Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

Témoignages du Sonderkommando, par Andreas Killian

Prises de position dans la revue « Karta »pour la continuation de la recherche des témoignages enterrés.
jeudi 30 juillet 2020

Témoignages du Sonderkommando

Dans « Karta » 102, dans son commentaire du témoignage de Filip Müller La zone de la mort, l’historien allemand Andreas Michael Kilian a appelé à reprendre la recherche des témoignages des prisonniers juifs du Sonderkommando enterrés sur le site de l’ancien camp d’Auschwitz-Birkenau. (La rédaction de « Karta »).

Postface » d’A. M. Kilian

« Postface » d’Andreas Michael Kilian [La recherche omise des « manuscrits en provenance de l’enfer » non découverts] dans : « Karta » 102/2020, p. 30-31 :

Début février, la maison d’édition du Musée d’État d’Auschwitz a publié la version reconstituée et entièrement et nouvellement déchiffrée d’une lettre du juif grec, prisonnier du Sonderkommando, Marcel Nadjary, qui a été déterrée par hasard par un élève de l’école professionnelle de Brynek sur le terrain des ruines du crématorium III du mémorial d’Auschwitz-Birkenau à la fin du mois d’octobre 1980. La lettre de 12 pages en langue grecque, enterrée début novembre 1944 à une profondeur de 30 à 40 cm, a été, après 36 ans et en raison de sa couverture protectrice brisée si gravement endommagée par l’humidité que son contenu n’était lisible qu’à 10 %. 71 ans après sa rédaction, une grande partie de la lettre pouvait déjà être déchiffrée au moyen de l’imagerie multispectrale, et depuis 2018, tout de même 95 % de son contenu total a pu être déchiffré. La lettre d’adieu de Marcel Nadjary peut être considérée à la fois comme une preuve historique des crimes allemands à Auschwitz-Birkenau et comme un testament personnel. Ce témoignage humain tragique est à la fois l’expression d’un patriotisme grec caractérisé de l’auteur et de son désir désespéré de venger le meurtre de ses parents et de sa jeune sœur Nelly bien-aimés.

Le récent déchiffrage effectué par Tomasz Łojewski (WIMiC, AGH, Cracovie) au nom du musée, est un succès louable dans la reconstitution de documents manuscrits gravement endommagés et prouve que même après des décennies des écritures à peine lisibles peuvent être efficacement déchiffrées. Les progrès techniques réalisés ces dernières années laissent présager de nouvelles améliorations en matière de reconstitution, ce qui corrobore la revendication de récupérer des manuscrits perdus dans le sol du terrain du crématorium et devrait inciter les autorités compétentes à accorder l’autorisation d’effectuer des recherches archéologiques à cette fin.

En effet, jusqu’à présent seule la moitié d’une dizaine de « chroniqueurs » du Sonderkommando a été confirmée de manière fiable comme auteurs de manuscrits cachés dans le sol des lieux de massacre, dont les manuscrits avaient été déterrés entre 1945 et 1980 sous forme de huit trouvailles contenant 6 carnets de notes, 4 lettres et une liste. Il s’agit des juifs polonais Herman Strasfogel, Zalmen Gradowski, Lejb Langfus et Zalmen Lewenthal ainsi que du Grec Nadjary. En outre, un juif lituanien de nom Kaganowic, le juif grec Jaacov Gabai et deux juifs polonais de Paris, Josef Doręmbus et probablement Leon Guz, auraient rédigé des notes secrètes. Deux journaux intimes de Juifs déportés ont également été retrouvés. Selon des témoins, environ 60 récipients auraient été enterrés sur le seul terrain du crématorium III, mais seule une petite fraction d’entre eux a été découverte et transmise. Le fait que des manuscrits aient également été cachés sur le site du crématorium II en face a même été confirmé par certains chroniqueurs eux-mêmes, mais aucune opération de recherche n’y a encore été menée.

Des récipients trouvés par des chasseurs illégaux de trésors principalement entre 1945 et 1955 contenant des manuscrits en yiddish illisibles pour eux ont été soit volés soit laissés dans le sol en tant que déchets sans valeur. De toute façon, tous les manuscrits n’ont pas pu être découverts, car sinon les découvertes des fouilles officielles de l’été 1952, de juillet 1961 et d’octobre 1962 ainsi que la découverte fortuite de 1980 n’auraient pas été possibles.

