Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

Stèle des déportés ‒ Bois-le-Roi

lundi 23 mai 2022

Inauguration de la stèle en mémoire des déportés de Bois-le-Roi, le dimanche 22 mai 2022.

Inauguration de la stèle des déportés ‒ Bois-le-Roi (77)

Stèle. Photo Maryvonne Braunschweig

Petit monument esthétique, sobre, stèle très lisible, sur la place Jeanne Platet du nom d’une résistante de 74 ans gazée à Ravensbrück (sur un axe principal, lieu de ramassage des lycéens, passage des randonneurs, parking de la ville).







Trois rosiers dont la rose Résurrection
 [1]
ou rose de Ravensbrück tout juste plantés, vont bientôt fleurir au pied du monument.












Une des interventions lors de cette inauguration devant un public nombreux

Je vais tenter de retracer l’itinéraire de ces déportés, dans le contexte de la guerre ; ces onze noms gravés sur la stèle, sont ceux de Français, d’immigrés, de natifs de la commune, de résistants, de juifs, de prisonniers de guerre, de résidents permanents ou occasionnels ; deux se trouvaient en Allemagne lors de leur arrestation ; certains furent déportés seuls, d’autres en famille. C’est dire que la déportation a concerné des personnes bien différentes mais, toutes et tous étaient considérés comme « ennemis de l’Allemagne nazie », même à 8 ans, même à 74 ans.


Sept personnes sont déportées parce que juives. Elles ont toutes été arrêtées en septembre et octobre 1942. Cet été 1942, il y a 80 ans, c’est la mise en œuvre de la « solution finale de la question juive », selon la terminologie nazie, déjà largement enclenchée sur le territoire conquis de l’URSS, dès l’automne 1941, comme à Kiev, où plus de 30 000 juifs sont assassinés en deux jours par fusillades. Or à Wannsee, à Berlin, le 20 janvier 1942, quinze hauts fonctionnaires du parti et de l’administration nazis, organisent l’extermination méthodique de toute la population juive. Le temps de mettre le système en place, de construire des chambres à gaz et des fours crématoires, de les roder, on arrive aux premières grandes rafles de Juifs destinées à alimenter ces usines de mort, rafles de juillet 1942, tant dans le ghetto de Varsovie qu’à Paris où a lieu la rafle des juifs étrangers, dite rafle du Vél d’Hiv, cinq semaines après l’imposition en zone occupée du port de l’étoile jaune à tous les juifs, français ou non, de plus de 6 ans. L’étau se resserre donc sur tous les juifs parisiens.

C’est sans doute ce qui décide Violette Lévy et son fils Jean, 8 ans, à tenter, le 10 septembre 1942, de franchir la ligne de démarcation sous une fausse identité pour se réfugier en zone sud. L’absence de permis ou Ausweis, aggravée par le non port de l’étoile jaune est le prétexte à leur internement au camp de La Lande en Indre-et-Loire, avant transfert à Drancy. Là, ils auraient dû éviter la déportation à Auschwitz car, protégés par la Convention de Genève, ils étaient « non déportables » comme femme et enfant d’un prisonnier de guerre, le caporal Jacques Lévy, leur mari et père, mais sans doute ne l’ont-ils pas su ou n’ont-ils pas eu le temps d’obtenir les papiers nécessaires : les SS doivent remplir les convois ! Le leur, c’est le convoi 36 du 21 septembre, le 36e convoi de juifs parti de France, depuis le 27 mars 1942.

Les cinq femmes Fanny Kirchberger, 74 ans et sa fille, Helly, 42 ans, Daisy Henschel, née Pinoff, ex-épouse Freudenheim, 37 ans, et sa fille Margit, 14 ans, ainsi que Louise Pinoff, 68 ans, tante et grand-tante de Daisy et Margit, sont arrêtées toutes les cinq à la villa Val Fleuri, 56 rue Alfred Roll, le 21 octobre 1942 ; ce jour-là, plus de 65 juifs étrangers ou dénaturalisés sont arrêtés dans notre département.

Que font ces quatre femmes et cette adolescente à Bois-le-Roi ? À la suite de la grande rafle de juillet, beaucoup de juifs étrangers établis dans la capitale, ont cherché un refuge dans la grande banlieue et donc dans de nombreuses communes de Seine-et-Marne. Ces dames ont obtenu l’aide, d’une autre dame, juive française, Mme Catella, qui a mis à leur disposition sa résidence secondaire. Ont-elles été repérées, dénoncées ? On ne sait. Toujours est-il qu’elles sont arrêtées par les Allemands, conduites à la Gestapo de Melun, puis à Drancy. De là, déportées, mais séparément. Helly Kirchberger, séparée de sa mère, âgée et malade, part avec Daisy Henschel et sa fille Margit Freudenheim, dans le convoi 42 du 6 novembre 1942 avec 1 000 déportés et, pour une raison, qu’on ignore, Louise Pinoff, 68 ans, la tante, est déportée après ses nièces par le convoi 45, cinq jours plus tard. Quant à Fanny Kirchberger, 74 ans, malade, elle est transférée de Drancy à l’hôpital Rothschild, seul hôpital pour les juifs à Paris, afin de pouvoir la déporter… en bonne santé, le 11 février 1943, par le convoi 47 ; le rythme s’est ralenti, les Allemands manquent de trains ; l’armée allemande s’embourbe en Russie et il faut transporter sur le front de l’Est, soldats, armes et munitions.

