LEHMANN Moïse, 70 ans en 1944
Moïse Lehmann est né à Belfort le 17 février 1874. Il était fils de Fanny Bloch et de Salomon Lehmann né le 7 mai 1826 à Buttenhausen, en Allemagne, puis domicilié à Belfort où il fut adjoint au maire et président du Consistoire israélite. Ses grand-père et arrière-grand-père avaient été rabbins. Étudiant à la Faculté de médecine de Paris, il en sort gynécologue et obstétricien. Il installe son cabinet de médecin au 45, rue de Maubeuge, dans le 9ème arrondissement. Le 26 juin 1900, il épouse à Paris Léa Levi. Ils ont une fille Fanny, née le 3 octobre 1901.
Le 18 juin 1940, après la demande d’armistice de Pétain, il décide de partir pour Apt, dans le Vaucluse. Courant juillet, il s’installe finalement à Avignon, rue Thiers. Le statut des Juifs du 4 octobre 1940 lui interdit d’exercer sa profession de médecin. Il crée alors pour survivre une petite entreprise de maroquinerie. En juin 1941, un commissaire aux questions juives lui propose de faire de lui une sorte de« Juif de 1ère classe » ; il refuse et le met à la porte. Après avoir été convoqué au commissariat, il quitte Avignon et, sur les conseils de son neveu Jean, membre du maquis d’Izon-la-Bruisse, il se réfugie à Buis-les-Baronnies. Ils s’installent à l’hôtel du Lion d’Or. Il refuse les faux papiers que Jean pouvait leur procurer. Mais le docteur, « vieux radical, va devenir le médecin des communistes » en acceptant de soigner des maquisards des maquis FTP, pour aider tous ceux qui combattaient l’Allemagne et Pétain. Il accepta également, bien que non croyant, de procéder, en avril 1944, aux obsèques religieuses d’un vieux Juif allemand, réfugié à Buis depuis 1935, disant :« Tu pris le chemin de l’exil et tu vins dans ce pays dont Goethe avait dit qu’il était le pays de la liberté ». Peu de temps après, le 21 mai 1944, avait lieu la rafle dans le village. Ce jour-là, vers midi, une dizaine de policiers en civil accompagnés d’autant de soldats allemands transportés dans un camion, effectuent une opération de police à Buis-les-Baronnies. Ils cernent tous les hôtels de la localité et y contrôlent tous leurs occupants. Ils effectuent quatorze arrestations de personnes « de race juive », dit le rapport de police, pour la plupart déjeunant à l’hôtel du Lion d’Or de Buis. Incarcérées dans un premier temps à la prison Sainte-Anne d’Avignon, elles sont ensuite internées au camp de Drancy le 13 juin 1944 ainsi que 227 Juifs arrêtés dans la région autour de Marseille.
La fiche de son carnet de fouille dit que Moïse Lehmann remet au chef de la police du camp la somme de 3300 francs, puisque chaque interné devait remettre argent et objets de valeur à son arrivée au camp. Son numéro matricule est le 23898. Le 30 juin, il est conduit à la gare de Bobigny avec 1153 internés destinés à être déportés vers le centre de mise à mort d’Auschwitz-Birkenau. Il est alors désigné comme médecin du convoi et, à ce titre, chargé d’accompagner un wagon de grands malades, comme le note Robert Franck dans le courrier qu’il dépose, à titre de témoignage, à la mairie de Meudon. Le voyage dut être particulièrement épuisant pour lui ainsi que pour ces malades. C’est peut-être aussi à ce titre qu’il fut séparé des déportés entrant au camp, et conduit avec malades et vieillards à la chambre à gaz. Robert Franck, qui a vu quotidiennement le docteur Lehmann au camp de Drancy, puis revu, au cours d‘un arrêt pendant le voyage, au cours duquel ils ont parlé longuement. Il dit, dans son courrier, qu’il n’a jamais revu le docteur au camp, depuis ce moment où ils ont été séparés.
Moïse Lehman a vraisemblablement fait partie des 528 déportés assassinés dès l’arrivée du convoi au camp de Birkenau.
Témoignage écrit de Robert Franck daté du 21 mai 1945.
DAVCC AC 21P 475284-Mémorial de la Shoah-Mémoire Résistance HB- Pierre-Michel Dreyfus,« Les enfants de Moïse »
Chantal Dossin