Le directeur du Musée d’Auschwitz, Kazimierz Smolen, en fonction de 1955 à 1990, partageait également l’avis selon lequel on pourrait trouver davantage de manuscrits sur le site, dans un entretien avec l’auteur le 25/09/1994 : « C’est possible, c’est possible, mais maintenant il faut dire tout simplement : de telles fouilles font une très grande sensation. Ce n’est pas bon pour de telles choses. Deuxièmement, il n’est certainement pas facile de trouver quelque chose maintenant, car ce secteur a tout simplement changé. Il est probablement au moins 30 centimètres plus haut qu’avant. »

Trente ans plus tôt, Smolen avait déjà confirmé dans une lettre adressée au Comité international d’Auschwitz à Varsovie, « que les dernières découvertes (...) indiquent la grande importance de ces documents ». Dans la lettre du 26 novembre 1963 il poursuit en disant : « Nous sommes d’avis que dans la situation actuelle, tout doit être fait pour que des documents de ce type soient déterrés le plus rapidement possible et exploités pour l’élaboration de l’histoire du camp d’Auschwitz. » Dans une autre lettre, adressée à Hermann Langbein, Smolen a également affirmé : « Pour notre part, nous tenons à souligner que le musée fera tout son possible pour que les documents enterrés près du crématorium soient retrouvés. »

À la suite de quoi on a mené en août 1964, lors d’une action de fouille organisée par le Musée d’Auschwitz dans le cadre d’une action de fouille superficielle, médiatisée mais finalement infructueuse et seulement mise en scène, la dernière recherche de manuscrits sur le terrain du crématorium avec le soutien du témoin israélien, membre du Sonderkommando, Dov Paisikovic, qui avait lui-même enterré des documents entre des arbres dans l’arrière-cour du crématorium III au début du mois d’octobre 1944. La recherche de Paisikovic a été documentée par un journaliste israélien et un journaliste allemand ainsi que par un photographe. Dans le magazine "REVUE" du 13/09/1964, le journaliste Paul Trunk résume : « Paisikovic ne parvient plus à trouver la cachette. Les premières fouilles restent sans résultat. Finalement Paisikovic se contente de jalonner la zone sur laquelle, selon sa mémoire, le journal doit être situé à environ un mètre sous terre. Les soldats de l’armée polonaise veulent maintenant creuser systématiquement pour trouver ce document unique alors que le procès de 22 anciens SS est toujours en cours à Francfort. » Le journal israélien "Yediot Ahronot" a cité la promesse de Smolen du 28 août 1964 : « Nous le trouverons. Nous allons envoyer une escouade de soldats pour fouiller tous les coins du sol. » Cependant, cette recherche n’a jamais été effectuée.

Au lieu de cela, en 1967, à quelques mètres seulement de là, le projet de film documentaire ’Archeologia’ du réalisateur Andrzej Brzozowski a été réalisé. Cette fouille, qui est à l’heure actuelle l’unique fouille archéologique documentée et menée de manière professionnelle sur le terrain du crématorium, n’a mis à jour que des restes d’un tas de déchets déjà découverts six ans auparavant et qui pouvaient être mis en scène de manière optimale. Malheureusement, le projet n’a pas eu d’effet positif sur la récupération des manuscrits du Sonderkommando.

Pour terminer, il faut observer qu’aucune opération de recherche des manuscrits du Sonderkommando n’a été effectuée depuis 1964, bien que les lieux d’enterrement soient en principe connus. Alors que pour d’autres sites de camps d’extermination allemands, à Chelmno (1986-1987, 1997-2001, 2003-2004), à Belzec (1997-2002), à Sobibor (2000-2015) et à Treblinka (2012-2014), des recherches archéologiques et même des fouilles, ont été autorisées pendant des décennies, dont certaines même sous la supervision des rabbins, à Auschwitz-Birkenau il existe toujours une interdiction en vigueur jusqu’à présent de rechercher les derniers manuscrits sur le terrain du crématorium.

Des techniques de pointe permettent désormais d’effectuer une première investigation du site même sans fouille, ce qui ne désacraliserait pas le site et ne causerait pas de grands remous. Le meilleur moment pour une recherche systématique et approfondie serait maintenant. Une prise de position de de la part des autorités compétentes et une décision prise par elles concernant l’affaire seraient non seulement d’intérêt public et national, mais aussi d’intérêt international, car les manuscrits du Sonderkommando représentent un patrimoine culturel mondial unique et des « archives souterraines de l’horreur », créées dans la détresse et le désespoir comme un signe de résistance et comme preuve accablante au centre de la machine meurtrière allemande par ses victimes.


