Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

Ghetto de Varsovie, les archives d’Emanuel Ringelblum

France Culture 80ème anniversaire du soulèvement du ghetto de Varsovie.
jeudi 30 mars 2023

Une histoire particulière, en deux épisodes, samedi 15 avril et dimanche 16 avril 2023 de 13h30 a 14h00, "Il est important de parler du trésor que représente les archives Ringelblum". Dominique Prusak

Diffusion sur France Culture + podcast
(enregistré à Varsovie)

Une histoire particulière

samedi 15 avril et dimanche 16 avril 2023 de 13h30 a 14h00

Ghetto de Varsovie, les archives d’Emanuel Ringelblum

Installation

Installation à l’endroit où les archives ont été retrouvées. Dans le cube de verre, une copie du testament de David Graber - François Teste

I la résistance par l’écrit.

En octobre 1940, à Varsovie, l’historien juif et humaniste Emanuel Ringelblum compose une équipe pour archiver la vie quotidienne du ghetto. Les nombreux documents collectés constituent l’un des plus grands actes de résistance contre la Shoah en Pologne.

Résumé.
Quand on arrive à Varsovie aujourd’hui, 80 ans après la destruction du ghetto, une imposante tour de verre remplace la synagogue dynamitée par les Allemands le 16 mai 1943. Miraculeusement, juste en face, singulier contraste, l’ancien bâtiment qui était, avant la guerre, l’Institut d’étude judaïque, abrite maintenant l’Institut historique juif. A l’intérieur, la plus grande collection de documents collectés par l’historien Emanuel Ringelblum et son équipe (journalistes, écrivains, sociologues, économistes, artistes... une soixantaine de personnes en tout) pendant toute la vie du ghetto, d’octobre 1940 à mai 1943. Mais attention, l’exposition permanente n’est que la partie émergée de l’énorme trésor immergé dans la partie invisible de l’Institut.
Conservés en sous-sol dans plusieurs coffres-forts et uniquement réservés aux chercheurs, ces documents représentent 35 369 pages très précisément, soit 6000 documents rassemblant des textes dactylographiés, des rapports (en polonais et en yiddish surtout, mais aussi en hébreu et en allemand) des photos ou encore des affiches et emballages de friandises. Ils mettent en lumière, dans le plus infime détail, la vie clandestine du ghetto, notamment les comités d’immeuble, les organismes d’entraide sociale, la vie culturelle et religieuse. Mais aussi la police juive ou la contrebande. De nombreux documents administratifs disent l’aggravation calculée de la persécution nazie, au jour le jour, par le froid et la faim. Une véritable terreur par la misère.
La situation sociale donne lieu à des enquêtes de l’équipe de Ringelblum sur la morbidité tuberculeuse et typhique (les allemands considérants les juifs contaminateurs naturels du typhus d’où l’obligation de les isoler des autres).
Ces écrits représentent une précieuse mine pour comprendre réellement l’évolution du ghetto et sa tragédie organique. En effet, les seules images filmées arrivées jusqu’à nous, sont celles tournées par la propagande allemande avec des scènes inventées où l’abondance ne correspond pas à la réalité ! Seule exception, les quelques photos bouleversantes prises in situ par Heinrich Jöst, sergent de la Wehrmacht et peu publiées. Un témoignage limité en comparaison des riches archives d’Emmanuel Ringelblum et de son équipe baptisée « Oneg Shabbat » (la joie du shabbat). L’écrit reste donc la véritable empreinte de la vie et la mort du ghetto. Un énorme acte de résistance qui commence bien avant le soulèvement final.
Parallèlement à son obsession pour une collecte systématique, Emanuel Ringelblum demande à sa collègue Rachel Auerbach de créer un réseau de soupes populaires afin d’alimenter les habitants qui ont faim, notamment les enfants. Car Emanuel Ringelblum est autant historien qu’humaniste et côté politique, un acteur social appartenant à un parti marxiste révolutionnaire.
A partir d’octobre 1941, l’équipe « d’Oneg Shabbat » met sur pied une agence d’information à destination des organes de presse clandestins. Sa force pour le destin du ghetto de Varsovie est de recevoir des rapports des autres ghettos polonais où déjà, l’on massacre et gaze sans discontinuer dans des camions (les chambres à gaz industrielles seront créées plus tard). C’est le cas au centre d’extermination de Chelmno près de Lodz. Le premier rapport complet sur Chelmno réalisé grâce à un prisonnier échappé est envoyé au gouvernement polonais à Londres et à la BBC en mars 1942. Ainsi, dès le printemps 42, grâce à Ringelblum, l’extermination des juifs polonais n’est plus ignorée à l’ouest de l’Europe ! Pour lui, elle annonce aussi une extermination totale. Avec « Oneg shabbat », ils ne croient plus à la possibilité d’un après-guerre où il s’agira d’écrire leur histoire dans le ghetto et d’en témoigner après une libération attendue. Une conviction macabre qui se confirme en début juillet 1942, quand les dirigeants « d’Oneg Shabbat » sont informés d’une déportation de masse. Malheureusement, l’ensemble des habitants du ghetto n’y croit pas, tant elle semble inconcevable par son abjection ! Pourtant, la « grande déportation » commence le 22 juillet 1942 et dure près de dix semaines. Elle conduit à Treblinka entre 265 000 et 290 000 juifs.
Pendant « la grande déportation » et ensuite « la 2ème déportation » de janvier 1943, Ringelblum continue de collecter les documents jusqu’à la fin du soulèvement commencé le 19 avril 43 et écrasé mi-mai. Deux mois avant, en février 1943, il a déjà pu fuir le ghetto par un des tunnels sous le mur mais y revient régulièrement pour continuer son travail de collecte. Il est présent physiquement le jour du soulèvement.
Il meurt un an plus tard avec sa femme et son fils à la suite d’une dénonciation dans la partie aryenne de Varsovie où ils se sont réfugiés tous les trois.
En 1999, « les archives Ringelblum » sont inscrites par l’Unesco au registre de la « mémoire du monde ».

