Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

Paul Roth, rescapé des camps d’Auschwitz et de Buchenwald

convoi 76
samedi 25 mars 2023

Décès de Paul Roth, docteur en médecine, ancien externe des Hôpitaux de Paris, lauréat de la faculté de médecine de Paris, rescapé des camps d’Auschwitz et de Buchenwald, convoi n° 76 du 30 juin 1944, matricule A-16.838, survenu le 4 mars 2023, à l’âge de 98 ans.

Paul Roth, déporté dans le convoi 76 du 30 juin 1944, matricule A-16838, est décédé le 4 mars 2023.

Il avait été arrêté avec sa mère, son frère et ses deux sœurs, à leur domicile, à Villeurbanne, le 22 mai 1944. Alors que leur père, résistant dans le cadre d’un réseau lié à l’Armée secrète, avait été arrêté un an avant, en juin 1943 et déporté au camp de Buchenwald.

Lorsque nous avons écrit l "L’avant-dernier convoi Drancy-Auschwitz " en 2010, Paul Roth nous avait confié les photographies de ses sculptures et des peintures de son frère André, disant : « Mon frère et moi avons cherché parallèlement, dans l’expérience artistique, le baume qui nous a permis d’écarter, pour un moment, la laideur et l’ignominie de la déportation et d’en oublier le dégoût. »

En souvenir de Paul Roth, nous publions ci-dessous le récit du parcours exemplaire à plusieurs titres de sa famille entre 1939 et 1945.
Chantal Dossin

Chapitre XI : Frères et soeurs au camp,
Monowitz et Birkenau

Marcelle ROTH épouse ANGELERGUES, 23 ans, son frère Paul, 20 ans, déportés avec leur mère Laure, 55 ans, leur frère André, jumeau de Paul, 20 ans, et leur sœur cadette Françoise, 17 ans

D’après nos entretiens avec Marcelle et Paul, en 2008 et 2009, et les enregistrements de la Survivors of the Shoah Foundation effectués par Samuel Grosman, le 15 mars 1996 et par Jack Assoun, le 17 janvier 1997.

Les époux Joannès et Laure Roth, font partie des vieilles familles françaises. Joannes est né à Lyon en 1887, et Laure à Fegersheim, dans le Bas-Rhin, en 1889. Laure est croyante et pratiquante. Joannès est athée, mais accepte l’éducation religieuse que Laure donne à ses enfants. Laure est femme au foyer, et Joannès, représentant en métallurgie. Il combat pour la France pendant la guerre de 1914-1918, devient titulaire de la croix de guerre et de la médaille d’Orient avec citations. Après la guerre, naissent quatre enfants : Marcelle, en 1921, les jumeaux, André « le turbulent  » et Paul « le placide », en 1924, et Françoise, en 1927. La famille, harmonieuse, vit à Lyon.

Au début des années 1930, ils s’installent à Paris, 7 rue Chaptal, dans le ixe arrondissement. Ils sont évidemment français et Paul remarque : « J’étais, suis, et resterai totalement et intégralement français ». Pourtant à l’école primaire, Marcelle ressent sa différence religieuse par rapport à ses petites camarades catholiques.

En 1939, la menace de la guerre conduit Joannès à laisser sa famille à Villers-sur-Mer où elle passait les vacances. Puis l’exode les mène aux environs de Tours avant que le retour à Paris ne s’impose pour des raisons professionnelles. Au lycée, le jeune Paul perçoit les premières marques d’antisémitisme de la part de lycéens fascistes. Joannès est dépossédé de son entreprise par les lois antisémites du gouvernement de Vichy. Tous se sont légalement déclarés en tant que Juifs. Marcelle se souvient d’avoir porté, ainsi que son père, l’étoile jaune discriminatoire alors qu’elle était en première année de médecine à Paris. La famille se replie à Lyon, en 1942. Joannès entre dans la Résistance, sous le nom de Leblanc : il fait partie du réseau F2, lié à l’Armée Secrète [1] et fournit des renseignements stratégiques à Londres. Son réseau dénoncé, il est arrêté à Lyon en juin 1943, conduit à la Gestapo, rue Berthelot, où il est interrogé et gravement torturé par l’équipe de Klaus Barbie. Son comportement héroïque lui permet de ne pas livrer à ses tortionnaires, les noms de ses camarades de lutte. Il est ensuite interné au fort Montluc, transféré à Compiègne et déporté à Buchenwald.