Position de M. Cywiński

Prise de position de M. Piotr M. A. Cywiński, directeur du Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, sur la contribution d’Andreas Kilian, dans « Karta » 103/2020, p. 136-137 :

Andreas Michael Kilian se trompe. Et ce n’est pas possible autrement, car avant de publier sa contribution, il ne nous a même pas posé de questions concernant la situation actuelle. Des recherches archéologiques ont été menées à plusieurs reprises ces dernières années à proximité du crématorium III. Premièrement, lorsque des pieux souterrains ont été enfoncés le long des contours de la chambre à gaz pour réduire la pression de la masse de terres sur les ruines. Deuxièmement, à l’occasion de la construction d’un grand mur de soutènement souterrain et des évents autour de la salle de déshabillage de ce bâtiment. Chaque fois qu’une intervention est effectuée dans les profondeurs du sol, des archéologues sont présents, et tous les travaux sont effectués selon les règles de l’art de l’archéologie. Les objets trouvés sont analysés par des spécialistes, ajoutés aux collections et catalogués. C’est une procédure normale, conditionnée par la loi, les connaissances scientifiques et la décence humaine. J’ai assisté à de nombreuses reprises aux fouilles dans la zone du crématorium III et je sais de quoi je parle. Bien que de vastes secteurs aient été fouillés, sur des dizaines et des centaines de mètres carrés qui couvrent en partie la zone où les documents auraient pu être cachés, aucun nouveau document n’a été trouvé.

L’archéologie est toujours impliquée dans toute intervention dans la profondeur du sol, et cette intervention est souvent nécessaire pour sauver la substance du mémorial. Par contre, depuis de nombreuses années, aucun travail archéologique n’a été effectué sur le site d’Auschwitz-Birkenau pour les seules raisons archéologiques. L’ensemble du site est couvert d’une couche de cendres d’au moins une douzaine de centimètres d’épaisseur ; ces cendres humaines s’étaient échappées par les cheminées avec la fumée et s’étaient déposées à proximité immédiate. Lors des travaux qui interviennent dans la profondeur du sol, ces cendres font l’objet d’une surveillance rabbinique et d’actions rabbiniques correspondantes du grand rabbin de la République de Pologne, en accord avec les plus grandes autorités religieuses du monde entier qui s’occupent de ces questions. Néanmoins, des voix s’élèvent parfois, ou même des pressions sont exercées, pour que toute la zone soit recouverte d’une couche de terre supplémentaire de 50 centimètres afin d’empêcher toute profanation des cendres, même parfaitement involontaire. Cette idée est bien sûr impensable pour d’autres raisons : il s’agit de la préservation d’une substance mémoriale reconnaissable et protégée par la loi. À l’heure actuelle la tension entre les aspects archéologiques, mémoriaux et religieux consiste en cela, et chacune de ces opinions a le droit d’être exprimée.

L’ensemble du site d’Auschwitz-Birkenau est plein de ce genre de tensions, et pour les résoudre, il est nécessaire de mener en permanence le dialogue et la discussion. Dans le cas présent, le Conseil international d’Auschwitz, qui comprend d’éminents experts et les plus grandes autorités sur ces questions, a adopté dès le départ une position claire : l’intervention sur les cendres humaines ne peut être autorisée que si elle est absolument nécessaire. Si cette position n’était pas comprise et respectée, elle ne ferait que conduire à l’intensification de concepts extrêmes, à un débat mondial qui générerait des opinions qui ne comprennent même pas une fraction de la complexité du sujet, et le retour vers un compromis raisonnable prendrait de très nombreuses années.


Déclaration d’Andreas Kilian

Déclaration d’Andreas Kilian sur le commentaire de M. Piotr M. A. Cywiński dans « Karta » 103/2020, pp. 137-139 :

Des informations sur le travail de conservation impressionnant et hautement professionnel effectué sur le site du crématorium ces dernières années peuvent être facilement trouvées dans les communiqués de presse et les rapports annuels d’activités du musée, ainsi que dans la chronologie du mémorial sur le site officiel du musée d’Auschwitz. [1] Ces références, que j’avais déjà utilisées comme sources et citées dans des articles précédents, prouvent que la recherche des manuscrits n’était pas le but des fouilles mentionnées par le directeur du musée, Piotr Cywiński, et ne font pas mention des témoignages du Sonderkommando dans ce contexte.

