Famille Vlodaver, Esther, 49 ans et Rosette, 19 ans
Esther Vlodaver était née Guenzer le 14 décembre 1894 à Kichinev, capitale de la Bessarabie. Devenue aujourd’hui la Moldavie, cette région appartenait alors à la Russie. Les Juifs y étaient très nombreux et les actes antisémites fréquents. Un pogrom avait eu lieu à Kichinev, en 1903, des assassinats de Juifs ont suivi tout au long du 20ème siècle. Ces évènements ont probablement été à l’origine du départ d’Esther Vlodaver pour la France. Jacob, Lejb Vlodaver était né le 27 septembre 1887 à Varsovie. Il était le fils d’Isaac Vlodaver et de Guittla Herigfeld.
On ne connaît pas la date d’arrivée en France d’Esther et de Jacob Vlodaver, probablement peu avant la guerre, car Rosette dit que sa mère parlait difficilement le français. Ils font partie de ces immigrés juifs fuyant l’antisémitisme dans leur pays dans les années d’avant-guerre. Ils se rencontrent en France et se marient dans les années 1920. Ils habitent au 14 rue des Ecouffes, dans le 4ème arrondissement, un des principaux quartiers juifs à Paris, dénommé Pletzel, qui, depuis la fin du 19e siècle a accueilli des milliers de Juifs. La mère d’Esther, Ida, vivait, avec eux. Jacob Vlodaver est maroquinier, Esther est couturière. Une première fille, Jeannette, naît de leur union le 14 mai 1920, puis Rosette, le 13 mai 1925. Jacob Vlodaver meurt brutalement d’une congestion pulmonaire le 25 novembre 1933, à l’âge de 46 ans.
Esther et ses enfants vivent pauvrement dans un petit logement. Rosette et Jeannette sont scolarisées à l’école élémentaire du quartier, rue des Hospitalières Saint-Gervais, une école laïque fondée en 1844 pour les jeunes de la communauté juive. Jeannette Vlodaver s’est mariée avec Raymond Rezpski, qui était catholique. Rosette et sa mère se sont parfois réfugiées au domicile du couple, lorsque les nazis et le gouvernement de Vichy ont mis en place les lois antisémites.
Après la rafle du Vél d’Hiv, le 16 juillet 1942, la famille se procure des faux papiers et passe en zone sud, hébergée quelques temps chez un voisin, à Périgueux. Mais le logement, petit, ne pouvant plus tous les loger, ils doivent revenir à Paris, et le 8 juin 1944, deux jours après le débarquement des Alliés, c’est l’arrestation. Au moment où l’espoir renaît dans la population, les forces de police multiplient les arrestations dans les quartiers juifs pour remplir toujours et encore les derniers convois de Juifs en préparation au camp de Drancy. Comme si la haine anti-juive redoublait à la perspective de la défaite, Rosette et sa mère sont ainsi arrêtées à l’aube à leur domicile, par des policiers de la Préfecture de police. Ce jour-là et la veille, les 7 et 8 juin une cinquantaine de personnes de familles juives, parmi lesquelles des personnes âgées de plus de 70 ans ainsi qu’une mère et ses 5 jeunes enfants sont également arrêtées rue des Ecouffes et dans les rues voisines, rue des Francs-Bourgeois, rue Oberkampf. Rosette et sa mère entrent le jour même au camp de Drancy. La fiche de leur carnet de fouille dit qu’elles remettent au chef de la police du camp la somme de 2196 francs, puisque chaque interné devait remettre argent et objets de valeur à son arrivée au camp. Elles ont deux numéros matricules qui se suivent, 23757 et 23758. Elles restent trois semaines au camp.
Le 30 juin, elles sont conduites à la gare de Bobigny avec 1153 internés destinés à être déportés vers le centre de mise à mort d’Auschwitz-Birkenau. C’est le 76ème convoi de déportés juifs parti de Drancy. Le voyage qui dure quatre jours, par une chaleur torride, est particulièrement épuisant pour ces familles entassées dans des wagons à bestiaux plombés. Le 4 juillet, le convoi entre à l’intérieur du camp de Birkenau sur la « rampe d’Auschwitz » où a lieu la sélection. Les travaux de Serge Klarsfeld ont permis d’apprendre que 223 femmes sur 495 et 398 hommes sur 654 sont déclarés « aptes » pour le travail. Ce sont généralement les plus jeunes. Le nombre de déportés désignés pour ce travail d’esclave, plus de la moitié, est beaucoup plus élevé que celui des transports précédents car les camps deviennent, en 1944, un vivier de travailleurs pour l’industrie de guerre. L’autre moitié du convoi, les malades et les enfants, dits « inaptes » au travail, sont gazés dès l’arrivée.
Rosette Vlodaver, mise du côté des jeunes, entre au camp de femmes de Birkenau. Alors que sa mère, âgée de 49 ans, est sélectionnée pour la chambre à gaz.
Rosette Vlodaver n’est appelée désormais que par son numéro matricule A-8709. Malgré les travaux pénibles, le peu de nourriture et les nombreuses maladies qui circulent dans le camp, elle survit jusqu’à la fin novembre où elle est transférée au camp de Ravensbrück, un camp de femmes situé au Nord de l’Allemagne. Puis en janvier 1945, elle est à nouveau transférée, dans un camp annexe de Ravensbrück, le camp de Malchow où elle reste jusqu’en mai 1945. Il semble qu’elle travaille alors dans une usine d’armement. Petit à petit le camp est surchargé, des détenues arrivent tous les jours au fur et à mesure des évacuations. Elles n’ont presque plus rien à manger. Le 1er mai, à la veille de la libération du camp, elles sont évacuées à pied. Avec de jeunes camarades connues au camp, elles se cachent dans la forêt. Le camp est libéré peu après par l’Armée rouge. Un groupe de prisonniers et de déportés français émus par ces « fillettes jetées dans la tourmente » les prennent ensuite en charge, sur une charrette arborant le drapeau français et le drapeau soviétique, dans le secteur américain. Rosette Vlodaver est rapatriée dans le courant du mois de mai. Il est dit sur sa fiche médicale qu’elle a perdu 16 kilos. Selon sa famille, elle avait eu le typhus durant sa détention.
Pourtant, Rosette Vlodaver travaille peu de temps après son retour. Tout d’abord chez son beau-frère, qui était fourreur ; il confectionnait les manteaux qu’elle cousait à la machine. Puis elle est archiviste au dispensaire de la FNDIRP (Fédération nationale des déportés et internés résistants et patriotes), rue Leroux, pendant une vingtaine d’années. Elle s’occupe des dossiers des patients, souvent d’anciens déportés avec lesquels elle a toujours gardé le contact. Ainsi, tous les jeudis, elle les retrouve à l’Amicale d’Auschwitz, autour d’un goûter devenu leur lieu de rendez-vous.
Rosette Vlodaver a eu une fille, Estelle, en 1952, qui a eu elle-même deux enfants, Jessica et Jonathan. Elle a bien connu ses petits-enfants et arrière-petits-enfants, qui vivaient près de chez elle et qu’elle voyait régulièrement. Belle revanche sur la vie.
Rosette Vlodaver est décédée le 30 mai 2020, à l’âge de 95 ans.
DAVCCAC21P- Mémorial de la Shoah- témoignages familiaux
Chantal Dossin