Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

Camp de concentration de Haïdari (Grèce), sous la botte nazie

lundi 30 septembre 2024

La terreur nazie s’est manifestée à l’intérieur d’un camp d’internement et de transit, Haidari, considéré aussi comme camp de concentration (en allemand : KZ Chaidari).

Le 13 septembre 2024 à Villeneuve d’Ascq, j’ai assisté à une conférence intitulée : L’enfer d’Haïdari, « Bastille de Grèce ». Celle-ci était donnée par Marie-Pierre Tournakis, présidente de l’association de jumelage Villeneuve d’Ascq-Haïdari (AJVAH), ce jumelage ayant été effectué en janvier 2001.

Son mari, Constantin Tournakis, est le consul de Grèce à Lille dont la juridiction s’étend sur les départements du Nord, du Pas-de-Calais et la Somme. Monsieur Tournakis est né à Haïdari, ville située à environ sept kilomètres à l’ouest d’Athènes, considérée comme le « poumon vert » de la capitale grecque. Le jumelage est apparu évident puisque Villeneuve d’Ascq comme Haïdari ont été marquées toutes les deux par les répercussions terribles de la barbarie nazie. En effet, cette année a été commémoré le quatre-vingtième anniversaire du massacre de 86 civils, par des éléments de la 12e division SS Hitlerjugend, habitant la petite commune d’Ascq, devenue Villeneuve d’Ascq par fusion avec deux autres communes en 1970 [1].
Pour Haïdari (ou Chaïdàri), la terreur nazie s’est manifestée à l’intérieur d’un camp d’internement et de transit, considéré aussi comme camp de concentration (en allemand : KZ Chaidari). Voici quelques éléments de cette conférence complétés par mes soins.

 Occupation de la Grèce par les forces de l’Axe

Mussolini envahit la Grèce le 28 octobre 1940, le gouvernement grec refusant le passage des troupes italiennes pour envahir l’Albanie. Mais les troupes italiennes se trouvent rapidement en difficulté face à la résistance des Grecs ce qui entraîne l’intervention de l’Allemagne nazie début avril 1941. Cependant, après l’invasion allemande et jusqu’en septembre 1943, la plus grande partie du pays reste occupée par l’Italie. Les Italiens avaient hérité des prisons grecques d’avant-guerre, qui abritaient un grand nombre de prisonniers politiques, majoritairement des communistes, et avaient établi un certain nombre de camps d’internement surtout dans le sud de la Grèce, dans le Péloponnèse. Lorsque le cours de la guerre tourne en défaveur de l’Axe au printemps 1943, les Italiens décident de déplacer les détenus vers des lieux plus sûrs, en particulier vers l’Attique. Le 29 août 1943, 600 prisonniers, dont 243 communistes emprisonnés depuis avant la guerre par le régime grecque pro-fasciste de Metaxas, sont envoyés de Larissa, dans le nord de la Grèce, vers Athènes et arrivent le 3 septembre dans la caserne d’Haïdari. Le camp avait été construit à l’origine comme une caserne militaire qui n’avait jamais été terminée,et ses structures avaient été pillées en 1941. En conséquence, il était en mauvais état lorsque les premiers prisonniers commencent à arriver au début de septembre 1943.

 Le camp d’Haïdari

Il a une forme à peu près rectangulaire, entouré d’une triple clôture de barbelés, avec des tours de garde tous les 200 mètres. La porte du camp se trouve du côté ouest de la clôture. La plupart des bâtiments sont regroupés dans la moitié nord du camp. Les blocs 1 à 4 y sont situés, construits en quinconce vers l’est. Il s’agit de bâtiments de caserne à deux étages, divisés en deux sections égales mais séparées, ouest et est, avec des entrées séparées pour chacune. Le coin nord-est abrite les entrepôts, le réfectoire, les bains (Bloc 16), où se trouvent également les cellules d’isolement des femmes, les ateliers (Bloc 21) et le quartier général du camp (Bloc 20). Le tristement célèbre bloc 15, situé à l’est du quartier général, est le lieu d’isolement des hommes, avec les quartiers des gardes du camp et le réfectoire. Construit avant la guerre comme prison militaire, il est devenu le bâtiment d’isolement strict du camp. Les conditions de détention exiguës, l’absence d’installations sanitaires de base, l’isolement du monde extérieur et la brutalité des gardiens ont affecté lourdement la santé et la santé mentale des détenus.Dans le coin sud-est se trouve l’aile isolée des femmes (Bloc 6). Sous les Allemands, le premier étage abrite les femmes juives, tandis que le deuxième étage est réservé aux chrétiennes.
Au début, le régime du camp est relativement souple : les visites et le courrier sont autorisés, les détenus ne sont pas confinés dans leurs chambres et ne sont pas obligés d’effectuer des travaux manuels. Le contrôle italien sur Haïdari a cependant été de courte durée : le 8 septembre 1943, l’Italie capitule devant les Alliés et le 10 septembre et les Allemands prennent le contrôle du camp.

