Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

FAMILLE KRENGEL (LEVET)

convoi 76
mardi 25 février 2025

Famille Krengel, Tivia ou Livia, dite aussi Céline, 51 ans et Jakob , dit aussi Jacques, 55 ans, enregistrés au camp sous le nom, pour Tivia, de Marie Levet et pour Jacques, de François Levet, leurs pseudonymes.

Il m’a été possible de reconstituer l’histoire de cette famille et de retrouver la véritable identité des uns et des autres, à partir de plusieurs sources : tout d’abord les informations données par Carole Krengel, l’épouse de Georges Krengel, fils de Tivia et Jakob Krengel. Elles figurent dans le dossier de déporté de Tivia et Jakob Krengel au BAVCC de Caen, notre 2e source. Notre 3ème source est le témoignage du neveu de Livia et Jacob Krengel , Michel Krengel aujourd’hui.

Sur la liste des déportés du convoi 76 figuraient 3 noms, ceux de Céline et Jacques Krengel et celui de François Levet. Une Marie Levet était notée entrée au camp de Drancy le 28 juin 1944 et immatriculée 24579 aux côtés de François Levet, immatriculé 24578. Mais Marie Levet ne figurait pas sur la liste du convoi 76. Or, elle figure au camp de Flossenbürg en novembre-décembre 1945. Par ailleurs, fait troublant, François Levet était dit né à Saint-Flour le 10 janvier 1884, de même que Jacques Krengel dit également né à Saint-Flour le 10 janvier 1884. Or, il existait bien un François Levet né à Saint -Flour mais pas un Jacques Krengel. De même pour Marie Levet et Tivia, dite Céline, Krengel, dites née à Quézac, le 19 juillet 1891 . Ce qui est vrai pour Marie Levet , pas pour Céline Krengel. Par ailleurs, sur la fiche de Drancy le nom de Levet était barré, remplacé par Krengel, tant pour Jakob que pour Tivia, sans changement de la date et du lieu de naissance. Enfin la logeuse rue Colbert au Cannet n’a jamais eu à cette adresse qu’un locataire au nom de Krengel et dit que ″ Levet ne peut être que Krengel ″.

Au-delà de ces faits concordants, le témoignage de Carole Krengel lève le doute. Elle dit que Levet était le pseudo de Jacob et Tivia Krengel. Par ailleurs Michel Krengel, neveu de Livia et Jacob témoigne de l’engagement dans la résistance de Georges, le fils, qui fabriquait notamment des faux papiers. Nous reparlerons de lui par la suite.

Ainsi, je rédigerai cette notice au nom de Tivia et Jakob Krengel, dont les éléments d’archives et les témoignages concordent pour dire qu’il s’agit bien là de leur véritable identité, le nom de Levet n’étant qu’un pseudo.
Tivia était née Weisinger à Jassy en Roumanie, le 4 décembre 1893, fille de Hersch Weisinger et de Rose Goldenberg, commerçants. Jakob était né à Debrogine, ville située en Russie à l’époque, le 30 avril 1889 d’Enech Krengel et d’ Haya Victorovitch. Il avait 6 frères et sœurs.

On ne connaît pas leur date d’arrivée en France, mais avant 1917, puisque leur acte de mariage dit que Tivia et Jakob se marient le 15 février 1917 à la mairie du 18ème arrondissement de Paris où ils vivent alors. Jakob est dit tailleur et Tivia couturière. Ils ont un fils, Georges, qui naît le 20 septembre 1919 et est enregistré à la mairie du 18ème.

Fuyant probablement les persécutions antisémites, on sait qu’ils se sont réfugiés dès l’année 1943 au Cannet, dans cette zone d’occupation italienne, puisque Georges Krengel se marie le 2 septembre 1943 avec Cheila (dite Carole) Bronstein, née à Cahul en Roumanie ( au sud de la Moldavie actuelle )le 12 mai 1921, et nièce de Léon Trotsky, selon les témoignages familiaux. Ils habitent au Cannet , villa du Pigeon blanc , dit encore Pavillon Saint-Claude, rue Colbert, où ils vivaient avec la famille Lévitan.

Ils sont arrêtés le 23 juin 1944 à leur domicile. Il semble que Georges et Carole, alors enceinte, soient arrêtés également au cours de ce mois de juin. Ce jour-là, il y ait eu une rafle au Cannet, perpétrée par des militants du PPF, auxiliaires de la Gestapo de Cannes, au cours de laquelle sont arrêtés également la famille Lévitan qui vit dans le même immeuble que les Krengel, ainsi que les familles Mittelstein-Offman. Au total 12 personnes, dont de nombreux enfants jeunes. Internés à Nice, ils sont rapidement transférés au camp de Drancy où ils entrent le 28 juin 1944.

A l’entrée au camp de Drancy le 28 juin, aucune des 47 personnes arrivant de Nice n’est enregistrée au nom de Krengel, car Livia et Jacob Krengel, disposant probablement de faux papiers procurés par leur fils résistant, sont enregistrés sous le faux nom de Levet.

