Henri Guilevitch, 42 ans en 1944
Henri Guilevitch est né le 24 avril 1902 à Lougansk en Ukraine, l’une des républiques soviétiques à l’époque. D’autres sources le disent né à Rostoff- sur-le Don, en Russie. Dans tous les cas, il a la nationalité russe.
Selon ses déclarations, il serait venu en France en 1904 avec son père, Ephraïm qui était tailleur, et son frère, Daniel, né également à Rostoff-sur-le-Don le 10 janvier 1889. Sa mère serait restée en Pologne pour soigner ses parents.
En 1921, suite à une condamnation à 3 mois de prison pour le vol d’une petite somme au cours d’un bal, Henri Guilevitch, est menacé d’expulsion, en vertu de la loi qui s’appliquait à tout étranger qui pouvait être expulsé du territoire et reconduit immédiatement à la frontière par décision du ministre de l’Intérieur, s’il estimait que cet étranger menaçait la sécurité publique. Une forme déjà de chasse aux étrangers...
Sur les conseils de son père, il s’engage dans la Légion étrangère. Ses 5 ans de services militaires accomplis au Maroc lui permettent de rester en France, en toute légalité, à partir de 1935. Son frère Daniel est alors devenu un violoniste réputé, membre du Quatuor Calvet et fondateur du trio Beaux-Arts. Cette situation lui a permis, probablement, d’émigrer an 1941 aux États-Unis.
Réhabilité, Henri Guilevitch exerce la profession de garçon de café dans plusieurs établissements à Paris. Il est domicilié à ce moment au 17, rue Chapon, dans le 3ème arrondissement, domicile de son père. Mais il vit « maritalement » avec Madeleine Moro, séparée de son premier mari, dont elle a deux enfants, Paulette et Pierre Moro, nés à Bobigny le 06 avril 1926 et le 21/06/1927. Elle habite au 73 rue Lavoisier à Rosny-sous-Bois. Ils auront ensemble trois enfants, deux filles jumelles, Sophie et Sonia nées le 16 / 04/1933 et un fils Maurice, né le 10 août 1935. Puis, pendant la guerre, dès 1940, la famille quitte Paris et se réfugie à Carentan, dans le Finistère pensant probablement y être protégée. Les enfants étaient scolarisés à l’école primaire de Carentan. Henri travaillait à Morlaix, plus exactement à Saint-Martin -des champs, commune limitrophe. Il se dit serveur, au Café du Bassin quand il entre au camp de Drancy, une fausse adresse peut-être ?