 Haïdari sous la botte allemande

Le nouveau commandant allemand, le sergent Rudi Trepte, impose rapidement un régime plus rigide, les prisonniers étant confinés dans leurs chambres pendant leur temps libre et les visites étant limitées à une fois par mois. Entre-temps, la population du camp commence à augmenter avec l’arrivée de 700 prisonniers en octobre et début novembre. Cependant, Trepte et ses deux traducteurs grecs sont rapidement arrêtés par la Gestapo pour des raisons encore inconnues. Au bout de quelques jours, le camp passe sous l’autorité des SS et du Sturmbannführer Paul Radomski.
Radomski était un « vieux combattant » du parti nazi et l’un des premiers compagnons de route de Reinhard Heydrich lorsqu’ils se trouvaient à Hambourg dans la 28e SS-Standarte. Il était considéré comme brutal même par ses collègues officiers SS. Son dossier personnel le qualifiait de « primitif » et, en tant que commandant du camp de concentration de Syrets près de Kiev, il faisait régner la terreur, ordonnant des punitions sévères pour les plus petites infractions, tirant sur les détenus ou les fouettant, une « habitude » qu’il conserve à Haïdari. A partir de là, l’intérieur du camp est gardé par des membres de Volksdeutsche (descendants d’Allemand) [2] de la Waffen-SS de Hongrie et de Roumanie, tandis que la garde extérieure est composée de troupes de la Wehrmacht.

Sous Radomski, les détenus du camp sont soumis au travail en deux équipes de quatre heures par jour, sauf le dimanche. Les détenus sont divisés en groupes de 100 hommes. Cependant, le travail n’a pas pour but de produire des résultats, mais simplement de briser le moral des prisonniers : ils doivent creuser des trous, puis les reboucher, construire des murs, puis les démolir. Les détenus, mis à l’isolement dans le bloc 15 pour tentatives de fuite ou de rébellion, subissent les pires tortures morales et physiques.

Hadairi, Block 15
(municipalité)

Le récit d’un témoin oculaire, Constantin Vatikiotis, arrêté le 26 octobre 1943, décrit Radomski exécutant personnellement un prisonnier juif appelé Levy, devant les autres prisonniers, « pour avoir tenté de s’évader le jour de son arrestation ». Cette exécution doit non seulement servir d’avertissement aux autres, mais aussi placer les détenus dans une crainte constante pour leur vie. Vatikiotis estime qu’au cours des quelques mois où il a été interné à Haïdari, environ 2 000 personnes ont été exécutées, 300 autres y sont mortes des suites de tortures ou au siège du SiPo-SD rue Merlin, dans le centre d’Athènes. Parmi ces personnes figuraient 30 femmes, 104 invalides et 230 étudiants.

Radomski est relevé de ses fonctions en février 1944, après avoir menacé de tuer son propre adjudant alors qu’il était ivre et il est condamné à six mois de prison [3]. Il est remplacé par le lieutenant Karl Fischer qui inverse la politique de son prédécesseur : au lieu du traitement brutal de Radomski, il s’appuie sur des informateurs et des espions parmi les prisonniers. Malgré l’atmosphère un peu moins répressive, Fischer a quand même supervisé la période la plus active du camp : au cours du printemps et de l’été 1944, les Allemands se sont livrés à des arrestations massives à Athènes et la population de détenus du camp a culminé à plusieurs milliers en août, à peine deux mois avant la Libération. Plusieurs centaines de personnes, capturées lors de ces rafles, ont ensuite été transportées dans les camps en Allemagne.
Les politiques de représailles allemandes ont également entraîné une forte augmentation des exécutions. C’est notamment le cas des 200 communistes exécutés le 1er mai 1944 en représailles à l’embuscade et au meurtre du général allemand Franz Krech par des partisans grecs.
En mars 1944, les Allemands emprisonnent également à Haïdari plusieurs hommes politiques de premier plan, qu’ils soupçonnaient d’avoir des contacts avec les Britanniques. Le chef du SiPo-SD d’Athènes, Walter Blume, avait l’intention de les exécuter lorsque l’armée allemande devrait se retirer, laissant le pays dans le chaos. Finalement, cette décision a été rejetée par ses supérieurs et les hommes politiques grecs ont été libérés début septembre 1944, juste avant l’arrivée des Britanniques. Blume a été arrêté en 1947 et jugé à Nuremberg lors du procès des Einsatzgruppen en 1948. Condamné à mort, il est pourtant libéré dès 1955. Il est décédé en 1974.