Le reste de la famille se réfugie à Villeurbanne, rue Germain. André entre dans un groupe de lycéens, résistants lyonnais. Tous les cinq, les quatre enfants et leur mère, sont arrêtés à leur domicile le 22 mai 1944, « à un mois du bac  », précise Paul, alors en terminale « Maths élem [2] », comme André, au lycée Ampère de Lyon. Marcelle est en deuxième année de médecine à la faculté, et Françoise, au lycée du Parc, en première. Ils sont conduits à la Gestapo de Lyon, puis emprisonnés durant quatre semaines au fort Montluc. Ils sont ensuite transférés à Drancy.

Fiches d’internement à Drancy de la famille Roth

Ils sont enregistrés dans le fichier « famille », du numéro « 24236 au 24240 », sont « FO », « français d’origine », la mère « SP », « sans profession », les quatre enfants, « étudiants », Laure Roth née Wildenstein, a la mention « M. 4E », « mariée, 4 enfants » ; les enfants sont tous « C », « célibataires », et tous les cinq appartiennent à la catégorie d’internés « B » « déportables immédiatement ».

Paul et André retrouvent leur mère et leurs sœurs. Puis tous les cinq, sont déportés par le convoi 76. À l’arrivée sur la rampe de Birkenau, Paul se souvient de la première sélection effectuée par « un type ganté de noir ». Il apprend plus tard que Laure, leur mère, âgée de 55 ans, a été immédiatement gazée. Marcelle, Françoise, André et Paul entrent dans le camp.

Paul et André, immatriculés A.16838 et A.16839, sont dirigés vers Monowitz, pour travailler à l’usine IG Farben. Les deux frères restent ensemble. Paul se souvient avoir été atteint de dysenterie, avoir été soigné au KB où il est également « opéré » d’un anthrax. La présence de son frère est précieuse, mais il souffre de le voir si amaigri. Quant à Marcelle et Françoise, à Birkenau, après le tatouage de leurs matricules, A.8872 et A.8873, la tonte, la douche à l’eau froide, « et des heures d’attente dehors, nues, sous la Schlague des SS », elles doivent se vêtir de vêtements civils provenant d’autres déportées. Ceux-ci sont déposés au sol en un tas hétéroclite à la sortie des douches, donnant lieu « aux premières bagarres entre déportées, seule la force physique primait ». Elles sont ainsi affublées de véritables tenues de clowns. Elles subissent ensuite l’application, dans le dos du vêtement, d’une croix de peinture de minium, qui, en traversant les étoffes, provoquait irritations et brûlures. [3] Elles restent ensemble jusqu’à ce que Françoise entre au Revier. Marcelle, à la fin d’une journée de travail, subit une sélection : couverte de plaies dues à la gale, elle est « prise du mauvais côté ». Elle explique à l’Allemand effectuant la sélection, qu’elle est étudiante en médecine et qu’elle n’a que la gale. Elle est alors dirigée du « bon côté » et, fin septembre-début octobre 1944 transférée à Ravensbrück. Elle n’a plus revu Françoise, restée au Revier.

Après deux mois environ, avec un groupe de femmes, elle est envoyée près de Leipzig dans un des Kommandos rattachés au vaste complexe industriel des usines d’armement Hasag-Hugo-Schneider. Les conditions sont moins insupportables : la nourriture plus consistante, de l’eau chaude pour la douche, des vêtements rayés plus « seyants » que « la tenue de clown de Birkenau ».

