Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

MOTRO Haïm

Convoi 76
dimanche 10 novembre 2024

Haïm Motro, 25 ans en 1944

Haïm Motro est né à Alger le 5 novembre 1918, Il est le fils de Joseph Motro et de Rachel, orthographié aussi Rahel, qui exerçaient, à Alger la profession de confectionneurs. Selon leurs enfants, ils seraient venus en France en 1920. Ils se sont mariés le 14 mai 1927 à Nîmes où ils demeuraient à leur arrivée, au 7 rue des Halles. De 1920 à 1939, ils vivent ensuite au 3, rue de l’hôtel de ville. Joseph Motro y décèdera en1928. A partir de 1939, la mère de Haïm, son frère et sa sœur vivent chez le frère de Joseph Motro, à Toulouse.

C’est dans cette ville qu’Haïm s’est marié le 30 décembre 1941 avec Lucienne Mordoh, née à Perpignan le 27 octobre 1918. Ils habitent au 25 rue Laganne. Haïm Motro, âgé de 23 ans, est à ce moment-là apprenti mécanicien dentiste. Ils ont par la suite habité dans le village de Galland près de Montauban, avec plusieurs membres de la famille, s’y sentant probablement protégés. C’est là que naît le 30 août 1943, Michel, leur premier fils.

Haïm Motro est arrêté le 3 juin 1944, suite à un contrôle d’identité effectué par la Gestapo dans le train parti de Lannemezan pour Toulouse. Il allait chercher sa mère qu’il pensait en danger à Toulouse, n’hésitant pas pour cela à prendre le train où les contrôles étaient fréquents et risqués pour lui. Très précisément le contrôle a lieu entre Montrejeau et Saint-Gaudens, donc peu après le départ du train. La Gestapo, l’arrête en raison de son identité juive et le fait interner immédiatement à Tarbes, ville la plus proche, même si elle est située dans le département des Hautes-Pyrénées. Il est ensuite transféré à la prison Cafarelli à Toulouse, où les Allemands regroupaient les Juifs raflés ou arrêtés. Le 15 juin, il quitte cette prison pour le camp de Drancy où il entre le 19 juin avec 124 déportés arrêtés dans la région. La fiche de son carnet de fouille dit qu’il remet au chef de la police du camp la somme de 2400 francs, puisque chaque interné devait remettre argent et objets de valeur à son arrivée au camp. Cet argent était certainement destiné au retour de sa mère.

Le 30 juin, il est conduit à la gare de Bobigny avec 1153 internés destinés à être déportés vers le centre de mise à mort d’Auschwitz-Birkenau. C’est le 76ème convoi de déportés juifs parti de Drancy.

Le voyage qui dure quatre jours, par une chaleur torride, est particulièrement épuisant pour ces familles entassées dans des wagons à bestiaux plombés. Le 4 juillet, le convoi entre à l’intérieur du camp de Birkenau sur la « rampe d’Auschwitz » où a lieu la sélection. Les travaux de Serge Klarsfeld ont permis d’apprendre que 223 femmes sur 495 et 398 hommes sur 654 sont déclarés « aptes » pour le travail. Ce sont généralement les plus jeunes. Le nombre de déportés désignés pour ce travail d’esclave, plus de la moitié, est beaucoup plus élevé que celui des transports précédents car les camps deviennent, en 1944, un vivier de travailleurs pour l’industrie de guerre. L’autre moitié du convoi, les malades et les enfants, dits « inaptes » au travail, sont gazés dès l’arrivée.

Haïm Motro, jeune, est déclaré apte pour le travail. Il ne sera plus désormais appelé que par son numéro matricule, A- 16783. Comme la quasi-totalité des hommes de ce convoi sélectionnés pour le travail, il entre au camp d’Auschwitz III. Situé à une dizaine de kilomètres d’Auschwitz près du village de Monowitz, y était installée l’usine surnommée « Buna », d’IG Farben-Industrie destinée à fabriquer du caoutchouc synthétique. Etant déclaré ″Zahntechnicker  ″, c’est-à-dire prothésiste dentaire, il est possible qu’il ait été affecté à l’infirmerie où les médecins nazis ne venaient que pour effectuer des sélections, et préféraient confier le quotidien aux médecins, infirmiers ou dentistes déportés, qui sont d’ailleurs venus souvent en aide aux déportés malades, les cachant, par exemple, au moment des sélections. Haïm survit ainsi jusqu’au 18 janvier 1945, date de l’évacuation du camp d’Auschwitz. Il fait partie des 250 à 300 déportés du convoi 76 évacués du camp de Monovitz. Il effectue la première marche de la mort , une marche de 60 kilomètres sur des routes enneigées , en plein hiver, jusqu’à la ville de Gleiwitz, un Kommando du camp d’Auschwitz. Le 20 ou le 21 janvier, il fait partie des 4000 déportés, 3987, selon les chiffres allemands, entassés dans des wagons à charbon que les hommes rentrés dénommaient « wagons découverts », car sans toit, donc ouverts à tous les vents, à la neige et au froid, sans recevoir de nourriture. Après six jours de transport, Haïm Motro arrive vivant, avec 100 hommes du convoi 76, le 26 janvier 1945 au camp de Buchenwald. Nouveau camp, nouveau matricule, 123105. 