Fin janvier de cette année, quelques semaines seulement avant la publication de mon dernier article dans le magazine « Karta », je me suis entretenu personnellement avec P. Cywiński dans la maison Paul Löbe du Bundestag allemand à Berlin sur les problèmes et en détail sur les travaux de conservation des dernières années sur le terrain du crématorium. À cette occasion, je lui ai également présenté un plan d’orientation des terrains du crématorium III que j’avais préparé et lui ai montré les parties des terrains où l’on pouvait soupçonner la présence d’autres cachettes. Au cours de cette conversation, P. Cywiński m’a informé qu’il avait donné l’ordre de creuser un mètre plus au nord de l’ancienne salle de déshabillage et aussi plus profondément que prévu, mais que néanmoins rien n’avait été trouvé et que la recherche archéologique des manuscrits était fondamentalement exclue. Il a sans hésiter indiqué les endroits correspondants des fouilles de conservation sur mon plan.

Plan au Crématoire III, Andreas Kilian

(Cliquer sur l’image)
Les zones supposées d’enfouissement des manuscrits du Sonderkommando sur le terrain du crématoire III, camp de concentration d’Auschwitz- Birkenau, 1944

Cependant, cette tentative bien intentionnée et appréciable devait rester infructueuse, car à proximité des murs de la salle de déshabillage et de la chambre à gaz, les prisonniers du Sonderkommando n’avaient délibérément pas enterré de manuscrits, et pas non plus à grande profondeur. L’ancien prisonnier polonais d’Auschwitz et l’un des premiers collaborateurs du Musée d’Auschwitz, Henryk Porebski, à qui nous devons la recherche ciblée des manuscrits de Zalmen Lewenthal, a fait la déclaration suivante au Musée d’Auschwitz en 1961 :

« Les récipients n’ont pas été placés directement contre les murs du bâtiment, car nous craignions que le crématorium ne soit démoli jusqu’aux fondations, comme c’était le cas de la maison rouge. Les récipients n’ont pas été placés près des arbres non plus, de peur qu’ils ne soient abattus. » [2]

Des endroits où des manuscrits (dont certains ont même été dispersés en double exemplaire sur les terrains des crématoires II et III) ont été enterrés, des témoins tels que Zalmen Gradowski, Lejb Langfuß, Zalmen Lewenthal, Lemke Pliszko, Dov Paisikovic et Henryk Porebski en ont fourni des descriptions claires. Dans les notes de Lejb Langfuß, qui ont été trouvées au cours de l’été 1952 et transférés en Israël en 1969, on peut lire :

« Je vous prie de rassembler toutes mes diverses descriptions et notes, enterrées au fil du temps, avec la signature J.A.R.A. Elles se trouvent dans divers cartons et récipients sur le terrain de la cour du crématorium III, ainsi que deux descriptions assez volumineuses, l’une intitulée ‘Évacuation’, qui se trouve dans une tombe sous un amas d’os sur le terrain du crématorium II, et l’autre intitulée ‘Oświęcim’, qui se trouve entre les os nivelés sur le côté sud-ouest de cette même cour. Plus tard, je l’ai recopiée et complétée et je l’ai enterrée séparément dans les cendres du terrain du crématorium III. Je vous prie de mettre en ordre tout cela et de le publier sous le titre : ‘Au milieu du crime atroce’. » [3]

Cependant, aucun des témoins n’a signalé des endroits près des murs de la salle de déshabillage et de la chambre à gaz. P. Cywiński veut faire croire que toutes les possibilités de fouilles ont été épuisées, mais cela ne correspond pas aux faits. Un chevauchement partiel des zones de fouilles de ces dernières années avec des zones « où les documents auraient pu être cachés » n’est pas prouvé. Comme ces creusements ont été effectués pour des raisons totalement différentes et purement de conservation et aux mauvais endroits, les arguments avancés ne sont pas plausibles.

Enfin, dans une deuxième stratégie d’argumentation la décision existante selon laquelle « aucun travail archéologique ne serait effectué pour le seul but de l’archéologie » est mise au centre. Ainsi, P. Cywiński confirme et justifie en fin de compte l’interdiction de rechercher les manuscrits manquants du Sonderkommando, qui est en vigueur depuis 1964. La décision est étayée par l’affirmation non prouvée selon laquelle « l’ensemble du site contient une couche de cendres d’au moins une douzaine de centimètres d’épaisseur » et par la déclaration compréhensible selon laquelle le site doit être protégé pour des raisons religieuses.

