Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

Projet « Stadt Räume-Urban Spaces » Schwedt et Wannsee

samedi 14 mai 2022

Sur les traces de l’ancienne communauté juive de Schwedt-sur-l’Oder et la maison de la conférence de Wannsee à Berlin.

Dans le cadre d’un projet européen : sur les traces de l’ancienne communauté juive de Schwedt-sur-l’Oder et visite de la maison de la conférence de Wannsee dans le quartier de Wannsee à Berlin.

entrée maison Wannsee, photo Jacqueline Duhem

J’ai effectué la visite du musée juif de Schwedt, puis de la maison de la conférence de Wannsee, à la fin du mois de mars 2022, en compagnie d’autres membres de la Société Historique de Villeneuve d’Ascq. En effet, dans le cadre du programme Erasmus+, notre Société historique participe au projet « Stadt Räume-Urban Spaces  » dont la réalisation s’étend de 2021 à 2023.

Ce projet, visant l’éducation des jeunes adultes européens, financé par des fonds européens, concerne l’histoire de huit villes européennes dans l’entre-deux-guerres.
Les recherches historiques, développées à Villeneuve d’Ascq et dans la région lilloise seront ainsi partagées avec celles des sept autres villes partenaires du projet : Bracknell (UK), Jülich (DE), Leverkusen (DE), Ljubljana (SI), Oulu (FI), Raciborz (PL), Schwedt-sur- l’Oder (DE).

Chaque ville (excepté Bracknell au Royaume-Uni qui n’est plus membre de l’Union européenne) invite ainsi ses partenaires chez elle pour pouvoir échanger et confronter leurs recherches qui aboutiront à l’élaboration d’un film et d’un dossier didactique.

C’est ainsi que nous nous sommes déplacés à Schwedt où la société historique nous proposait, entre autres, de visiter le musée juif consacré à l’histoire de la communauté juive de la ville depuis le XVIIIe siècle jusqu’à son anéantissement programmé par le régime nazi.

Aux XVIIIe et XIXe siècles, Schwedt-sur-l’Oder était l’une des villes du Brandebourg qui abritait une proportion relativement élevée de citoyens juifs. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, la communauté comptait environ 200 membres. En 1861, la communauté juive de Schwedt avait acquis un site juste à l’extérieur des murs de la ville sur la Gartenstraße. En 1862, elle y faisait construire une synagogue.

Avec la synagogue, le Schwedt Mikveh (le bain rituel), construit en 1871, était une partie importante du centre communautaire nouvellement créé.

Dôme du bain rituel

Lorsque la communauté juive avait acheté la propriété, il y avait déjà un petit bâtiment à colombages construit en 1733 au milieu d’une plantation de mûriers. Le bâtiment a été utilisé par la communauté juive comme bâtiment résidentiel pour les serviteurs de la synagogue. Ils étaient responsables de la synagogue et du mikveh et étaient payés par la communauté.

Maison à colombages

Le centre communautaire a été pillé lors du pogrom du 9 novembre 1938 mais n’a pas été incendié de peur que le feu ne se propage à d’autres maisons. Le cimetière juif a été profané puis vendu à la ville peu de temps après. Ce n’est que plus tard qu’a eu lieu la démolition de la synagogue et du mur d’enceinte. L’époque de la dictature national-socialiste a conduit à l’expulsion ou à l’extermination de tous les Juifs de Schwedt.

Contrairement à la synagogue, le bain rituel et la maison des serviteurs ont survécu à l’ère nazie. En 1950, la ville a rendu le cimetière juif et le terrain de la synagogue à l’Association d’État des communautés juives. En 1988, des membres de l’association culturelle de la RDA pour la préservation des monuments, ainsi que des bénévoles, ont déblayé les décombres du dôme du mikvé. Ils ont ainsi créé les conditions préalables à la reconstruction ultérieure du bain d’immersion.

Après la disparition de la RDA, le terrain de la synagogue est devenu une propriété privée. Mais en 2005, la ville de Schwedt a acquis le terrain et en 2006, la maison des serviteurs a été ajoutée à la liste des monuments de l’État du Brandebourg en tant qu’extension du bain rituel déjà enregistré. La reconstruction partielle de la synagogue a été réalisée en 2008 et 2009. Le 4 septembre 2010, le centre communautaire reconstitué a été officiellement inauguré et intégré dans le cadre des Musées municipaux de la ville. Dans la maison des serviteurs de la synagogue, une salle à manger et un petite salon ont été reconstitués, mettant en scène la culture juive quotidienne et sacrée de la communauté juive de Schwedt avant la Shoah.

