Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

Evelyne German : Mamie Blue, d’exil en exil...

vendredi 17 mars 2023

Une famille dont sept petits enfants furent déportés de France à Auschwitz et y moururent.


Evelyne German : Mamie Blue, d’exil en exil. Ukmergé (Lituanie), Paris, Nice, Saint-Martin-Vésubie, Rome, Paris, Collection Témoignages de la Shoah, 2016
Evelyne à Pithiviers



J’ai rencontré Evelyne dans le car qui nous conduisait à la gare de Pithiviers, nouveau lieu de mémoire et d’éducation sur l’histoire de la Shoah inauguré officiellement le dimanche 17 juillet 2022.
Gare de Pithiviers, un lieu de mémoire
J’ai été impressionnée par son histoire familiale qu’elle m’a brièvement racontée entre Paris et Pithiviers.

« Ce livre a été écrit en mémoire de ma maman, Héné/Annette Epelbaumas, épouse German, appelée « Mamie Blue » par nous tous qui l’aimions, décédée le 27 août 2009.
À la lecture de «  Mamie Blue », j’ai pris conscience de l’étendue du désastre, l’extermination des membres de cette famille aussi bien du côté maternel que paternel.
















Héné (1924-2009) née Epelbaumas en Lituanie, rédigea ses souvenirs sur un cahier d’écolier reproduit à la fin du livre, pour son petit-fils Laurent :

« A Laurent

Tu veux connaitre la vie de ta grand-mère maternelle, la voici… »

Je cite :
«  Nous sommes arrivés à Paris en 1926, au 10 rue Saint-Julien-le-Pauvre, 5ème arr. Grand-père, grand-mère, les oncles et tantes étaient déjà là.  »
Cahier, feuillet 2

Evelyne devant l’immeuble, la porte de l’immeuble est inchangée, dit Evelyne

Evelyne, rue Saint Julien. Photo Do Dufourmantelle

Au 2ème, les parents, Héné et Samuel, leurs deux enfants.
L’oncle Itchké et sa famille.
Les grands parents.

10 rue Saint-Julien-le-Pauvre

« Que de souvenirs ! La vie était dure mais nous étions heureux, une partie de la famille habitait dans le même immeuble.
Encore aujourd’hui, j’ai toujours la nostalgie de mon enfance. »
Cahier, feuillets 3-4

Le 21 août 1941, Samuel, le frère d’Héné, est arrêté et interné à Drancy, bloc 4, escalier 13, chambre 2.
« Mon frère travaillait à Gambetta dans une entreprise d’électricité. Il partait chaque matin à vélo… »
Et c’est avec son vélo, que, lors de la deuxième grande rafle parisienne du mois d’août 1941, il a été arrêté dans une rue proche de son lieu de travail, dans le XXème, la rue Villiers-de-L’Isle-Adam :
« …un soir il n’est pas rentré. Nous étions très inquiets. Le soir, un agent de police s’est présenté avec le vélo et raconta qu’il avait été arrêté lors d’une rafle la rue Villiers-de-L’Isle-Adam.

Que de pleurs, ma pauvre maman était une véritable loque, car ses enfants étaient toute sa vie.
Quelques jours plus tard, on nous informa qu’il était à Drancy avec d’autres malheureux.
Le temps passa et nous reçûmes de ses nouvelles. Une carte tous les mois et le droit à un colis alimentaire. »
Cahier feuillets 15-16

« Un matin de 1942, ma mère fut prévenue que les internés de Drancy étaient partis pour une destination inconnue. Ma mère courait dans toutes les gares avec l’espoir de voir mon pauvre frère, mais en vain. Les internés étaient partis dans la nuit par une voie de garage. Quelle tristesse à la maison. Mon père comprenait la situation. »
Cahier feuillets 10-11




Samuel est remis aux Autorités d’Occupation, le 22 juin 1942.
Les internés étaient emmenés en camion jusqu’à la gare du Bourget-Drancy où ils étaient entassés dans des wagons à bestiaux. Convoi N°3 [1]

Samuel assassiné à Auschwitz le 10 août 1942.

L’oncle maternel d’Héné, Itchké/Jacques, avait épousé le 14 avril 1931, Ida Wagsztyn, née le 19 mai 1911 à Lublin en Pologne.

  • « Juillet 1942
    Des bruits couraient que les Juifs seraient ramassés pour partir dans les camps de travail.
    16 juillet 1942. Je pars au travail chez un fourreur, Makowski, rue Jean de Beauvais (5e).
En revenant à midi à la maison, j’apprends qu’un agent de police était venu dire à ma tante qu’elle se prépare avec ses sept enfants, et que dans une heure on viendrait les chercher. On ne pouvait le croire. Donc elle est restée à la maison, et une heure plus tard, on est venu les chercher. »
    Cahier, feuillet 12
    Ida, ses sept enfants, et sa mère au square René Viviani
Les quatre soeurs, Jacques et Henri

Ida écrit à son mari Itchké alors qu‘elle attend chez elle le retour des policiers venus l’arrêter avec ses sept enfants.