L’argument des cendres montre clairement que la justification de l’interdiction est portée par une force suggestive, qui n’est toutefois employée qu’unilatéralement, puisque la pluie de cendres provenant de la cheminée du crématorium ne s’était pas arrêtée à la clôture du crématorium, mais est également tombée, par exemple, dans le camp de femmes voisin ou sur le terrain de la station d’épuration voisine, à côté du crématorium II, où des fouilles à des fins diverses ont été effectuées ces dernières années [4]. Le traitement contradictoire de la question de la profanation des cendres humaines, dont on dit qu’elle est nécessaire à une fin et impensable à une autre, ne peut donc guère être qualifiée de compromis [5].

De nombreux exemples de fouilles prouvent que l’urgence des fouilles est reconnue en principe avec la justification des travaux de conservation, mais pas avec la justification de la récupération de manuscrits inestimables et de preuves uniques des massacres allemands. Manifestement des références différentes sont appliquées dans l’évaluation de ces cas, ce qui a pour conséquence que les ruines d’un camp d’extermination allemand sont considérées comme dignes d’être préservées, mais qu’il est interdit de sauver ou rechercher des manuscrits en langue yiddish. Une telle mésestimation de l’importance des documents juifs irremplaçables n’est en tout cas pas scientifiquement justifiable.

Dans la lettre de Zalmen Gradowski, qui a été trouvée le 5 mars 1945, on peut lire :

« Cher découvreur, cherche partout, en tout point du sol. Sous lui se cachent encore des dizaines de documents enterrés par moi-même et d’autres personnes, qui font la lumière sur tout ce qui a eu lieu ici et sur ce qui s’est passé ici. » [6]

Ce n’est pas parce que l’on s’est jusqu’à présent dérobé à cette obligation qu’il est déjà trop tard pour réévaluer la situation d’une manière nouvelle et différenciée et tirer de nouvelles conclusions. L’utilisation de méthodes archéologiques non invasives, telles que les techniques de prospection géophysique, qui ont déjà été appliquées avec succès en Pologne sur d’autres sites d’anciens camps d’extermination allemands, serait un moyen approprié d’éviter dans un premier temps les tensions entre les aspects archéologiques, mémoriaux et religieux.

Enfin, l’avertissement final de P. Cywiński, selon lequel un débat mondial mettrait en danger un « compromis raisonnable » durement acquis, est un autre moyen d’étouffer dans l’œuf toute discussion sur le sujet et de faire taire les critiques gênantes. L’information transmise par le chroniqueur du Sonderkommando, Zalmen Lewenthal, qui a été découverte le 28 juillet 1961 et publiée quatre ans plus tard sous le titre évocateur « Des voix sous la cendre », n’a rien perdu de son actualité à ce jour et devrait nous encourager à suivre les traces laissées par les prisonniers du Sonderkommando assassinés :

« Un hasard a voulu que ceci a été enterré à différents endroits. Continuez à chercher ! Vous en trouverez d’autres ! » [7]


Commentaire final

[Commentaire final] De la part de la rédaction :

Piotr M.A. Cywiński s’en est tenu à l’opinion exprimée précédemment après avoir lu la déclaration d’Andreas Michael Kilian. Le Conseil international d’Auschwitz n’ayant pas été nouvellement nommé par le Premier ministre depuis 2018, le directeur du musée reste fidèle à l’avis unanime des membres de l’ancien Conseil, représentés par des personnes comme le professeur Israel Gutman, le professeur Władysław Bartoszewski, le professeur Józef Garliński, le professeur Józef Szajna et le professeur Wacław Długoborski, Miles Lerman, Marian Turski, Nathan Leipciger, Noah Flug, Kazimierz Albin, Halina Birenbaum, Serge Klarsfeld, Avner Shalev, Sarah Bloomfield, Dr. Havi Dreyfuss, Rabbin Irving Greenberg et bien d’autres, qui ont à plusieurs reprises envisagé différentes solutions et ont élaboré cette recommandation unanime.

