Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

FAMILLE KAMENNEY

Lazare, 60 ans, Sarah, 66 ans, Renée, 23 ans, Hélène, 20 ans, Convoi 76 et Léon, résistant communiste
mardi 21 janvier 2025

Famille Kamenney, Lazare, 60 ans, Sarah, 66 ans, Renée, 23 ans, Hélène, 20 ans

Les Kamenney étaient originaires de Pologne. Lazare était né le 5 janvier1884, à Siedice, et Sarah en février 1878, à Varsovie. Le fils aîné, Léon, était également né à Varsovie le 6 décembre 1905. Par la suite, la famille a émigré en Argentine, où naît Eliza en 1910. La raison de ce départ en Argentine n’est pas connue. On sait que Sarah, la mère, et Léon, le premier fils, âgé de 4 ans, se sont rendus de Pologne à Hambourg, (au nord de l’Allemagne !), où ils embarquent le 6 juillet 1909 sur le bateau allemand Cap Ortegal qui a accosté à Rio de Janeiro le 25 juillet, puis à Buenos Aires le 29 juillet. Ils y ont probablement retrouvé Lazare, parti peut-être en éclaireur dans ce pays. Étonnant périple ! Quelques années plus tard, ils émigrent à nouveau entre 1910 et 1916 en France, où naissent deux autres filles, Renée, le 27 août 1921, puis Hélène, le 14 avril 1924. Les parents et Léon, le fils aîné, ont tous été naturalisés en juillet 1927. Les fiches d’entrée à Drancy indiquent leur profession. Lazare était tailleur, Hélène maroquinière, ainsi que Léon et travaillaient à domicile. Renée était sténodactylo, ainsi que sa sœur Eliza, employée par le cinéma Paramount. La famille habitait dans le 20ème arrondissement au 36, rue Olivier Métra.

Léon engagé dans la résistance communiste est arrêté et déporté, par le convoi du 21 mai 1944 au camp de Neuengamme. Cf. infra.
Son arrestation a-t-elle pu être à l’origine de celle de sa famille, un mois plus tard le 24 juin 1944 ? Les parents et leurs deux filles sont arrêtés, à leur domicile, par le « kommando de Drancy ». Ce kommando est composé de trois internés viennois du camp de Drancy, Oskar Reich, et ses deux subordonnées, Vielfschtadt, dit Samson et Veschsler. Il réalise, sous la direction de deux SS des arrestations dans la capitale. Ils usent auprès des familles internées au camp de menaces diverses, notamment de celle de la déportation, pour obtenir des renseignements leur permettant d’opérer des arrestations à domicile. Ce jour-là, le Kommando procède à 13 arrestations, dont 9 dans un immeuble situé au 36, rue Olivier Métra, dans le 20ème arrondissement : une famille de 5 personnes, la famille Ausieff, et Lazare, Sarah, Renée et Hélène Kamenney ; seule Eliza, absente au moment de cette ″rafle″, n’est pas arrêtée. Les personnes arrêtées sont conduites par le Kommando au camp le jour même, sans enregistrement de ces arrestations « sauvages ». Ils entrent donc au camp le 24 juin, avec les matricules 24436 à 24439, pour la famille Kamenney. La fiche du carnet de fouille dit que Lazare remet au chef de la police du camp la somme de 6 francs, puisque chaque interné devait remettre argent et objets de valeur à son arrivée au camp. Le 30 juin, ils sont conduits à la gare de Bobigny avec 1151 internés destinés à être déportés vers le centre de mise à mort d’Auschwitz-Birkenau. C’est le 76ème convoi de déportés juifs parti de Drancy.

Le voyage qui dure quatre jours, par une chaleur torride, est particulièrement épuisant pour ces familles entassées dans des wagons à bestiaux plombés. Le 4 juillet, le convoi entre à l’intérieur du camp de Birkenau sur la « rampe d’Auschwitz » où a lieu la sélection. Les travaux de Serge Klarsfeld ont permis d’apprendre que 223 femmes sur 495 et 398 hommes sur 654 sont déclarés « aptes » pour le travail. Ce sont généralement les plus jeunes. Le nombre de déportés désignés pour ce travail d’esclave, plus de la moitié, est beaucoup plus élevé que celui des transports précédents car les camps deviennent, en 1944, un vivier de travailleurs pour l’industrie de guerre. L’autre moitié du convoi, les malades et les enfants, dits « inaptes » au travail, sont gazés dès l’arrivée.