Intervenants :
Wioletta Bachur, conservatrice à l’Institut historique juif de Varsovie.
Anna Zatonska, enseignante de la Shoah.
Konstanty Gebert, rédacteur en chef du mensuel juif « Midrasz ».

II La mémoire sous les pierres.

Les archives collectées par l’historien juif et humaniste Emanuel Ringelblum avec son équipe sont enterrées avant la destruction du ghetto de Varsovie. Retrouvées après la guerre, elles constituent la principale source historique de la tragique disparition des juifs polonais.

Résumé
Varsovie, année 2023. Dans la rue Nowolipki, se dresse, devant nous, imposante, la grande église Saint Augustin, seul bâtiment rescapé du ghetto. Aleksandra Engler-Malinowska, jeune historienne de la Shoah, nous emmène au bout de la petite artère, à l’ex numéro 68 très précisément. Là, au milieu d’un espace naturel entouré d’immeubles cossus, un cube de verre émerge de terre. A l’intérieur, visible aussi la nuit, s’expose une petite feuille manuscrite appartenant aux archives Ringelblum précédemment enterrées là. C’est le testament à peine abîmé de David Graber, 19 ans, étudiant (chargé de l’enfouissement). Il est écrit dessus à l’encre un peu délavé : « ce que nous ne pouvions transmettre, nos cris, nos hurlements, nous l’avons enfoui sous la terre. Je voudrais tant voir le moment où le grand trésor sera exhumé et clamera la vérité au monde. Ainsi le monde saura tout. Nous pouvons maintenant mourir en paix. Nous avons accompli notre mission. Puisse l’histoire en témoigner pour nous ». Nous sommes à ce moment le 03 août 1942, il est 16h00 (au treizième jour de la première déportation de masse), la rue voisine est assiégée, les enfouisseurs doivent faire vite !
Quatre ans plus tard, en septembre 1946, Hersz Wasser, membre de « Oneg Shabbat » et survivant de la destruction du ghetto, localise l’endroit de l’enfouissement et retrouve les archives enterrées sous l’ancienne école, dans la cave du 68 rue Nowolipki. Dix boites de fer recouvertes d’une épaisse couche de moisissures vertes à l’intérieur desquelles les champignons ont commencé à attaquer des milliers de feuilles jaunâtres et collées. C’est la première partie de la mise à jour des archives enterrées par Ringelblum. La seconde le sera en 1950 pas très loin dans deux énormes bidons de lait. Elle concerne des documents jusqu’à février 43, après la seconde déportation. La troisième partie, jamais retrouvée, pourrait-être aujourd’hui sous ce qui est devenue l’Ambassade de Chine. Un territoire donc toujours interdit. Et pour certains historiens, une légende !
Parmi tous les documents mis à jour, les derniers glissés dans les bidons de lait constituent un degré de résistance et d’humanité à jamais égalé. Ce sont les paroles de Wladislaw Szlengel, le « poète juif du ghetto », ainsi baptisé par Ringelblum. Durant toute l’existence du ghetto et jusqu’aux derniers jours du soulèvement, ce célèbre animateur des grands cafés littéraires d’avant-guerre, auteur de chansons ravageuses, défendant les droits sociaux et les minorités, galvanise ou console tous les habitants qui luttent pour leur existence. Selon Halina Birenbaum, une rescapée, « ses textes étaient écrits dans la fièvre de la passion, alors que se déroulaient des événements qui nous semblaient les derniers du siècle. Ils interrogeaient nos sentiments, nos pensées, nos besoins, nos souffrances et nos combats implacables pour chaque minute de vie supplémentaire ». On saisit aussi l’ambiance et les peines du ghetto à travers sa description minutieuse du quotidien entravé par des persécutions. Poète non résigné, résistant, Szlengel se voit surtout « chroniqueur des noyés ». Quand les trains emportent les habitants du ghetto à tout jamais à Treblinka, Szlengel poursuit : « en l’espace d’une heure, mes textes sont devenus des poèmes que je lisais aux morts... ». Emanuel Ringelblum qualifie Szlengel de « marqueur de mémoire ». Le poème « la petite gare de Treblinka » est d’un humour noir qui transcende la mort. Il galvanise les insurgés juifs dans leurs bunkers.
Szlengel disparaît, assassiné le 9 mai 1943. Autour de lui, le ghetto que les nazis enflamment immeuble par immeuble se transforme inexorablement en ruines. Le 16 mai 1943, les allemands neutralisent les derniers combattants qui n’ont pu ou voulu s’enfuir par les égouts. C’est aussi le moment que choisit Stroop, le commandant allemand pour dynamiter la grande synagogue de Varsovie. Mais plusieurs dizaines de réfugiés juifs se cacheront encore dans des abris souterrains jusqu’au milieu de l’été 1943. Le ghetto ne sera plus alors qu’un immense désert de pierres.