A ce moment, Georges, membre des FFI de la région, est emprisonné dans les cellules de la villa Montfleury, siège de la Gestapo cannoise. Georges Krengel y sera torturé. Le 15 août, à l’annonce d’un débarquement imminent sur les côtes de Provence, les agents de la Gestapo, appelés à Nice, assassinent leurs 8 prisonniers avant de quitter Cannes, au sous-sol de la villa Montfleury. Georges est assassiné le 15 août vers 21 heures. Son nom est inscrit sur la stèle commémorative de la villa Montfleury. 15 jours plus tard, le 30 août, naît sa fille, une petite Diane. Carole Krengel, en raison de la proximité de la naissance de sa fille, n’a pas été déportée.

Jacob et Livia Krengel reçoivent au camp de Drancy les numéros matricule 24578 et 24579, au nom de François et Marie Levet. Le 30 juin, ils sont conduits à la gare de Bobigny avec 1152 internés destinés à être déportés vers le centre de mise à mort d’Auschwitz-Birkenau. C’est le 76ème convoi de déportés juifs parti de Drancy.
Le voyage qui dure quatre jours, par une chaleur torride, est particulièrement épuisant pour ces familles entassées dans des wagons à bestiaux plombés. Le 4 juillet, le convoi entre à l’intérieur du camp de Birkenau sur la « rampe d’Auschwitz » où a lieu la sélection. Les travaux de Serge Klarsfeld ont permis d’apprendre que 223 femmes sur 495 et 398 hommes sur 654 sont déclarés « aptes » pour le travail. Ce sont généralement les plus jeunes. Le nombre de déportés désignés pour ce travail d’esclave, plus de la moitié, est beaucoup plus élevé que celui des transports précédents car les camps deviennent, en 1944, un vivier de travailleurs pour l’industrie de guerre. L’autre moitié du convoi, les malades et les enfants, dits « inaptes » au travail, sont gazés dès l’arrivée.
On sait que Jakob et Tivia Krengel, dits François et Marie Levet, bien que relativement âgés, entrent au camp. Ce sera le camp de Monowitz pour Jacob. Son identité sera désormais A-16736.

Tivia entre probablement au camp de Birkenau, puisqu’on sait qu’elle est internée par la suite au camp de Bergen-Belsen, à une date inconnue, puis est transférée directement le 25 février 1945 au Kommando de Dresden dépendant du camp de Flossenbürg. Elle y décède le 31 mars 1945.

On connaît plus précisément le parcours de Jakob, dit François Levet, qui entre, comme la quasi-totalité des hommes de ce convoi sélectionnés pour entrer au camp, à Auschwitz III situé à une dizaine de kilomètres d’Auschwitz près du village de Monowitz. Y était installée l’usine surnommée « Buna », d’IG Farben-Industrie destinée à fabriquer du caoutchouc synthétique.

Le 18 janvier 1945, il fait partie des 250 à 300 déportés du convoi 76 évacués du camp de Monovitz. Il effectue la première marche de la mort , une marche de 60 kilomètres sur des routes enneigées , en plein hiver, jusqu’à la ville de Gleiwitz, un Kommando du camp d’Auschwitz. Le 20 ou le 21 janvier, plus de 4000 déportés sont entassés dans des wagons à charbon que les hommes rentrés dénommaient « wagons découverts », car sans toit, donc ouverts à tous les vents, à la neige et au froid, sans recevoir de nourriture. Après six jours de transport, il arrive vivant avec 100 hommes du convoi 76 le 26 janvier 1945 au camp de Buchenwald.

Les décès au camp de Buchenwald se succèdent à un rythme effrayant après ce transport. François-Jakob survit pourtant jusqu’au 14 mars 1945, où son décès est bien notifié au camp. Épuisement après ces 6 mois à Auschwitz suivi de ce transport dantesque et des deux mois passés probablement au Petit camp de Buchenwald et non une soit-disant gastrite cattarhale indiquée comme cause du décès sur la fiche établie par les″ médecins″ du camp.

Tivia et Jakob Krengel ont été assassinés par les nazis. Ils n’ont probablement pas su que leur fils Georges avait été fusillé, puisqu’ils étaient déjà à Auschwitz lorsque Georges a été fusillé le 15 août 1944 à Cannes. Carole Krengel et la petite Diane ont seuls échappé à la rafle du 23 juin 1944 au Cannet et donc à la déportation. Elles sont aujourd’hui décédées.

Carte personnelle du déporté retraçant son parcours : Numéro matricule et Nationalité au camp de Buchenwald en haut à droite, date d’arrivée au camp, puis date du décès dans la colonne du milieu, colonne de gauche, identité, religion et en bas cause invoquée du décès (Archives Arolsen)
Marie Levet née le 17/7/1891, décédée le 21 mars 1945, à Dresde, usine Reichswerke (Dresden Zeiss Ikon ?), inexhumable. Archives Arolsen
Document du Ministère des Anciens combattants daté du 26 juin 1947. Régularisation de l’état-civil de Livia Krengel faite par sa belle-fille, Carole Krengel, attestant que Levet était bien le faux nom de Livia Krengel.
Stèle érigée à Cannes à la mémoire des résistants fusillés de la villa Montfleury le 15 août 1944. Y figure Georges Krengel, fils de Jakob et Livia Krengel. wikipedia

BAVCC Caen 24P470556,470554- Mémorial de la Shoah- Archives Arolsen.- témoignage familial

Chantal Dossin

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