Un hasard extraordinaire veut qu’elle croise son père, transféré à Leipzig avec un Kommando de Buchenwald, affecté à la poudrerie de l’usine :

« Une trentaine d’hommes… défilent devant notre bâtiment pour gagner la sortie du camp… quand, poussant un cri, la toute jeune Marcelle, venue d’Auschwitz, s’élance et s’accroche au cou de l’un d’entre eux, grand, dont la tête dépasse du troupeau… son père ! Il la serre dans ses bras et l’embrasse. Stupeur, colère des SS qui les escortent : coups de schlague… les Aufseherinnen (surveillantes) accourent à la rescousse, frappent notre camarade, la traînent, et la jettent au cachot [4]. »

Marcelle bénéficie finalement de la clémence du chef de camp et du commandant qui lui accordent une entrevue d’une heure avec son père dans un des bâtiments. Elle connaît alors les conditions d’arrestation de son père, les tortures subies et son activité militante à Buchenwald. Quant à Joannès, c’est alors seulement qu’il apprend l’arrestation de sa famille. Surviennent ensuite les bombardements de l’usine par les Alliés. Au cours de l’un d’eux, une partie du camp est atteinte : beaucoup de déportées meurent dans ces circonstances.

Bijoux conservés par Marcelle et confectionnés au camp de Leipzig
Fonds privé

Bijoux conservés par Marcelle et confectionnés au camp de Leipzig, avec du fil électrique récupéré, pour offrir lors des anniversaires, à des détenues amies

Puis a lieu l’évacuation du camp, dans la nuit du 13 au 14 avril 1945, deux jours et deux nuits de marche « en colonne ». Au cours de l’évacuation, Marcelle aperçoit encore une fois son père, affaibli. Avec son amie Lisette [5], elles s’évadent de la colonne. Il faut regagner la France à tout prix malgré les barrages américains ! Elles sont finalement prises en charge par la Croix-Rouge et passent la frontière française en autocar à Saint-Avold. Elles aboutissent au Lutetia, « complètement désocialisées ».

Quant à Françoise, au moment de l’évacuation du camp d’Auschwitz [6], elle est transférée du Revier de Birkenau à l’hôpital d’Auschwitz, et décède en mars 1945 des suites probables d’une primo-infection, et surtout d’épuisement [7]. Paul et André, eux, effectuent la « marche de la mort » : épuisés, ils luttent pour ne pas s’endormir de peur de geler sur place. Puis ils embarquent dans les wagons à plates-formes découvertes pour Buchenwald où ils restent quatre mois. Pas de travail forcé. Mais Paul, malade, perd espoir, se sent proche de la fin. Paul et André sont finalement libérés ensemble en avril 1945 par les GI’s du général Patton. Paul exprime son admiration et sa reconnaissance envers Marcelle qui parvient à mettre sur pied un train sanitaire pour les rapatrier.

Extrait de la liste des déportés enregistrés au camp de Buchenwald, le 26 janvier 1945
Source : Archives du Musée d’Auschwitz

André et Paul Roth, avec leur date de naissance, leur lieu d’origine, leur profession au camp

Et après...

À leur retour à Paris, Paul et André ne retrouvent donc que Marcelle. Leur père, qui avait réussi à supporter tant d’épreuves, a été déclaré très tôt « Mort pour la France ». Courageusement, Marcelle s’occupe de ses deux frères. Paul, très affaibli, pèse trente-huit kilos pour 1 m 80. Son frère André est plus faible encore, plus malade : il ne pèse que trente-six kilos pour 1 m 82… Ils sont donc d’abord longtemps hospitalisés.

Plus tard, comme ils doivent gagner leur vie, Paul et André reprennent l’activité de leur père, « représentant en métallurgie », dans l’entreprise qu’il avait constituée. Mais Paul n’est pas fait pour ce travail. Il reprend finalement son année de « Maths élem. » et passe son bac à la session spéciale de rattrapage. André fait de même, puis continue le métier de représentant en métallurgie. Il se marie en 1947. De ce mariage naissent quatre enfants.