Salle à manger

D’importants travaux de restauration des pierres tombales du cimetière ont été récemment menés afin de préserver pour l’avenir ce précieux monument de l’histoire de la ville. Au total, 121 pierres sont encore conservées aujourd’hui, la majorité des pierres étant bilingue, inscrite en hébreu et en allemand.

Cimetière juif à Schwedt, photo Jacqueline Duhem

Depuis 2010, la ville de Schwedt participe au projet des Stolpersteine, développé par Gunter Demnig en 1992, afin de garder vivante la mémoire de l’expulsion et de l’extermination des Juifs, des Tsiganes, des persécutés politiques, des homosexuels, des Témoins de Jéhovah et des victimes de l’euthanasie sous le national-socialisme. L’idée est, qu’en marchant, chacun soit amené à trébucher, « avec leur tête et leur cœur » sur les « pierres d’achoppement » disposées devant le domicile des personnes disparues.
Une quarantaine a été posée dans la ville. Les trois premières Stolpersteine, posées en mars 2010, concernent la famille Meinhardt : Richard, né en 1885, mort à Auschwitz en mars 1943 et le couple Franz, né en 1877, et Margarethe, née en 1880, qui cultivait et transformait le tabac.

En 1938, la ferme et les champs ont été "aryanisés" et le peu d’argent du produit de l’aryanisation a été transféré sur un compte bloqué. Les Meinhardt ont été déportés dans le ghetto de Varsovie le 2 avril 1942. Suite aux différentes maladies qui se sont rapidement déclarées, Franz Meinhardt y est décédé dès le 10 mai 1942. Le 22 juillet 1942, Margarethe, comme tous les Juifs allemands du ghetto, a été transportée dans le centre de mise à mort de Treblinka. Le lendemain matin, lorsque les portes des « wagons à bestiaux » ont été ouvertes, la grande majorité des passagers était déjà morte étouffée. Les survivants ont été emmenés dans les chambres à gaz.

Comme nous étions logés à Potsdam, les présidents des sociétés historiques des trois villes allemandes avaient aussi programmé la visite de la maison de la conférence de Wannsee (Haus der Wannsee-Konferenz), propriété située dans le quartier de Berlin-Wannsee, à l’occasion du 80e anniversaire de la conférence mettant en place « la solution finale du problème juif [1]
 » .

Maison de la conférence de Wannsee, côté lac

La villa est depuis 1992 un lieu de mémoire et d’enseignement mais l’exposition permanente vient d’être mise en place à l’occasion de cet anniversaire.

Dans cette ancienne villa construite en 1915 au bord du lac de Wannsee et utilisée de 1941 à 1945 comme « maison d’hôtes » par les services de sécurité de la SS, quinze hauts dignitaires appartenant à la SS, membres du parti nazi, ministres et chefs des territoires de l’est occupés décidèrent de coopérer à la mise en place de la déportation et à l’assassinat planifiés des Juifs européens.
Le 20 janvier 1942, cette réunion, présidée par Reinhard Heydrich chef du RSHA, s’était terminée par un petit déjeuner...

L’exposition permanente « La conférence de Wannsee et le génocide des Juifs européens », installée dans différents pièces du rez-de-chaussée de la villa, livre de précieuses informations sur l’histoire de la persécution des Juifs, de la privation de leurs droits et de leur exclusion entre 1933 et 1939 ainsi que sur la déportation, la ghettoïsation et l’assassinat des Juifs européens pendant la Deuxième Guerre mondiale. Des extraits de documentaires sont présentés ainsi que des témoignages de victimes et de bourreaux.

Une partie de l’exposition est aussi consacrée au destin des criminels de guerre et aux débats et controverses à propos de la conférence.
Le mémorial propose plusieurs approches pédagogiques pour se pencher sur la persécution et l’assassinat des Juifs européens, sur l’histoire du national-socialisme, sur les antécédents et les conséquences. Des journées d’études à orientation professionnelle et des séminaires sur plusieurs jours sont proposés aux adultes. Pour les enseignants, l’institution propose des cours de formation sur la pédagogie de lieux commémoratifs. Le premier étage de la villa comporte des salles de réunion, une bibliothèque et un espace multimédia.

C’est là que le réalisateur belge André Bousseroy, chargé de filmer nos réunions et de réaliser le montage du film destiné aux jeunes Européens, nous a présenté son dernier documentaire sur la mémoire vivante de la Shoah intitulé Living Memorials, Quand l’art rencontre la mémoire. (cf sur le site)

Living Memorials, André Bossuroy
Jacqueline Duhem