Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

Markus GARBARZ, naturalisé français, dénaturalisé, fusillé comme otage

Marie-Paule Hervieu
lundi 6 février 2023

Markus, militant aux Jeunesses communistes, sa sœur Blima...

Markus, Marius GARBARZ, naturalisé français, dénaturalisé, fusillé comme otage (1921-1942)

En consultant le dossier de naturalisation de la famille de Moïse Garbarz aux Archives nationales, on peut reconstituer leur parcours et mesurer le niveau de persécutions auxquelles ils ont été confrontés dans la France dirigée par le gouvernement de Vichy et occupée par l’armée allemande.

De famille ouvrière, juive et polonaise par ses parents : Moïse et Chaja, née Komarowska, nés à Varsovie en 1891 et 1897, mariés en Allemagne le 5 avril 1921, Markus / Marius naît à Dortmund, sous le régime de la République de Weimar, le 13 mai 1921. Ses parents décident d’émigrer en France, via le Luxembourg, en janvier 1923 ; ils se fixent à Nancy (Meurthe-et-Moselle) puis arrivent à Paris où ils vivent un temps dans le 11e : 127 bd de Charonne, puis 5 rue Maillard, puis à Bagnolet, Montreuil-sous-Bois et dans le 20e. Le père est cartonnier aux Grands Magasins du Louvre, la mère tricoteuse. Une petite fille, Blima, naît à Paris, le 26 mai 1926. Conformément au droit républicain du sol, elle est déclarée française, le 26 février 1927. Puis le père fait une demande de naturalisation collective pour lui-même, sa femme et son fils aîné, et au terme d’une série d’enquêtes administratives et policières, à Nancy et à Paris, sur son état de service militaire (il a fait la guerre dans l’armée russe), leur niveau de revenu, leur maîtrise de la langue française, leur absence de condamnation et d’engagement politique, ils sont naturalisés par un décret en date du 11 décembre 1929 (fiche AN : BB/27/1430).

Le jeune Markus / Marius fréquente l’école primaire supérieure Diderot, section mécanique, et devient ouvrier tourneur à l’usine Renault de Boulogne-Billancourt, à partir de juin 1939 jusqu’en juin 1940. Il apparaît comme militant aux Jeunesses communistes en 1938, et devient, d’après les rapports de police, puis selon la direction criminelle du ministère de la Justice, en 1941, un « ardent propagandiste des mots d’ordre de la IIIe Internationale », doublée de son appartenance à un parti politique, interdit depuis le 26 septembre 1939, le font arrêter, avec plusieurs de ses camarades, le 9 novembre 1940 ; tous sont emprisonnés jusqu’à la date de leur procès, jugement et condamnation à huit mois de prison par le tribunal correctionnel de la Seine le 15 avril 1941. L’appel, interjeté le 16 juin 1941, reste sans effet, l’affaire est encore de nature civile et politique.

C’est compter sans « la politique antisémite de la nationalité du gouvernement siégeant à Vichy », et sans l’application sans faiblir du premier statut des Juifs, s’ajoutant à la répression anticommuniste, avant même les débuts de la résistance armée de l’OS-BJ (organisation spéciale / Bataillons de la jeunesse). Et dans un premier temps, le jeune Markus ne sera pas libéré à l’expiration de sa peine d’emprisonnement, mais interné le 10 mai 1941, dans le camp de Choisel, à Châteaubriant (Loire-Atlantique). Dans un second temps, toute la famille Garbarz est dénaturalisée par le décret du 3 juillet 1941, y compris la sœur de Markus, Blima, pourtant née à Paris, déclarée française, mais issue de parents juifs étrangers naturalisés. La dénaturalisation étant « justifiée », après coup, par l’absence d’intérêt de la famille d’un point de vue national et leur appartenance politique, sans qu’aucun autre fait soit reconnu contre eux. Le père et l’adolescente gagnent alors la zone d’occupation italienne, la ville de Nice.

Le troisième temps sera celui de la destruction : le fils, encore mineur, à près de 21 ans, interné, devenu « victime expiatoire » (sühne Personen) parce que Juif et communiste, du fait de la politique des otages conduite par les autorités militaires allemandes d’occupation, est fusillé à Nantes,avec un camarade de parti, G.Tompousky, en réprésailles à un attentat contre l’armée allemande, le 30 avril 1942"(?). Le père, âgé de 52 ans, est arrêté à Nice, sous occupation militaire allemande, transféré à Drancy, le 14 novembre 1943 et déporté à Auschwitz Birkenau par le convoi 62 du 20 novembre 1942. La jeune fille de 18 ans que ne protègent plus ni la nationalité française dont elle a été déchue, ni son travail de sténotypiste à l’UGIF (Union générale des Israélites de France) est arrêtée à Nice, transférée et internée à Drancy le 11 avril 1944, puis déportée seule, sans parent ni fratrie, à Auschwitz Birkenau, par le convoi du 29 avril 1944. Seule la mère échappera à l’arrestation et restera l’unique survivante de la famille.

Markus a donné à Pierre Gluckstein, résistant, responsable interrégional de la MOI (Main d’œuvre immigrée) en zone sud, son pseudonyme de Marc, parce qu’ayant assisté au procès de ce camarade qu’il avait rencontré chez des amis communs, il avait entendu dire qu’il était inculpé comme « communiste notoire ».

Février 2023 - Marie-Paule Hervieu

à paraître dans Petit Cahier N° 31

Enfants de familles juives du 11e déportés seuls ou fusillés - Politique génocidaire et résistances-1941-1944