Dans la version allemande du débat dans la revue « Karta » 103/2020, pp. 136-139, les contributions du directeur du musée, Piotr M.A. Cywiński et de la rédaction ont été traduites du polonais de par Ewa Czerwiakowski que nous remercions. Traduction de l’allemand en français par Ulrich Hermann.

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Le trimestriel « Karta » est un magazine consacré à l’histoire de la Pologne et de l’Europe centrale et orientale au XXe siècle. C’est le seul média en Pologne qui donne la parole aux témoins de l’histoire, dont les rapports (mémoires, journaux intimes, etc.) sont complétés par des commentaires scientifiques de chercheurs expérimentés.

Document publié avec l’accord des auteurs et de l’éditeur du magazine « Karta ».

Archéologie de l’Holocauste à Auschwiz-Birkenau. Histoire d’une redécouverte

[2APMA-B, Rapport H. Porebski, 29.07.1961, Recueil de déclarations, vol. 21, p. 16.

[3Auteur inconnu : Notizen, dans : Inmitten des grauenvollen Verbrechens. Manuscrits des membres du Sonderkommando, Oświęcim 1996, p. 185 (traduction de l’édition polonaise : Wśród koszmarnej zbrodni - notatki wiezniów Sonderkommando, II wydanie rozszerzone, Oświęcim 1975, str. 174). Cependant, un seul manuscrit a pu être publié en 1971 en traduction polonaise sous ce titre, que Langfuß avait demandé, et seulement deux manuscrits en 1975, car une recherche de ses autres écrits n’avait pas été entreprise. Le manuscrit intitulé ‘L’évacuation’ a été trouvé par un déterreur privé en avril 1945 et n’a été remis au Musée d’Auschwitz qu’en novembre 1970.

[4La section de Birkenau I avait déjà fait l’objet de recherches archéologiques, géologiques et hydrogéologiques, également au moyen d’un balayage laser au sol, jusqu’en 2015. De même, entre 1993 et 2012, plusieurs forages hydrogéologiques à côté du site du crématorium II ont été effectués. Voir le rapport « TO PRESERVE AUTHENTICITY - Neuf tâches pour les années 2012-2015 »/ « ZACHOWAĆ AUTENTYZM - Dziewięć zadań na lata 2012-2015’, Musée Auschwitz-Birkenau, Oświęcim 2015, p. 55-63 ; cf. également l’annonce de recherches géologiques et hydrologiques dans : Auschwitz Birkenau-Foundation Master Plan for Preservation, Report 2013 [Pas de publications suivantes], p. 24, http://auschwitz.org/gfx/auschwitz/userfiles/ auschwitz/fundacja/en/master_plan_for_preservation/raport_fab_gpk_en_2013.pdf

[5Voir l’illustration parlante des interventions considérables dans le sol avec la légende « Podziemny mur oporowy, powstrzymujący odkształcenia ściany ruin rozbieralni komory gazowej III » (Mur de soutènement souterrain empêchant la déformation des murs des ruines de la salle de déshabillage de la chambre à gaz III) dans le rapport d’activité « Zabezpieczenie ruin komór gazowych i krematoriów » (Sécurisation des ruines des chambres à gaz et des crématoires), dans : « Sprawozdanie 2019 », p. 62 et des photos de la zone altérée à l’adresse suivante : http://auschwitz.org/en/museum/news/works-have-been-completed-on-securing-the-walls-of-the-gas-chamber-and-crematorium-iii-undressing-rooms,1272.html, http://auschwitz.org/muzeum/aktualnosci/zakonczono-zabezpieczanie-scian-rozbieralni-komory-gazowej-i-krematorium-iii,1929.html

[6Zalmen Gradowski : Ich befinde mich im Herzen der Hölle. Manuscrits retrouvés à Auschwitz d’un prisonnier du Sonderkommando. Oświęcim 2017, p. 180 (traduction de l’édition polonaise : Załmen Gradowski : Znajduję się w sercu piekła. Notatki więźnia Sonderkommando odnalezione w Auschwitz, Oświęcim 2017, str. 156)

[7Le rapport de Zalman Lewenthal, dans : Lettres de Litzmannstadt. Ed. par J. Gumkowski, A. Rutkowski et A. Astel, Cologne 1967, p. 94 (traduction de l’édition polonaise, éd. par la Glówna Komisja Badania Zbrodni Hitlerowskich w Polsce : Szukajcie w popiołach. Papiery znalezione w Oświęcimu, Łódź 1965, str. 130)