 Juifs à Haidari

Les Juifs de Thessalonique (80% des Juifs de Grèce) avaient déjà été déportés entre mars et août 1943 : plus de 75% des 48.974 Juifs de Grèce du Nord ont été gazés à Auschwitz dès leur arrivée, et une centaine affectés aux Sonderkommandos.
Ainsi, bien que les Allemands aient déjà déporté les Juifs de Thessalonique, ville qui se trouvait sous leur juridiction depuis 1941, ils n’ont pas immédiatement agi contre les Juifs de l’ancienne zone italienne. Les premiers Juifs de cette ancienne zone sont arrivés à Haidari le 4 décembre 1943 et ont été isolés dans le sous-sol du bloc 3, mais leur nombre n’a augmenté que lentement. Les premières arrivées massives ont lieu fin mars 1944, alors que les Allemands s’attaquent simultanément aux communautés juives de toute la Grèce. Dans ces opérations, Haïdari a servi de camp de transit central vers les camps d’extermination d’Europe centrale : le 23 mars, environ 700 à 1 000 membres de la communauté d’Athènes sont rassemblés et emmenés à Haïdari, suivis quelques jours plus tard par 614 Juifs d’Épire et de Grèce occidentale, y compris des Juifs avec des passeports étrangers. Au début du mois de juin 1944, 1 850 Juifs des îles Ioniennes arrivent suivis, le 1er août, par 1 700 Juifs de Rhodes et du Dodécanèse. Tous sont déportés à Auschwitz-Birkenau où presque tous sont tués quelques jours après leur arrivée

Déportation de juifs de Ioannina (Jannina)
Wikipedia

On estime qu’au cours de l’année de fonctionnement du camp, quelque 21 000 personnes y ont transité, Juifs et prisonniers politiques grecs mais aussi, apparemment, des prisonniers de guerre italiens. La majorité de ces personnes a été déportée vers les camps de concentration en Allemagne, à Auschwitz dans le cas des Juifs. Environ 2 000 détenus y ont été exécutés pendant l’exploitation du camp.

25 mars 1944, déportation de juifs de Ioannina à Auschwitz.
Wikipedia

En ce qui concerne les femmes, si plus de 300 chrétiennes résistantes ont connu « la Bastille de Grèce », ce sont 2 500 femmes juives qui sont passées par Haïdari à partir du 7 décembre 1943 avant leur déportation.

 Histoire et commémoration de l’après-guerre

A partir de la fin des années 1940, le camp a été utilisé par l’armée grecque, qui y a installé une école d’infanterie et une école de communication. Dans les années 1950, le bloc 15 est à nouveau utilisé comme centre de détention.
Cependant, après la défaite de la gauche dans la guerre civile grecque, la commémoration publique des lieux associés à la Résistance grecque, en particulier aux 200 communistes exécutés le 1er mai 1944, est interdite. Ce n’est que dans les années 1980, avec l’arrivée du parti socialiste au pouvoir entraînant l’adoption de lois sur la reconnaissance de la Résistance et sur la réconciliation nationale, que le camp est ouvert aux événements commémoratifs annuels. Le bloc 15 a depuis été déclaré site monument national et figure dans le logo de la municipalité de Haïdari.
La trace de Radomski a été perdue pendant des décennies après la fin de la guerre. Mais en 2005, le procureur de Hambourg a informé les autorités ukrainiennes qu’elles enquêtaient sur les crimes commis dans le camp de concentration de Syrez et que Radomski avait péri le 14 mars 1945 dans les environs de Székesfehérvár en Hongrie.

Jacqueline Duhem

Mazower Mark, Inside Hitler’s Greece : the experience of occupation, 1941-44, New Haven 1993. Dans la Grèce d’Hitler, Perrin, collection Tempus, 2011.

Benz Wolfgang,Distel Barbara (Hrsg.) : Der Ort des Terrors. Geschichte der nationalsozialistischen Konzentrationslager. Band 9 : Arbeitserziehungslager, Ghettos, Jugendschutzlager, Polizeihaftlager, Sonderlager, Zigeunerlager, Zwangsarbeiterlager. C.H. Beck, München 2009

Salonique, la Jérusalem des Balkans

Juifs de Corfou

[2NDLR. Mark Mazover, Dans la Grèce d’Hitler, Perrin, Tempus, p. 358

[3NDLR. Le tribunal SS a estimé qu’« il était un homme très primitif, dépourvu de toute éducation et totalement inapte au commandement. » Mark Mazover, p. 360