« Mon cher mari,

C’est trop tard, tu ne peux plus rien faire pour moi et les enfants, dans une heure je ne serai plus là. Ce matin, j’ai donné à Lucien.
Adieu et peut-être qu’un jour nous nous reverrons, toutes mes pensées vont vers toi.

Ida »

« Ma grand-mère, une cousine et moi les avons accompagnés tout le long de la rue Saint-Jacques, jusqu’au commissariat de la place du Panthéon. Ma tante n’a jamais voulu se séparer de ses enfants. L’aînée, Jacqueline, avait onze ans et la dernière Annette, deux ans.
C’est une image qui me restera toute ma vie ; il y avait sur la place des bus, des bus. Les femmes et les enfants pleuraient. 
Aujourd’hui, quarante-huit ans après, ce triste spectacle restera gravé à jamais dans ma mémoire. »
Cahier feuillets 12-13.

Ida et ses sept enfants restèrent trois jours au Vélodrome d’Hiver.
Le 19 juillet, Ida et ses sept enfants sont transférés en wagons à bestiaux plombés dans le Loiret, à Pithiviers. Ils y sont restés un peu plus d’un mois dans des conditions d’internement déplorables.
Ida écrit de Pithiviers le 16 août 1942 à sa belle-soeur Georgette, qu’elle est sur le point d’être transférée à Drancy. Elle demande pour elle « un peu d’eau oxygénée » et des « serviettes hygiéniques », ainsi que « des vitamines pour les enfants car ils en ont grand besoin. »
« N’oubliez pas de mettre sur les colis Mme Epelbein et ses sept enfants. »

Evelyne montre la photo des 7 enfants dans le livre Mémorial de Serge Klarsfeld

A la librairie du Mémorial, Evelyne avec la photo des enfants dans le livre Mémorial de Serge Klarsfeld

Arrêtée lors de la rafle du Vel’ d’Hiv’, le 16 juillet 1942, elle est déportée avec ses sept enfants le 26 août 1942, par le convoi N°24.

Dès son arrivée à Auschwitz, la maman Ida est « gazée » avec ses sept enfants.
Jacqueline (15 juillet 1931), Suzanne (24 septembre 1932), les jumelles Andrée et Renée (1er octobre 1935), Jacques (25 février 1936), Henri (18 janvier 1937) et Arlette (29 mai 1939).

Ida et ses sept enfants
Photo des enfants Mémorial Klarsfeld

Héné et ses parents lituaniens ne sont pas visés par cette rafle.

  • « Entrée des troupes allemandes dans Paris
    Je me souviendrai toujours la première fois où je les ai vues. Je descendais de chez mes cousins, rue Larrey, dans le 5ème arr. et me trouvais rue Ligné au métro Jussieu, lorsque je vis les motorisés. Quelle émotion de tous, les gens pleuraient, hébétés, on ne pouvait croire. Ce fut la fin de mes belles années d’adolescence. »
    Cahier, feuillet 8
Madame François



Photo déchirée Mme François

La concierge de l’immeuble de la rue Saint Julien, Mme François, connaissait bien la famille.
En septembre1942, elle sauva Héné, lors de l’arrestation de ses parents, Abraham et Chava Epelbaumas.

« 14 septembre 42. 5h du matin, j’entends des hurlements dans la cour, je regarde par la fenêtre de ma grand-mère, et vois la lumière allumée. De suite, je comprends que la Police vient chercher mes parents.
Jojo, le fils de ma concierge, madame François, frappe à la porte de ma grand-mère et m’appelle :

Nénette, Nénette, ne descends pas.
Je dois te dire que je dormais chez ma grand-mère, au 3e étage, car le logement était petit. C’est cela qui m’a sauvé la vie ! Ma mère a dit à la police que j’étais en vacances , et la concierge a dit de même. »
Cahier feuillets 13-14





Héné se réfugie chez ses cousins Tovarowski rue Larrey (5ème arr).
Début 1943, munie d’une fausse carte d’identité, Héné prend le train pour Nice pour rejoindre son oncle Léon et sa femme Régine ainsi que son oncle Itchké.
Les Italiens occupaient la région de Nice et les départements limitrophes.
En mars 1943, les autorités italiennes ont ordonné une « assignation à résidence » pour les Juifs réfugiés dans leur zone d’occupation.
En avril 43, Héné est assignée à résidence à Saint-Martin-Vésubie, à 60 km au Nord de Nice, à 600 mètres d’altitude. Les Juifs soutenus par le Joint, sont protégés par les Italiens [2]