Cela jusqu’à son arrestation, à Paris, le 10 mai 1944. La raison de sa venue à Paris, ce jour-là, ne nous est pas connue. Peut-être était-il allé voir son père qui habitait rue Chapon. Or, plusieurs personnes habitant dans le 3ème arrondissement à deux trois rues de la rue Chapon, et également d’origine russe, Ivan Eliachev, Maurice Lew, sont arrêtées ce même jour lors d’une rafle qui a lieu dans ce quartier entre 10h et 11h30 ; Henri Guilevitch est dit, dans son dossier conservé aux Archives, qu’il est arrêté rue du Faubourg Poissonnière, une rue proche. A l’issue de cette rafle 25 Juifs sont arrêtés. En effet, aux lendemains du débarquement des troupes alliées sur les plages normandes, les arrestations dans la capitale se multiplient. 20 de ces personnes arrêtées sont le jour même internées au Camp de Drancy. Henri Guilevitch se présente, lorsqu’il entre au camp de Drancy, avec Yvan Eliachev et sa femme Dora qu’il devait connaître. La fiche de son carnet de fouille dit qu’il remet au chef de la police du camp la somme de 24 francs, puisque chaque interné devait remettre argent et objets de valeur à son arrivée au camp. Il a le numéro matricule 23820. Le 30 juin, il est conduit à la gare de Bobigny avec 1153 internés destinés à être déportés vers le centre de mise à mort d’Auschwitz-Birkenau. C’est le 76ème convoi de déportés juifs parti de Drancy.
Le voyage qui dure quatre jours, par une chaleur torride, est particulièrement épuisant pour ces familles entassées dans des wagons à bestiaux plombés. Le 4 juillet, le convoi entre à l’intérieur du camp de Birkenau sur la « rampe d’Auschwitz » où a lieu la sélection. Les travaux de Serge Klarsfeld ont permis d’apprendre que 223 femmes sur 495 et 398 hommes sur 654 sont déclarés « aptes » pour le travail. Ce sont généralement les plus jeunes. Le nombre de déportés désignés pour ce travail d’esclave, plus de la moitié, est beaucoup plus élevé que celui des transports précédents car Les camps deviennent, en 1944, un vivier de travailleurs pour l’industrie de guerre. L’autre moitié du convoi, les malades et les enfants, dits « inaptes » au travail, sont gazés dès l’arrivée.
Henri Guilevitch, encore jeune, entre, comme la quasi-totalité des hommes de ce convoi jugés aptes au travail, au camp d’Auschwitz III situé à une dizaine de kilomètres d’Auschwitz près du village de Monowitz. Y était installée l’usine surnommée « Buna », d’IG Farben-Industrie destinée à fabriquer du caoutchouc synthétique. Il devient le déporté A-16677. Il est dit sur ses différentes fiches d’internement « Bäcker » (boulanger), ce qui lui a permis peut-être de travailler aux cuisines, un Kommando plus « facile », et de survivre jusqu’à l’évacuation du camp.
Le 18 janvier 1945, il fait partie des 250 à 300 déportés du convoi 76 évacués du camp de Monovitz. Il effectue la première marche de la mort, une marche de 60 kilomètres sur des routes enneigées, en plein hiver, jusqu’à la ville de Gleiwitz, un Kommando du camp d’Auschwitz. Le 20 ou le 21 janvier, plus de 4000 déportés sont entassés dans des wagons à charbon que les hommes rentrés dénommaient « wagons découverts », car sans toit, donc ouverts à tous les vents, à la neige et au froid, sans recevoir de nourriture. Après six jours de transport, il arrive vivant avec 100 hommes du convoi 76 le 26 janvier 1945 au camp de Buchenwald. Il reçoit un nouveau numéro matricule 122733 au camp de Buchenwald. Il survit à cette évacuation marquée par une mortalité effroyable. Le 9 ou le 10 février 1945, il figure sur une liste de déportés transférés au camp de Langenstein-Zwieberge, un Kommando du camp de Buchenwald. À ce moment 135 hommes dont 85 Juifs sont transférés au camp de Langestein en tant qu’invalides. Il est possible que ce soit le cas d’Henri Guilevitch. Il figure sur une liste de déportés contrôlés le 17 mars au Revier du camp de Langestein. Par la suite, on perd sa trace. Son décès au camp n’est pas connu. Selon l’étude d’André Sellier sur le camp de Dora, le Kommando de Langestein est évacué le 9 avril 1945. ″Sur un effectif total de 4900 détenus, seuls 3000 d’entre eux peuvent prendre la route : 3 000 survivants, en six colonnes de 500, encadrées de gardiens et de SS. L’une fut anéantie et on ne retrouva pas sa trace, une autre marcha jusqu’au 28 avril et arriva près de Berlin avec seulement 18 survivants. Les autres déportés du camp, malades, incapables de marcher, sont abandonnés... Quand les Américains découvrent le camp le 13 avril, ils y trouvent beaucoup de cadavres et des survivants en triste état (...). Au total, sur les 953 Français du Kommando de Langestein, seuls 451 sont rentrés en France en 1945". 454 sont soit morts au camp, soit victimes des Marches de la mort. Henri Guilevitch en fait partie.

Après la guerre, c’est la fille aînée, Paulette, qui prend en charge les trois jeunes enfants d’Henri Guilevitch, leur mère étant partie à Boulogne, dans la région parisienne. Paulette fait la connaissance de Paul Bouzin avec qui elle se marie à Boulogne le 15/06/1946. Face aux difficultés, une assistante sociale, dans le cadre des pupilles de la nation, voulait prendre en charge un des trois enfants, Paulette refuse « c’est trois ou pas ». La famille réussit à ″ joindre les deux bouts ″. Sonia, Sophie et Maurice iront dans une école professionnelle en internat du côté d’Orly. Sonia y sera modiste, Sophie couturière.

Sophie n’a pas eu d’enfant. Sa sœur Sonia a eu deux enfants, Patricia née le 10 juillet 1954 et Pascal, né le 26 décembre 1958 qui ont eu chacun deux enfants, Damien et Brian, Davy et Joan. Sonia vit toujours et a transmis à son fils ses souvenirs.
DAVCC Caen- Mémorial de la Shoah-Archives Arolsen- Archives nationales, fonds de Moscou- témoignages familiaux.
Chantal Dossin