Le 9 février, il est transféré dans un Kommando dénommé Adorf, où se trouvait une usine fabriquant des moyens de transport pour les V2. Il entre à un moment donné au HKB (Haftling Krankenbau, infirmerie destinée aux déportés), rapidement probablement, épuisé par ces transferts ou blessé dans le Kommando ? On sait qu’il quitte le HKB le 22 février mais ne retourne pas dans son Kommando de travail, comme d’autres déportés malades. Il est dit affecté au ″Schonung ″. Le Schonung, dit André Sellier dans son livre sur le camp de Dora, c’est le bref repos, de quelques jours, auquel donne droit un papier visé par un médecin du Revier ( infirmerie). Il autorise le déporté à retourner dans un Block spécial du camp. Haïm Motro n’était donc pas en situation de travailler encore, à ce moment.

Affectation d’Haïm Motro, mal orthographié (Montro), le 22 février 1945 au ″Schonung ″du camp de
Mittelbau (nom du camp de Dora, à partir d’octobre 1944).Son numéro, 109346 y figure, ainsi que
son Kommando, Adorf)

Affectation d’Haïm Motro, mal orthographié ( Montro), le 22 février 1945 au ″Schonung ″du camp de
Mittelbau (nom du camp de Dora, à partir d’octobre 1944).Son numéro, 109346 y figure, ainsi que son Kommando, Adorf.
 ll figure cependant sur une liste de déportés transférés au camp de Dora-Mittelbau le 5 mars 1945 où il reçoit encore un nouveau matricule, 109346.

Ce parcours de camp en camp, dans les conditions effroyables décrites plus haut se termine pour Haïm Motro au camp de Bergen-Belsen, situé à 170 kilomètres au nord de l’Allemagne. On sait que lors de l’évacuation du camp de Dora, les 4 et 5 avril 1945, 6 convois ferroviaires évacuent les déportés vers le camp de Bergen-Belsen. Ces convois, souvent bombardés arrivent vers le 11 avril à Bergen-Belsen, à un moment où l’épidémie de typhus fait des ravages dans ce camp devenu un véritable mouroir. Haïm Motro y contacte lui-même le typhus. Le camp est libéré par les troupes britanniques et canadiennes le 15 avril, et Haïm Motro est rapatrié le 25 avril 1945 par la Croix-Rouge. 

Parcours d’Haim Motro, de son arrestation à sa libération
brièvement évoqué par ce courrier le Ministère des Anciens Combattants du 29 novembre 1955

Il retrouve son épouse à Paris où ils vivent quelques années dans le XIe arrondissement au 100, boulevard Richard Lenoir. Un deuxième fils, René, naît le 15 mai 1946 à Paris. Haïm Motro travaille comme prothésiste dentaire à demeure chez un stomatologiste, le professeur Gabriel, établi à Bécon-les-Bruyères par ailleurs professeur à « La Tour d’Auvergne » où Haïm Motro intervient de temps en temps. Son épouse est modéliste/ coupeuse dans un atelier de confection. La crise du logement (ils n’ont qu’un studio) les oblige à mettre leurs deux fils en nourrice à Paray-Vieille-Poste. Ils décident, vraisemblablement en 1949, de rejoindre une partie de la famille à Béziers où Haïm exercera définitivement sa profession de prothésiste dentaire. Il a vécu jusqu’à la fin de sa vie à Béziers.

Henri (Haïm) et ses deux fils, Michel et René
sur les allées Paul Riquet à Béziers en 1956

Outre Michel né en 1943, et René né en 1946, une fille prénommée Danielle est venue compléter sa descendance. Elle est née le 17 Août 1958 à Béziers.

 Ses deux fils ont eu une formation d’ingénieur à l’Institut National des Sciences Appliquées à Lyon. Le premier en électronique, le second en constructions civiles. Michel a eu une carrière technico-commerciale internationale, dans les domaines liés aux produits informatiques (Texas Instruments, et Nec computers entre autres). Ses deux fils, Denis et Bernard travaillent dans l’informatique. Ils sont pères de deux enfants pour le premier, et de quatre pour le second.

René a suivi une carrière universitaire d’enseignant chercheur. Professeur émérite de l’Université de Montpellier, il s’est consacré à des recherches pour le développement d’architectures innovantes. Il a quatre enfants et sept petits-enfants.

Danielle, après sa formation en informatique s’est tournée vers les assurances.

Haïm Motro est décédé à Béziers le 17 février1986, il a connu tous ses nombreux petits-enfants.
Il n’évoque pas le souvenir de sa déportation, mais sa veste de déporté en portait toujours témoignage.
Elle a inspiré à son fils René ce texte émouvant intitulé « La veste ».

La veste, de René Motro, pour Haïm

Sources : DAVCC- AC21P 602037-Memorial de la Shoah-Archives Arolsen-Témoignages familiaux (de René et Michel Motro)

Chantal Dossin

Retour à la liste du convoi 76