Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

Berty Albrecht, compagnon de la Libération, Dominique Missika

féministe, résistante, morte pour la France
lundi 29 avril 2024

Une des six femmes compagnons de la Libération, inhumée au Mont Valérien. Une pionnière des droits des femmes.

Berthe Wild dite Berty, est née à Marseille, en 1893, dans une famille aisée, protestante, d’origine suisse, très stricte, habitant 140 rue Sainte (Saint Victor).

Une jeune femme rebelle

Berty se rebelle contre sa mère rigoriste, trop soucieuse de son éducation en vue d’un beau mariage. Elle obtient un diplôme d’infirmière en Suisse. Envoyée en Angleterre pour parfaire son éducation, elle découvre les suffragettes, les Pankhurst (WSPU) [1], la liberté de pouvoir disposer de son corps. Femme de 1m50 aux yeux bleus, elle séduit l’ancien stagiaire de son père, Frederic Albrecht, catholique d’origine hollandaise, né en Allemagne, retrouvé lors de son séjour à Londres où il est chargé de la surveiller.

Menace de guerre. Elle rentre à Marseille.

Ayant un diplôme d’infirmière, elle soigne les blessés de la guerre 14-18, dans les hôpitaux. Elle s’entête contre la volonté de sa mère et épouse Frederic Albrecht, banquier catholique, à Rotterdam en 1918, avant l’armistice. Ils s’installent à Londres en 1924, mènent une vie de famille bourgeoise, avec deux enfants.

Une féministe oubliée

Berty s’ennuie. Les Anglaises ont eu le droit de vote en 1918, elle devient suffragette et milite pour la libération de la femme, le Birth control. Comme la crise de 1929 a touché son mari, elle fait construire une maison, La Farigoulette, à Beauvallon, en Provence, où la vie est moins chère.
Séparée de son mari, elle part à Paris en 1931, inscrit ses enfants à l’École alsacienne. Elle adhère à la Ligue des droits de l’homme, amie de Victor Basch. Adepte de la liberté, elle connait les Années folles, milite à La ligue mondiale pour la réforme sexuelle (WLSR). Elle publie une revue féministe Le Problème sexuel 1933, où il est question du droit à la contraception et à l’avortement. Elle visite l’URSS pour voir les réalisations concernant les droits des femmes.
En 1933, elle accueille des réfugiés allemands antifascistes, et des juifs, puis des républicains espagnols. Lors d’un dîner, en 1934, elle rencontre le capitaine Henri Frenay, militaire de carrière, qui a douze ans de moins qu’elle et vient d’une famille catholique traditionaliste. Tout les oppose socialement, politiquement, la religion, mais ils sont amoureux.

Le Front populaire et la deuxième guerre

Les femmes se battent pour le droit de vote. Elles font grève. elles réclament la fin des abus. Elle suit des cours pour obtenir le diplôme de surintendante d’usine (assistante sociale). Elle est nommée à Paris, puis à la Manufacture d’armes de Saint Étienne. Son mari qui ne veut pas qu’elle travaille, lui coupe les vivres. C’est la drôle de guerre, puis la débâcle. En 1940, elle rejoint les usines Fulmen à Clichy, puis elle les suit dans leur repli, à Vierzon, coupée par la ligne de démarcation. Elle aide des prisonniers de guerre à passer en zone « libre ».

Femme dans la Résistance

A Vichy, 1940, elle retrouve Frenay, prisonnier de guerre, évadé, affecté au 2e bureau de Vichy au service renseignements. Tous deux refusent la défaite mais croient encore que Pétain est capable de diriger la résistance contre l’Allemagne.
Ils rédigent des bulletins dactylographiés pour informer, contrer la propagande de Vichy, et radio Paris, trouver des contacts, comme Claude Bourdet, Pierre de Froment. Fonctionnaire, Bertie est nommée au Commissariat à la lutte contre le chômage (CLC) à Villeurbane. Frenay est à Lyon, haut lieu de la résistance. L’ordre moral de Vichy ne la fait pas réagir, elle pense que Pétain veut gagner du temps en plaisant aux Allemands alors qu’il veut rééduquer les femmes (Travail, Famille, Patrie).

En janvier 1941, Frenay se met en congé d’armistice. Il multiplie les contacts, rencontre Jean Moulin, a des infos par le deuxième bureau. Berty et Frenay continuent à diffuser leur bulletin Bulletin d’Information et de propagande grâce à l’achat d’une ronéo, à élargir leur cercle, recueillir des renseignements, recruter parmi les militaires, les assistantes sociales, jusqu’en zone occupée avec Jeanne Sivadon. Parmi les personnalités recrutées, le pasteur Roland de Pury, Claude Bourdet, Pierre Henri Teitgen, Jean Gemähling, Madeleine Braun, Jeanne Pagel, Vistel, Chevance.