À leur arrivée à Auschwitz, ces sept personnes juives sont vraisemblablement envoyées directement à la chambre à gaz, en raison de leur âge, de l’accompagnement par un ou une enfant et donc de leur inutilité pour le travail, malgré le manque de main d’œuvre, la priorité restant de toute façon l’assassinat des juifs.

En février 1944, le vent a tourné pour les Allemands sur le plan militaire, ce qui les rend encore plus dangereux pour ceux qui leur résistent. Et le 4 février, la Gestapo arrête Paul Jouffroy et Jeanne Platet au domicile de cette dernière, rue Pasteur. Le jeune résistant de 23 ans, Paul Jouffroy, s’est engagé depuis le début de la guerre, à 19 ans, dans la lutte contre les Allemands ; il a été envoyé en mission en région parisienne ; c’est Jeanne Platet, 63 ans, qui l’accueille chez elle, et ils se font prendre tous deux par la Gestapo, alors qu’il était en train d’émettre ; on sait qu’il est passé par Fresnes, Compiègne début juin, et de là, déporté ; on ne sait ni où ni quand il est mort. Plusieurs articles des historiens de Bois-le-Roi documentent cette histoire. Quant à Jeanne Platet, sa vie a été évoquée, ici, lors de la dernière journée des déportés, et elle est représentée aujourd’hui par sa petite-fille. Mais rappelons sa fin au camp de concentration de Ravensbrück, doté tardivement d’une chambre à gaz pour éliminer les « inutiles », les détenues jugées désormais incapables de travailler ; Jeanne Platet, déjà âgée, affaiblie après 11 mois dans l’enfer du camp de concentration y est gazée, le 6 mars 1945. Jeanne Platet et Paul Jouffroy ont obtenu, à titre posthume, la Médaille de la Résistance et la Croix de Guerre et nous sommes sur la place qui porte le nom de Jeanne Platet depuis 1948.

Les deux autres déportés dont les noms sont inscrits sur ce mémorial sont ceux de Marcel Dompey, 34 ans, né à Bois-le-Roi, résident d’un village de l’Eure, et Jacques Philippeau, postier à Bois-le-Roi, 40 ans, tous deux arrêtés en Allemagne. Ce que l’on sait, c’est que Marcel Dompey a d’abord été immatriculé au camp de Dachau, près de Munich, avant d’être transféré dans d’autres camps en fonction des besoins en main d’œuvre : le dernier fut Neuengamme, le 17 octobre 1944, puis son camp annexe, de Meppen-Versen, tout au nord de l’Allemagne, où les détenus doivent construire une ligne de défense près de la frontière des Pays-Bas et du Danemark. C’est là qu’il meurt le 8 décembre 1944. On ignore ce qu’il faisait en Allemagne quand il a été arrêté, travailleur volontaire ou requis ayant déplu, prisonnier de guerre évadé, accusé de propagande anti-allemande ou de sabotage dans le cadre du travail contraint ? Nous n’avons pas la réponse.

Quant à Jacques Philippeau, on sait qu’il était prisonnier de guerre en Allemagne quand il est arrêté le 15 septembre 1944 à Oberhausen et envoyé au camp de Sachsenhausen où il est décédé, on ignore la date. Pourquoi a-t-il été arrêté ? Pas de certitude, mais le même jour, une centaine de requis du STO et de prisonniers de guerre, transformés en travailleurs forcés à Oberhausen, ont été arrêtés par la Gestapo. Une altercation, quelques jours plus tôt, avec trois Français engagés dans les Waffen-SS tenant une réunion de propagande dans leur camp, la destruction d’affiches encourageant l’engagement dans l’armée allemande, et la multiplication des sabotages dans les usines de la ville sont à l’origine de cette rafle de représailles. Jacques Philippeau relève-t-il de cette situation ?

La ville de Bois-le-Roi s’honore aujourd’hui en rendant hommage à ces onze Bacots et Bacotes, que l’AFMD-77 avait déjà inscrits en 2015 sur son mémorial en ligne, afin que l’histoire garde trace, pour les générations présentes et futures, de leur existence et de leur fin tragique.

J’ai tenté de faire connaître l’itinéraire de chacune de ces onze personnes dont l’humanité était ignorée, voire complètement niée par les nazis, afin de leur redonner vie, pendant quelques minutes, et je terminerai par cette formule d’Albert Camus que l’AFMD a adoptée comme sienne : « Qui ne répondrait en ce monde à l’obstination du crime, si ce n’est l’obstination du témoignage. »

22 Mai 2022, Maryvonne Braunschweig,
Présidente des Amis de la Fondation pour la mémoire de la Déportation de S-et-M

Minute de silence pour les déportés et l’ensemble des personnes qui ont vécu ou qui souffrent aujourd’hui de la guerre, déportation et violence.

[1Je suis « Résurrection »
Et tout au long des ans
Tout au long des saisons
Je resterai le témoin de vie
Qui protégera de la barbarie
Tous les enfants du monde
Même lorsque je serai devenu églantine
Illuminant tous les chemins
Marcelle-Durach-Roset