On sait que Lazare Kamenney, malgré son âge, entre au camp d’Auschwitz III situé à une dizaine de kilomètres d’Auschwitz, près du village de Monowitz. Y était installée l’usine surnommée « Buna », d’IG Farben Industrie, destinée à fabriquer du caoutchouc synthétique. Il devient le déporté A-16705. Son passage à « l’infirmerie » du camp de Monowitz (Haftlingskrankenbau) est noté le 5 septembre 1944. On perd ensuite sa trace. Probablement décédé à l’infirmerie ou gazé à ce moment où les chambres à gaz fonctionnent encore à Birkenau.

Sarah n’a laissé aucune trace de son passage au camp, probablement assassinée dès l’arrivée du convoi le 4 juillet 1945.

On sait qu’Hélène et Renée sont également entrées au camp. Pour elles, c’est le camp de femmes de Birkenau, numéros matricule A-8612 pour Hélène, et probablement A-8613 pour Renée, les deux sœurs, comme toutes les sœurs dans ces circonstances, ont dû rester ensemble à ce moment. On sait par les archives qu’Hélène, la plus jeune, est entrée à l‘infirmerie du camp le 17 novembre 1944, probablement malade ou épuisée par ces premiers mois passés au camp. C’est à ce moment que la vie de Renée et d’Hélène se séparent. Renée est en effet transférée, au même moment, donc sans sa soeur, dans un Kommando du camp de Flossenbürg, le Kommando de Wilischthal (Saxe), où elle arrive le 22 novembre. Ce 22 novembre, est arrivé dans ce Kommando, un convoi de 200 femmes, venant toutes d’Auschwitz, principalement des Polonaises et des Hongroises, quelques Italiennes et quelques Françaises, dont Renée. Ces femmes étaient logées dans une grande baraque avec des fenêtres grillagées à proximité de la fabrique. Les déportées devaient travailler en deux équipes de douze heures, à un four de fusion ; quelques-unes devaient assembler des pièces détachées de mitraillettes. La nourriture était très insuffisante et la mortalité augmenta énormément en décembre, c’est le cas de Renée, qui décède le 15 décembre 1944.

Liste de déportés femmes enregistrées au camp de Flossenbürg. Renée Kamenney y figure. Son nom est mal orthographié, Kammeney Renne au lieu de Kamenney Renée, y figure également sa date de naissance, 27 août 1921 et la date et le lieu de son décès, le 15 décembre au camp de Wilischthal, Kommando du camp de Flossenbürg.

Famille Kamenney, Léon
Léon, le fils aîné, s’est marié à Paris, à la mairie du 20ème arrondissement le 6 décembre 1932, avec Coralie Kaplan. Ils habitent alors dans le 11ème arrondissement, au 3, boulevard Jules Ferry, où vivaient les parents de Coralie. Mobilisé en mars 1940, Léon avait été affecté à un dépôt stationné à Angoulême, puis libéré à la fin du mois d’août, sans avoir servi dans une unité combattante.

Face aux persécutions antisémites, Léon s’engage, dès 1941 dans la résistance communiste, dans les rangs du Front National. Il est interpellé une première fois le 30 janvier 1941, dans une imprimerie qui édite l’Humanité clandestine, puis relâché, faute de preuves. En fait, il vit sous le faux nom de Billon, au 1, rue Grozlin, dans le 6ème arrondissement et est responsable de la presse clandestine du Parti communiste pour la région parisienne. Après avoir été filé, depuis janvier 1943, par les inspecteurs des Brigades spéciales, spécialisés dans la traque des ennemis intérieurs, communistes, principalement, il est arrêté le 1er mars 1943, alors qu’il avait rendez-vous avec des militants communistes. 

Photo de Léon pendant son internement en prison après son arrestation en 1943.

Le 31 mars 1944, il est condamné à 8 ans de travaux forcés par le Tribunal d’État, une création du gouvernement de Vichy. Il est incarcéré à la prison de la Santé, puis de Blois et au camp de Royallieu, à Compiègne d’où il est déporté, par le convoi du 21 mai 1944 au camp de Neuengamme.

Témoignage au sujet de l’arrestation et de la déportation de Léon Kamenney. Y figure sa date d’arrestation, le 2 mars 1943, de son jugement, le 30 mars 1944, et de sa déportation au camp de Neuengamme le 24 mai 1944, 1 mois avant la déportation du reste de sa famille. Transféré à Lübeck, il décède sur le Cap Arcona, lors du bombardement du 3 mai 1945.
Enquête administrative relative à l’arrestation de Léon Kamenney qui confirme et complète le témoignage.

Ainsi, à cette date, toute la famille Kamenney a disparu, assassinée par les nazis.

Sources :
BAVCC AC21P 468379, AC21P 468372- Mémorial de la Shoah- archives d’Auschwitz- Amicale du camp de Flossenbürg-Le Maitron-témoignages familiaux.

Chantal Dossin

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