janvier au 19 mai 1941, date à laquelle elle quitte Gan. En effet, elle a obtenu un visa d’immigration pour les Etats-Unis le 14 mai 1940 et part à Marseille, chez son fils Siegfried, et avec son aide probablement. Elle est donc annotée à Gurs comme évadée du camp. Par la suite, elle embarque de Marseille, où vit Siegfried, le 15 mai 1941, à bord d’un paquebot qui accoste dans le port de New-York, 3 mois plus tard, le 5 août 1941. D’après son enregistrement à Ellis Island, où les immigrants étaient minutieusement répertoriés, on apprend que ses enfants ont payé le voyage, qu’elle se rend chez sa fille à Brookline dans le Massachussets, qu’elle parle 3 langues, le français, l’allemand et l’anglais, que sa fille habite au 789 Rawson Road, à Brookline, qu’elle a des cheveux gris et des yeux bleus. Chaque immigrant devait répondre à toutes ces questions pour espérer rentrer aux États-Unis.

extraits de la Liste des passagers contrôlés à Ellis Island [1] Sur cette liste figure Elise Kaufmann, n° 24 de la liste. En haut, sous le titre du document, est indiquée la date et le lieu de départ du bateau et la date d’arrivée à New-York.
Cliquer et zoomer pour consulter le document de Ellis Island complet

Dans la même période, face aux menaces, Siegfried Kaufmann fait des démarches pour obtenir l’autorisation d’immigrer aux États-Unis. Elle leur est accordée pour Siegfried, Meta et Ruth, mais pas pour la mère de Meta. Ils reportent alors leur départ, mais à la fin de l’année 1941, les quotas se durcissent et il n’est plus possible alors pour cette famille de quitter l’Europe. En 1942, Siegfried doit quitter Marseille pour cause d’un soit-disant trafic de devises. La famille revient alors à Paris, où ils vivent au 37, rue Fontaine, dans le 9ème arrondissement. A la fin du mois de mai 1944, il est dit qu’ils ont été dénoncés. Siegfried et Meta sont arrêtés par la Gestapo, probablement à leur domicile. Ruth était à l’école, lorsque ses parents sont arrêtés. A son retour, alors qu’elle cherchait ses parents, il semble qu’elle ait été emmenée elle aussi à la Gestapo et arrêtée.

La famille entre au camp de Drancy le 25 mai 1944, avec plus de 50 personnes arrêtées ce jour-là à Paris, principalement dans le 3ème, 9ème et 18ème arrondissement. Ces arrestations, encore nombreuses, sont effectuées à la fois par les inspecteurs de la Préfecture de police, et par le « Kommando de Drancy », à la veille du départ du convoi 75, pour augmenter les effectifs du convoi, jugés probablement insuffisants par les nazis. Curieusement, la famille Kaufmann n’est pas déportée par ce convoi qui quitte Drancy le 30 mai 1944, 5 jours après leur arrivée au camp. Les internés arrêtés comme eux le 25 mai ont quasiment tous été déportés dans ce convoi. Les Kaufmann vont donc rester plus d’un mois au camp de Drancy, connaissant la promiscuité, la nourriture insuffisante, la peur quotidienne de la déportation. Et feront finalement partie de l’avant-dernier convoi Drancy-Auschwitz.

La fiche du carnet de fouille de Drancy donne leurs numéros matricule, 23212, 23213 et 23214 et dit qu’ils remettent au chef de la police du camp la somme de 24000 francs, ainsi que bagues, chaînes et bracelet, puisque chaque interné devait remettre argent et objets de valeur à son arrivée au camp. Le 30 juin, il est conduit à la gare de Bobigny avec 1153 internés destinés à être déportés vers le centre de mise à mort d’Auschwitz-Birkenau. C’est le 76ème convoi de déportés juifs parti de Drancy. Le voyage qui dure quatre jours, par une chaleur torride, est particulièrement épuisant pour ces familles entassées dans des wagons à bestiaux plombés. Le 4 juillet, le convoi entre à l’intérieur du camp de Birkenau sur la « rampe d’Auschwitz » où a lieu la sélection. Les travaux de Serge Klarsfeld ont permis d’apprendre que 223 femmes sur 495 et 398 hommes sur 654 sont déclarés « aptes » pour le travail. Ce sont généralement les plus jeunes. Le nombre de déportés désignés pour ce travail d’esclave, plus de la moitié, est beaucoup plus élevé que celui des transports précédents car les camps deviennent, en 1944, un vivier de travailleurs pour l’industrie de guerre. L’autre moitié du convoi, les malades et les enfants, dits « inaptes » au travail, sont gazés dès l’arrivée.

