Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

La Famille Gradsztejn, une histoire particulière.

par Marie-Paule Hervieu
lundi 27 janvier 2020

Nathan et Esther Gradsztzejn sont issus de familles juives polonaises immigrées en France.

La Famille Gradsztejn, une histoire particulière 

Nathan et Esther Gradsztzejn sont issus de familles juives polonaises immigrées en France. Nathan est arrivé en 1926, à la suite de son frère Schlomo. Il épouse en 1930 Esther Biderman, ils habitent le 10e arrondissement de Paris, rue d’Hauteville, quartier de la porte St Denis. Ils auront 5 enfants, de 1930 à 1944. Ils perdent un premier fils, Maurice, à l’âge de 5 ans. Les quatre autres seront sauvés de la déportation. Nathan, tailleur-fourreur, est victime de la spoliation des biens juifs, et doit retrouver un travail de mécanicien dans un atelier « autorisé ». À L’été 42, il entend parler, sous forme de rumeur, d’une rafle de Juifs dans son quartier. Ses deux beaux frères Biderman ayant été arrêtés lors de la rafle du 11e, puis déportés par les convois 1 et 3, il pense que l’arrestation ne visera que les hommes en âge de travailler (il a lui-même 33 ans) et il fait dire à sa femme qu’il reste dormir à l’atelier. Esther, enceinte de 5 mois reste seule avec ses enfants, Albert né en 1934, Régine née en 1938. Alors que trois policiers français viennent pour arrêter le père, elle est sauvée par le fait qu’elle est enceinte et que ses deux enfants de moins de 16 ans ne sont pas déportables (« pas encore » dit un policier en civil, un inspecteur ?, avant la grande rafle dite du Vel d’hiv des 16 et 17 juillet 1942).

Les deux parents comprennent qu’il leur faut cacher leurs enfants. Ils trouvent d’abord dans l’immeuble habité par le frère de Nathan, faubourg St Antoine, un couple, les Madeline, qui emmènent dans la Sarthe, le petit garçon de 8 ans et la petite fille de 4 ans, ils y resteront 5 mois, avant de rentrer à Paris (leur père les fait photographier). Une deuxième fille, Ida, naît le 15 septembre 1942 , gardée par sa mère. Mme Madeline emmène les deux aînés devenus déportables dans le Loiret à Baule, chez Thérèse Bouchet, une nourrice qui héberge 9 enfants. Le frère et la sœur sont scolarisés, sous le faux nom de Gratten, mais non inscrits dans les registres scolaires. Fin novembre 1943, Mme Madeline cache leur mère et son bébé, toujours dans le Loiret, chez André et Raymonde Poulin, deux cultivateurs, parents de quatre enfants, à Le Bardon. Esther, de nouveau enceinte, fait la cuisine et travaille à la ferme, Nathan cherche à les rejoindre, en transportant une machine à coudre et du tissu. Mais il est dénoncé, arrêté le 29 janvier 1944 et déporté par le convoi 68 (10 février 1944, le convoi d’Ida Grinspan).

En 1944, Esther, munie de faux papiers, retrouve ses deux aînés, chez Th. Bouchet. André Poulin qui constate qu’ils manquent de tout, leur trouve de quoi manger, pour quelques jours, puis ramène les deux enfants et leur mère à sa ferme. Il emmène Esther dans une carriole, chez une sage femme Mme Marguerite, ayant accepté d’accoucher Esther, chez elle, à La Chapelle St Mesmin. Une petite Simone naît le 5 juin 1944, alors que se succèdent les bombardements anglo-américains sur la gare des Aubrais et la ville d’Orléans, orpheline de père à sa naissance. Thérèse Bouchet a été reconnue Juste parmi les nations, en 2010, pour avoir sauvé trois enfants (Albert, Régine Gradsztejn-Lippe et Monique Damsky-Chazal).André et Raymonde Poulin sont devenus Justes, en 2007, ils ont sauvé de la déportation et de la mort, quatre enfants et leur mère.I ls les ont hébergés pendant près de deux ans les enfants des familles Poulin et Gradsztejn allaient à l’école et à la messe ensemble. Ils garderont après guerre de très bons rapports. A leur retour à Paris, les cinq Gradsztejn doivent être hébergés dans l’atelier de Naftulé Biderman, par leurs parents et grands parents maternels qui, arrêtés lors de la rafle du Vel d’Hiv, ont été libérés, sur intervention de leur patron, un ébéniste italien, M. Arigoni, venu récupérer, à Drancy, « ses » ouvriers qualifiés…, cachés par lui et sauvés. Puis Esther a ensuite trouvé un deux pièces, Bd de Belleville, à Menilmontant.

Ce texte a été écrit à partir de multiples recherches documentaires faites par Mme Odette Szylit, de l’AMEJD-11e. Il permet de comprendre comment une famille de 5 personnes, dont le mari et le père a été déporté et assassiné à Auschwitz Birkenau, a pu être dispersée, mais sauvée par des Justes, dans le Loiret, dont une famille de fermiers catholiques. La naissance pendant la guerre, de deux petites filles et leur survie, a pu être assurée par ces réseaux de voisinage et de solidarité. De même que celle de leurs grands parents est due à leur petit patron, un artisan. Pour autant le bilan de la Shoah, pour les familles Gradsztejn-Biderman est très lourd : outre leur père, leurs deux oncles ( et frères de leur mère) Biderman, jeunes tailleurs, ont été déportés, l’un assassiné, l’autre rescapé, Esther est la seule épargnée. L’oncle paternel, Schlomo Gradsztejn, sa femme Maia Pesakhovitz, leurs deux petites filles Danielle, ancienne internée à l’hôpital Rothschild, sortie clandestinement, et Céline, qui n’ont pas voulu se séparer, ont été arrêtés lors de la rafle du Vel d’hiv, déportés par le convoi 55 (23 juin 1943) et assassinés à Auschwitz.

Marie-Paule Hervieu, 27 janvier 2020.

Claire Heyman et l’Hôpital Rothschild