Henri Borlant

Photo Laurence Krongelb
Le 15 juillet 1942 des soldats allemands arrêtent Henri Borlant 15 ans, son père, son frère 17 ans et sa sœur 21 ans. Ils sont déportés d’Angers à d’Auschwitz par le convoi n° 8.
1. Présentation
Henri Borlant a été déporté à 15 ans. Il est né à Paris, le 5 juin 1927. Ses parents sont arrivés de Russie avant la guerre de 1914, son père venant d’Odessa et sa mère de Kichinev (Bessarabie), l’un et l’autre parlant le russe et le yiddish. Immigrée en France à l’âge de 12 ans, avec ses parents et ses sœurs, sa mère s’est mariée à 16 ans, en 1916, son père, ayant déserté l’armée tsariste, alors qu’il faisait un service militaire de longue durée avait alors 28 ans. Il a exercé le métier de tailleur à domicile, sa mère effectuant les livraisons. Le couple a eu dix enfants, dont une petite fille décédée très jeune, cinq garçons et cinq filles, Henri est le quatrième. Son frère aîné, Léon, sera prisonnier de guerre, libéré puis résistant. Henri est déporté en 1942 avec son père, Aron, sa sœur aînée Denise et son frère plus âgé de deux ans, Bernard (premières images du film Il faudra raconter).
2. Histoire d’avant
La famille Borlant habitait un petit appartement, dans un immeuble HBM (habitations à bon marché) 159 rue Château des rentiers, dans le 13ème arrondissement à Paris. C’était une famille juive bien intégrée (elle a donné à ses enfants des prénoms français), peu pratiquante : le père était laïc, la mère plus attachée, comme ses parents, à la tradition juive.
En août 1939, à la veille de la déclaration de guerre, la famille, mère et enfants, est contrainte de déménager, dans le Maine-et-Loire, à Saint Lambert du Lattay, au sud d’Angers, où les rejoignent, en juin 1940, leur père et leur deuxième frère Bernard.
Confrontés à la déclaration de guerre et à l’occupation militaire Henri reste, avec sa famille dans le village où il est scolarisé dans une école catholique, avec un instituteur, prêtre en soutane. Il étudie l’histoire sainte et obtient le certificat d’études primaires et le certificat d’études supérieures (libres). Baptisé, il songe à devenir prêtre et missionnaire mais ayant reçu un extrait d’acte de naissance portant le cachet « juif », le projet est abandonné et il devient apprenti-garagiste.
3. L’arrestation et la déportation
Le 15 juillet 1942, des soldats allemands (de la Feldgendarmerie) arrivés par camions viennent arrêter « tous les Juifs ayant entre 15 et 50 ans », soit Henri, 15 ans, Bernard, 17 ans, Denise, 21 ans, leur mère, âgée de 42 ans, mais pas leur père, quinquagénaire, qui reste avec 5 enfants ayant de 13 ans à moins de 3 ans. Ils sont conduits au grand séminaire d’Angers transformé en prison, lieu où il est séparé de sa sœur, qu’il ne reverra pas, et de sa mère, puis les Allemands ramènent la mère à la maison et arrêtent le père.
Le 20 juillet 1942, le père et ses deux fils sont déportés d’Angers, par le convoi 8, dans des wagons à bestiaux, sans hygiène (un baquet) et entassés, par une chaleur étouffante, pour un voyage qui va durer trois jours et trois nuits. Pendant le trajet, Henri a l’idée d’écrire un petit mot à sa mère dont il s’inquiète beaucoup, ainsi que des petits : « maman chérie, il paraît que nous partons vers l’Ukraine pour faire les moissons », dernier message jeté par la lucarne, accompagné d’une petite pièce, qu’un cheminot de Versailles adressera à sa famille, avec quelques lignes témoignant de sa sympathie et de sa compassion.