Ils entrent tous au camp. Meta et Ruth entrent au camp de femmes de Birkenau, elles ne seront plus appelées que par leurs numéros matricule, A- 8607et A-8608. Elles figurent avec ces numéros dans le rapport du Block 22. Rapport précieux car c’est le seul cahier de Block retrouvé au camp de Birkenau et qui répertorie les femmes internées dans cette baraque par ordre alphabétique, en y indiquant leur nationalité, leurs noms et prénoms, leur âge et les remarques à leur sujet. Meta et Ruth sont notées comme françaises juives, âgées de 14 et 41 ans et encore en vie le 18 octobre, peut-être transférées dans la baraque 24b, indiquée dans la colonne remarques (Bemerkung). On perd leur trace par la suite.

extrait de page du Blockbuch de la baraque 22 du camp de femmes de Birkenau.
(seul rapport de Block retrouvé à Birkenau) Meta et Ruth étaient dans cette même baraque. Leurs noms figurent au bas de la liste, ainsi que leur âge et le Block 24b où elles vont probablement être transférées le 18 octobre 1944.

Siegfried entre au camp d’Auschwitz III situé à une dizaine de kilomètres d’Auschwitz, près du village de Monowitz. Y était installée l’usine surnommée « Buna », d’IG Farben Industrie, destinée à fabriquer du caoutchouc synthétique. Il devient le déporté A-16710. Il survit jusqu’au 18 janvier 1945. A l’approche de l’Armée Rouge, les nazis évacuent le camp. Siegfried Kaufmann fait partie des 250 à 300 déportés du convoi 76 évacués du camp de Monovitz. Il effectue la première marche de la mort , une marche de 60 kilomètres sur des routes enneigées, en plein hiver, jusqu’à la ville de Gleiwitz, un Kommando du camp d’Auschwitz. Le 20 ou le 21 janvier, plus de 4000 déportés sont entassés dans des wagons à charbon que les hommes rentrés dénommaient « wagons découverts », car sans toit, donc ouverts à tous les vents, à la neige et au froid, sans recevoir de nourriture. Après six jours de transport, Siegfried Kaufmann arrive vivant avec 100 hommes du convoi 76 le 26 janvier 1945 au camp de Buchenwald. Il est hospitalisé à l’arrivée du convoi, puis déclaré à nouveau ″apte au travail ″ et décède le 18 février 1945. La mortalité au camp de Buchenwald est effrayante tout au long de ce mois de février chez les déportés qui ont survécu aux marches et trains de la mort d’Auschwitz vers le camp de Buchenwald.

Carte personnelle de Siegfried Kaufmann établie au camp de Buchenwald 
y figurent, à gauche son identité, ainsi que le lieu de détention de son épouse Meta ( Birkenau), en haut à droite son numéro matricule à Buchenwald, au centre la date de son décès, 8 février 1945, et en bas la cause invoquée, insuffisance cardiaque.

Aucun des membres de cette famille n’est rentré, Siegfried, victime des Marches de la mort, Ruth et Meta disparues après le 18 octobre.

La politique d’extermination des Juifs par les nazis a abouti à l’assassinat de cette famille.
Sources : BAVCC Caen, AC 21P 468 368, 468372,468379- Mémorial de la Shoah- Archives Arolsen- Archives du Musée d’Auschwitz- témoignages familiaux-Histoire de familles de Kehl.

Chantal Dossin

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[1A consulter document très intéressant


Documents joints

1er avril 2025
info document : PDF
634.4 kio