Né le 10 janvier 1925 en Turquie, dans une famille juive qui émigre en 1926 en France, à Lyon où il passa son enfance, il devient éclaireur de France. Le scoutisme, il me l’a souvent rappelé, a beaucoup compté pour sa formation d’adolescent, d’autres déportés le soulignent aussi.
Admis à l’École centrale de Lyon, il est recruté par la Résistance juive, il fabrique de faux papiers dans le laboratoire. Dénoncé, comme plusieurs de ses camarades, il est arrêté et conduit à Drancy, où il fera la connaissance de sa future femme, Liliane (née Badour, 1924-2020) [1].
Le 3 février 1944, il est déporté a Auschwitz dans le convoi 67. Le 18 janvier 1945, le camp est évacué, commencent alors les terribles « Marches de la mort ». Un arrêt à Dachau et ses sous-camps, il tente de s’évader, puis il est repris. Le 1er mai 1945, il est libéré par les Américains, il rejoint la France, le Lutetia, puis Lyon le 26 mai. Il retrouve Liliane, rescapée elle aussi.
La vie normale reprend. Ingénieur, il entre au Gaz de France jusqu’en 1988. Mais il n’a pas oublié son passé. Il s’engage dans les organisations de mémoire de la Shoah et devient secrétaire général de I’Union des déportés d’Auschwitz (UDA), puis président, pour une « mission de savoir et de résilience ». Il préside de très nombreuses cérémonies.
Très rapidement, il s’investit également avec les scolaires : collégiens et lycéens sont accueillis à |’UDA ; des anciens déportés viennent témoigner dans les classes, et surtout accompagnent les élèves dans un voyage de mémoire, entre une et quatre journées, leur permettant une réflexion personnelle.
Raphaël Esrail est persuadé de l’importance des professeurs et privilégie les relations avec les professeurs d’histoire, convaincu qu’ils sont les mieux placés pour poursuivre ses objectifs et ceux de ses amis déportés.
En 1995, lors d’une journée d’étude sur le négationnisme, l’idée de créer une nouvelle structure est lancée : le Cercle d’étude de la Shoah - Amicale d’Auschwitz, en liaison avec l’Association des Professeurs d’Histoire et de Géographie. L’APHG, toujours fidèle, doit assurer le relais de ce travail de mémoire et d’histoire.
L’engagement de notre association a été constant par la réflexion sur l’enseignement de la Shoah, les problèmes posés qui évoluent avec le temps, la création de contenus audiovisuels et interactifs, l’enregistrement de témoignages, l’organisation de conférences très appréciées par les enseignants...
Raphaël continua de suivre notre travail et de nous conseiller. C’est ainsi qu’une amitié durable fut créée entre les déportés de tous horizons, les professeurs et leurs élèves. Mais ces derniers-temps, l’un de ses amis qui a pu converser avec lui sur son lit d’hôpital à Lannion, nous a rapporté sa grande inquiétude devant la montée des extrêmes en Europe et la dislocation de l’idée européenne.
Pour nous toutes et tous, c’est une grande tristesse de perdre celui qui nous a tant donné. Nous resterons fidèle à sa mémoire et à son oeuvre.
Aleth Briat
*Responsable mémoire pour I’APHG auprès des Fondations de la Résistance et de la Mémoire de la Déportation, co-secrétaire générale honoraire de APHG. Professeure honoraire d’histoire-géographie.
Article publié dans la Revue Historiens-géographes, N°457, février 2022
https://www.aphg.fr/Sommaire-Contents-no-457
http://clioweb.canalblog.com/archives/2022/03/28/39409025.html
[1] Raphaël ESRAIL, L’Espérance d’un baiser. Le témoignage de I’un des derniers survivants d’Auschwitz, Paris, Robert Laffont, 2017, 288 p.