Dans les montagnes

L’oncle d’Héné, Gersz Epelbaumas interné au camp de Gurs est transféré à Drancy le 2 mars 43.
Le 5 mars, il écrit à son épouse :
« Ma belle petite chérie, je pars pour une destination inconnue. J’ai beaucoup de courage et suis en bonne forme.. J’espère que c’est pareil de ton côté. Tu es partout avec moi. J’espère que bientôt, je serai près de toi. Je finis ma carte en t’embrassant de toutes mes forces. Embrasse ma mère et tous les amis. Henri qui t’aime. »
Le 6 mars 43, il est déporté par le convoi n°51 à Majdanek.

« Un matin de septembre 1943, on entend à la radio l’Armistice avec Badoglio, donc fini la résidence. Il nous restait la solution, soit de redescendre à Nice, soit de partir en Italie. Nous choisîmes la deuxième solution. Nous avons traversé des montagnes à pied, c’était incroyable… »
Cahier feuillet 24

  • Italie

Des résistants, des soldats italiens, des contrebandiers, des bergers et des paysans aident les fugitifs à se cacher et à se nourrir.
« Nous ne sommes pas restés longtemps dans la montagne. Un prêtre vint nous dire qu’il était possible de partir à Rome. »
« Nous avions de la chance, car les prêtres et les Italiens furent très chaleureux. »
Rome est libre le 4 juin 1944.
Le 8 mai 1945, la guerre est terminée, Héné quitte Rome et rentre en France.

« Je n’avais qu’une seule idée en tête : rentrer à Paris pour retrouver mes parents et mon frère…
A Paris, on nous indiqua où avoir des nouvelles de nos proches. Et, horreur, on apprend à l’hôtel Lutetia, centre d’informations, les camps de déportation et les fours crématoires.
De mes parents, aucune nouvelle. On me dit qu’ils ont été déportés à Auschwitz, on connait la suite. Pour mon frère, il est inscrit qu’il est mort au camp d’Auschwitz et l’acte a été enregistré. Les mêmes nouvelles pour la femme d’Itchké et ses sept enfants, la famille Tovarowski, mes cousins de la rue Larrey, seules Marie et Annette sont revenues des camps, dans un triste état. »
Cahier, feuillets 39-40-41

  • Famille Tovarowski

Le 18 novembre 1943 la tante d’Héné, Guittel/Georgette Tovarowski, née Epelbaum, et son mari, Jacob, tous deux naturalisés français en 1927, sont arrêtés par le Service Spécial des Affaires Juives (SSAJ) de la préfecture de police, internés à Drancy et déportés à Auschwitz le 20 novembre par le convoi n° 62.
Le 22 décembre 1943, leur fils Isaac est arrêté par le SSAJ, interné à Drancy. Il est déporté à Auschwitz le 20 janvier 1944 par le convoi n°66.
Sa soeur Henriette, mariée, un enfant, est arrêtée le 9 mai 1944 pour faits de résistance. Communiste, elle est enfermée à la prison de Fresnes puis transférée à Drancy le 24 juillet 1944.
Le 4 juillet 1944, Marie et Annette Tovarowski ont été arrêtées et internées au camp de Drancy.
Toutes les trois ont été déportées le 31 juillet 1944 à Auschwitz par le convoi n°77.

Annette et Marie ont survécu.

Une famille dont « sept petits enfants furent déportés à Auschwitz et y moururent.
 Triste destinée de la famille et quelle barbarie.
 Il faut bien vivre et la vie continua. »
Cahier, feuillet 42

Tombe

Dominique Dufourmantelle, texte et photos avec Evelyne German, mars 2023

Vilnius, librairie française
NM, 2023

[1Auschwitz Memorial : 24 June 1942. A transport of 999 Jews deported from Drancy in occupied France arrived at Auschwitz. It included 933 men & 66 women. They were not subjected to selection - all were registered in the camp. Au bout de 8 semaines, 80% ont perdu la vie.

[2Les Italiens rentrent en Italie, et préviennent les Juifs que les Allemands vont bientôt arriver.
Marche de la Mémoire le 3 septembre 2023 pour commémorer l’exode des Juifs de Saint-Martin-Vésubie en septembre 1943, à travers les montagnes vers l’Italie.
Association pour la mémoire de l’été 1943
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-fabrique-de-l-histoire/1943-saint-martin-vesubie-l-histoire-d-un-millier-de-juifs-3865280