4. L’internement à Birkenau et Auschwitz, le travail forcé
L’arrivée dans le camp se fait au bout des rails, dans un terrain vague et ils sont immédiatement confrontés à l’organisation de la terreur, à la violence verbale et physique des SS avec leurs chiens, à des détenus en uniforme rayé bleu et blanc, à des ordres, criés en allemand, leur enjoignant d’abandonner leurs bagages et de courir en tête de train pour une première sélection qui envoie les femmes, enceintes ou accompagnées d’enfant(s) et les personnes âgées vers les camions et le Krematorium, alors que ceux restés à gauche rentrent dans le camp. Des 824 Juifs déportés dont 430 femmes, 20 survivront dont une femme.
Conduits dans une première baraque, ils sont déshabillés, tondus et rasés, immatriculés sur l’avant bras gauche : 51 055 est le numéro qu’Henri Borlant peut, encore aujourd’hui, redire en allemand, en polonais et en russe ; on leur jette des vêtements souillés mais « désinfectés » : chemise, veste et pantalon sur lesquels doivent être cousus le numéro, de même que l’étoile à six branches des prisonniers juifs, aux pieds, des sortes de « claquettes ». Il arrive au Block 9, dans ce qui est devenu le camp des femmes avec l’extension du camp ; il est très vite séparé de son père et de son frère, envoyés au Block 16. Puis à la fin de l’année 1942 il se retrouve seul, âgé de 15 ans et demi à Auschwitz I.
Le jeune Henri a été affecté à des Kommandos de travail comme celui des pierres, remplissant puis vidant dans une Trage, caisse en bois portée par deux hommes, de la terre et des cailloux, sous l’œil et les coups des Kapos et des Vorarbeiter contremaîtres. Il participe à la construction de baraques, routes et voies ferrées, déchargeant des sacs de ciment, posant des rails, il a aussi fait partie de l’école des maçons (Maurerschule), au Block 7.
5. Les blessures, les maladies, les sélections
Il a eu des plaies non soignées à la jambe et au pied dont il garde les cicatrices, il a eu des poux malgré l’épouillage quotidien, et le typhus avec une très forte fièvre mais il a refusé d’aller à l’infirmerie où l’on risquait la mort. Il a eu la dysenterie, avec ses conséquences : les pantalons souillés qu’il fallait laver sous peine de sanction, de brimades. Il a été le témoin de sélections de Juifs pour la chambre à gaz avec la baraque fermée, les portes en bois renforcées avec des planches clouées, sélections qui, en 1944, n’épargnent pas les jeunes à Birkenau, où il est revenu en octobre-novembre 1943. Il a vu la mise en place du gazage des Juifs hongrois, à l’été de 1944, alors que les fours crématoires ne suffisaient plus et qu’il a fallu creuser des fosses.
6. La Libération
La libération n’a pas été immédiate, puisque, après les camps d’Auschwitz et Birkenau, les SS ont replié les déportés à Oranienburg, Sachsenhausen, Ohrdruf, Buchenwald. Quand les Américains sont arrivés, Erenberg et Henri ont conduit deux soldats américains au camp d’Ohrdruf et ont montré aux officiers et aux soldats les morts, les cadavres décharnés. Quelques jours plus tard, l’état major américain, Eisenhower et les généraux Bradley et Patton accompagnés de nombreux correspondants de guerre, journalistes, cinéastes et photographes, sont arrivés au camp.
A 18 ans, il surmonte tous les obstacles et démarre ses études secondaires. Deux ans et demi plus tard il obtient son bac et entre à la faculté de médecine.Il devient médecin généraliste.
Marie-Paule Hervieu
« merci d’avoir survécu » Henri Borlant
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Témoigner de la déportation dans les classes :
1992-1993 « Camps français, camps nazis, les Enfants cachés », avec Maurice Rajfus, Henri Borlant, Raphaël Delpard, témoignages au lycée Edgar Quinet, Paris IXe
Petit cahier n°5 Film-débat du 9 avril 2008 - « Témoigner de la déportation dans les classes. Il faudra raconter »
Il faudra raconter...de Daniel et Pascal Cling, 2004, 57 minutes, Iskra - Arte