Intervenants :
Aleksandra Engler-Malinowska, historienne, créatrice de l’installation « Nowolipki 68 ».
Jacek Leociak, historien de la Shoah.
Karolina Szymaniak, chercheuse en langue yiddish.
Jean Yves Potel, écrivain, biographe de Wladyslaw Szlengel, éditeur de ses poèmes.
Konstanty Gebert, journaliste de l’histoire juive.

Traduction : Alexandre Dayet
Texte «  le testament de David Graber » lu par François Xavier Szymczak
Poème « la petite gare de Treblinka » de Wladyslaw Szengel lu par Malgorzata Strus
Merci à Aleksandra Galant et à l’Institut historique juif de Varsovie
Documentation Radio France : Noémie Boncourt
Recherche musicale : Antoine Vuilloz
Prise de son à Paris : Delphine Baudet
Attachée d’émission : Sylvia Favre
Coordination : Christine Bernard
Un documentaire de Dominique Prusak réalisé par François Teste
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-ghetto-de-varsovie-les-archives-d-emanuel-ringelblum
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/une-histoire-particuliere-un-recit-documentaire-en-deux-parties/la-resistance-par-l-ecrit-6981733
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/une-histoire-particuliere-un-recit-documentaire-en-deux-parties/la-memoire-sous-les-pierres-4076701

Les ouvrages recommandés :
Georges DIDI-HUBERMAN : éparses (Les éditions de minuit)
http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-Eparses._Voyage_dans_les_papiers_du_ghetto_de_Varsovie-3317-1-1-0-1.html

Emanuel RINGELBLUM : Oneg Shabbat, journal du ghetto de Varsovie (Calmann Levy)
https://www.calmann-levy.fr/livre/oneg-shabbat-journal-du-ghetto-de-varsovie-9782702158579/

Wladyslaw SZLENGEL : ce que je lisais aux morts (Circé)
https://www.editions-circe.fr/livre-Ce_que_je_lisais_aux_morts-513-1-1-0-1.html

Samuel D. Kassow : qui écrira notre histoire ? Les archives secrètes du ghetto de Varsovie (Grasset)
https://www.grasset.fr/livres/qui-ecrira-notre-histoire-9782246746911

Emanuel Ringelblum : archives clandestines du ghetto de Varsovie tome 1 (Fayard)
https://www.fayard.fr/histoire/archives-clandestines-du-ghetto-de-varsovie-tome-1-9782213627540

Emanuel Rigelblum : archives clandestines du ghetto de Varsovie tome 2 (Fayard)
https://www.fayard.fr/histoire/archives-clandestines-du-ghetto-de-varsovie-tome-2-9782213632131
France-Culture

Pour prolonger : Arnold Schönberg

Arnold Schönberg, Un survivant de Varsovie (oratorio dramatique, 1947).

Autrichien, il fut victime d’antisémitisme en 1921 à Mattsee, une station balnéaire près de Salzburg qui se voulait Judenfrei. [1] En 1933, le 30 janvier 1933, Hindenburg nomme Hitler chancelier. Schönberg fuit Berlin, passe en France et s’exile aux État- Unis.

NM

[1Die heurige Fremden-Saison in Mattsee verspricht sehr gut zu werden. Hoffentlich gelingt es auch heuer dem rührigen Fremdenverkehrsverein unseren Badeort judenrein zu halten. Aus der ’Salzburger Chronik’ im Mai des Jahres 1921. (La saison touristique de cette année à Mattsee promet d’être très bonne. Espérons que l’active association touristique parviendra cette année encore à garder notre station balnéaire exempte de juifs. Extrait de la ’Chronique de Salzbourg’ de mai 1921)
https://www.br-klassik.de/aktuell/news-kritik/schoenberg-center-antisemitismus-mattsee-ausstellung-online-100.html