L’opinion croit au double jeu. Berty et Henri ne se démarquent pas de Pétain, ils luttent contre les nazis. Bertie aide Frenay à mettre en place le MLN Mouvement de Libération nationale. Leur bulletin devient Les Petites Ailes de France, Résistance et Vérités qui fusionne avec Liberté de François de Menthon, et devient en 1941 Combat. Elle fonde avec Frenay le mouvement Combat. Elle recrute, continue son service social en aidant les familles de résistants prisonniers.

Recherchée

La police de Vichy est sur ses traces. Arrêtée début 1942, elle est relâchée au bout de trois jours, arrêtée à nouveau en avril 1942 avec des membres de son mouvement, elle est en détention administrative à Vals-les-Bains. Suite à une grève de la faim avec certains de ses compagnons dont Emmanuel Mounier pour être jugée, elle est libérée, mais aussitôt internée dans la prison Saint-Joseph à Lyon et condamnée à 6 mois de prison.

Suite à l’invasion de la zone « libre », par crainte d’être déportée, elle simule des crises de folie, ce qui lui vaut d’être envoyée à l’asile d’aliénés du Vinatier à Bron. Un commando des Groupes Francs de Combat avec l’aide de sa fille Mireille, la libère, mais elle refuse de se mettre au vert, et prend pour pseudo Victoire. Elle continue ses missions, change souvent de lieu, est chez les Gouze [2], à Cluny où elle reprend du travail avec Frenay. Mais elle est aussi recherchée par la Gestapo comme ennemie du Reich et par elle, ils sont sur la piste de Frenay.

Ayant rendez-vous à Macon à l’hôtel de Bourgogne avec des responsables, elle tombe dans un piège. Qui a trahi ? Multon, le secrétaire de Maurice Chevance. Elle est arrêtée le 28 mai 1943, transférée au fort Montluc à Lyon, emprisonnée à Fresnes où elle meurt le 31 mai 1943.

Jean Moulin et Henri Frenay s’opposent. Frenay va à Londres rencontrer de Gaulle pour s’expliquer. Combat rompt avec Pétain [3]. Les plus folles rumeurs circulent au sujet de Berty.

Les uns et les autres créent une légende autour de la mort de Berty. « Une Française décapitée à la hache [4], ... dans la cour de Fresnes », comme l’écrit Aragon. De nombreux témoignages pour exciter la haine de l’Allemand parlent de Bertie décapitée, guillotinée, fusillée ? Pendant longtemps, témoignages, récits, citations inexactes pullulent, même Frenay maquille les derniers moments.

Frenay organise une grande cérémonie d’hommage autour de quinze cercueils dont celui de Berty Albrecht et de Renée Lévy, des Invalides à l’Arc de triomphe, et vers le Mont Valérien, le 11 novembre 1945.

« La vie ne vaut pas cher, mourir n’est pas grave, Le tout, c’est de vivre conformément à l’honneur et à l’idéal qu’on se fait. » Elle se pend.
Morte pour la France, Compagnon de la Libération...
En 2004 Mireille a la preuve que sa mère s’est pendue.

https://www.marseille.fr/decouvrir-marseille/actualites/berty-albrecht-alias-victoire-militante-feministe-heroine-de-la

Square Berthie Albrecht à Marseille, UH

square situé en face de l’abbaye Saint -Victor, à côté du 140 rue Sainte


Une biographie très riche et passionnante.

Bibliographie

Henri Michel, Combat, Histoire d’un mouvement de Résistance, PUF, 1957
Henri Frenay, La nuit finira, Mémoires de Résistance 1940-1945, Paris, Robert Laffont, 1973
Ania Francos, Il était des femmes dans la Résistance, Paris, éditions Stock, coll. « Les grands sujets », 1978
Mireille Albrecht, Berty, Laffont, 1984
Dominique Missika, Berty Albrecht, éditions Perrin, 2005
Mireille Albrecht, Les Oubliés de l’Ombre, Éditions du Rocher, 2007.
Laurent Douzou et Dominique Veillon, article « Combat », dans Dictionnaire historique de la résistance, Robert Laffont, 2006.
Patrick Cabanel, Les protestants et la République, Complexe, 2000
Renée Dray-Bensousan in Marseillaises, Vingt-six siècles d’histoire, Édisud, AFV, Aix-en-Provence, 1999.
https://maitron.fr/spip.php?article9821 par Renée Dray-Bensousan

NM

[1Sylvia Pankhurst, directrice de l’Union sociale et politique des femmes

[2famille de Danièle Mitterrand

[3En 1943, Combat fusionne avec Libération et Franc-tireur, Henri Frenay, Emmanuel d’Astier de La Vigerie et Jean-Pierre Lévy forment les MUR, mouvements unis de la Résistance de la Zone Sud.

[4Depuis 1936, la décapitation se fait avec la guillotine, de même que les Allemands ne fusillent pas les femmes..