Marcelle passe, en session spéciale, ses examens de deuxième année à la faculté de médecine de Lyon puis poursuit ses études à Paris. En 1951, elle soutient sa thèse, puis obtient la qualification de psychiatre en 1954. En 1947, Marcelle a épousé René Angelergues, psychiatre. Ils ont eu deux enfants, un fils en 1948, une fille en 1951, puis six petits- enfants et trois arrière-petites-filles.

Après sa brève expérience de commercial, Paul décide aussi de « faire médecine ». Il soutient sa thèse en 1952 et en 1953, installe son premier cabinet de médecine générale à Villeparisis, puis à Boulogne-Billancourt où il exerce pendant quarante ans. Marié en 1951, il a eu deux enfants et il a maintenant cinq petits-enfants.

Aujourd’hui Marcelle explique qu’elle a pu justement se « reconstruire » en s’occupant de ses deux frères, en reprenant ses études, en fondant un foyer, et en travaillant énormément, en particulier en tant que médecin-psychiatre. Elle a exercé pendant trente ans au dispensaire Alice Grosperrin créé par la FNDIRP, où elle a assuré, jusqu’à sa retraite, la consultation de psychiatrie. Elle a d’ailleurs exercé une grande partie de son activité dans le service public jusqu’en 1992. Cela ne l’a pas empêché de goûter au plaisir du piano, une vieille passion, et d’apprécier le bonheur d’avoir une famille nombreuse et chaleureuse. Les deux frères, quant à eux, à côté de leur activité professionnelle, se sont consacrés à l’art : « Mon frère et moi avons cherché parallèlement, dans l’expression artistique, le baume qui nous a permis d’écarter, pour un moment, la laideur et l’ignominie de la déportation, et d’en oublier le dégoût [8] ».

L’Appel André Roth

André a suivi des cours de dessin et de peinture, puis gravement malade en 1966, il a dû réduire ses activités et ne s’est plus consacré qu’à la peinture. Plusieurs expositions ont établi sa notoriété, à Paris, au Mémorial de Caen, où ses toiles évoquent la vie au camp, et enfin à travers le monde (États-Unis, Japon, Suède, en particulier). Paul a pris sa retraite de médecin en 1992. André est décédé dans sa quatre-vingtième année, le 8 janvier 2004.

FAMILLE ROTH, convoi 76

Chantal Dossin

Extraits du Petit Cahier :

Le convoi 76 du 30 juin 1944. Paroles de témoins et documents d’archives, Chantal Dossin et Jeanine Thomas, publié par le Cercle d’étude de la déportation et de la Shoah – Amicale d’Auschwitz, 2010, 250 p.

Petit Cahier / 2e Série – N°12, édition novembre 2010

Le convoi 76 du 30 juin 1944. Paroles de témoins et documents d’archives

Liste du Convoi 76 et liens vers des notices biographiques

[1Voir note 35, intra, p. 59.

[2Mathématiques élémentaires, à l’époque classe terminale, section scientifique.

[3Estréa Asséo, dans Les souvenirs d’une rescapée, La Pensée universelle, 1974, p. 76 et Henriette Cohen, dans la revue Israël-L’Impact N° 38 du 27 avril 2007, relatent ce même fait.

[4London Lise, op. cit., p. 353.

[5Louise, dite Lise, Salisse. Voir son histoire personnelle, intra, p. 139-142.

[6Un acte de libération la concernant se trouve aux archives du musée d’Auschwitz.

[7D’après une lettre d’une camarade de Françoise envoyée à Marcelle à son retour à Paris.

[8Article publié le 8 juillet 2007 par la mairie du XIe arrondissement de Paris, après le décès d’André, lors de l’exposition des œuvres des deux frères.