Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

Jacques Grynberg, déporté, militant antifasciste

article de Marie-Paule Hervieu
mardi 15 octobre 2019

Jacques Grynberg, de la prison de Pau (zone non occupée) à 11 camps (camps de travaux forcés pour Juifs, camps d’internement, camps de concentration) entre l’été de 1941 et 1945.

Jacques (Jakob) Grynberg [1] a été déporté [2] comme Juif, comme quatre autres membres de sa famille non rescapés.

Il est né le 17 septembre 1920, en Pologne, quatrième et dernier enfant d’une famille d’immigrés polonais, de tendance communiste, arrivés en France après sa naissance, en 1934. Il habite le 11e arrondissement de Paris, 166 Boulevard de Charonne [3].

À la déclaration de guerre, à l’été 39, son frère, Henri (Hersz), jeune comptable de 25 ans, s’engage [4] dans l’armée française, puis démobilisé en zone non occupée, en 1940, il regagne Paris pour voir sa mère malade, et repart à Marseille, après la première rafle de Juifs étrangers, en mai 1941 (dite du Billet vert) pour s’engager dans la Résistance. Il est arrêté et déporté à Sobibor, centre de mise à mort, par le convoi 53 ( 25 mars 1943). Sa famille n’aura plus aucune nouvelle [5].

Suite aux rafles d’hommes juifs, en mai et août 1941 (dite du 11e), alors que le jeune Jacques, âgé de 20 ans, travaille avec son père, comme tapissiers, dans l’entreprise Tuchmitz, passage du Chantier, dans le 12e arrondissement, ce dernier, Mathes, décide de se cacher dans une cave de la rue Notre Dame de Nazareth, dans le 3ème, il y restera 3 ans, en travailleur clandestin, jusqu’à l’été 44.
Jacques, lui, décide de gagner la zone dite libre. Ses deux sœurs aînées, Marie et Sophie (Zelda) âgées de 27 et 24 ans, en 1942, sont amenées à se livrer, sur chantage de la police française, lors de la rafle dite du Vél’ d’Hiv’. Elles sont internées à Beaune-la-Rolande et déportées par le convoi n° 12, au départ de Drancy, le 29 juillet 1942. Sa mère Jenta, née Blumenstock, âgée de 56 ans, malade, est aussi arrêtée, en dépit du sacrifice de ses deux filles, cachées dans leur immeuble, qui ont tout fait pour qu’elle soit épargnée ; elle est internée à l’hôpital Rothschild, puis déportée par le convoi 72 du 29 avril 1944.

Jacques a tenté de franchir la ligne de démarcation en septembre 1941. Il est arrêté par les autorités françaises de Vichy, emprisonné à Pau, ville des Basses-Pyrénées, aujourd’hui Pyrénées-Atlantiques, pendant 15 jours, puis interné dans le camp de Gurs, situé aussi en zone non occupée. Puis du fait de sa force de travail, il est transféré dans trois camps [6] de Travailleurs étrangers (dits GTE). C’est à Bourbon-l’Archambault qu’il est arrêté, dans la grande rafle des Juifs étrangers, le 26 août 1942, puis après un passage dans le camp du textile de Premilhat [7], il est transféré par train, de la gare de Montluçon (Allier), vers le camp de transit de Drancy, d’où il est déporté par le convoi 32, le 14 septembre 1942.

Il est sélectionné pour le travail à Cosel, pour le compte de l’Organisation Schmelt [8], affiliée à la SS, dans le camp de travaux forcés pour Juifs de Peiskretcham (Haute-Silésie), puis à Blechhammer ZAL für Juden (rattaché à Auschwitz III en 1944, usine Buna) jusqu’en janvier 1945. Il est alors évacué, dans une marche de la mort, vers le camp de Groß-Rosen puis acheminé par train à wagons découverts, dans l’hiver de 1945, à Buchenwald, affecté au Kommando de Wansleben [9].

En avril 1945, il s’évade et gagne la zone contrôlée par l’armée américaine, il rentre à Paris, en juin 1945 et retrouve son père, un appartement pillé, dévasté. Ne voyant pas quatre des leurs rentrer, ni leurs voisins et amis, ils restent des jours et des jours comme prostrés. Et le silence de Jacques Grynberg sur ce drame dure près de 20 ans.

Mais l’homme courageux et militant reprend le dessus : il a été un des premiers adhérents de l’Amicale d’Auschwitz et des camps de Haute-Silésie, de la FNDIRP dont il assume la présidence pour le 20e, de même qu’il a été responsable de l’Amicale des déportés du 11e. Il s’engage aux cotés de la CIMADE et de l’ASF Aktion Sühnezeichen Friedensdienste, association protestante allemande "Action Signe de Réconciliation. Service pour la paix" et organise des journées d’étude en France, Allemagne et Pologne. Il témoigne devant les élèves, lycéens et étudiants. Il est actif dans le Comité de la rue de Tlemcem (AMEJD du 20e), dans la transmission de la mémoire des enfants juifs déportés. Un square du 20e porte son nom [10].

Marie-Paule Hervieu, octobre 2019 

Aktion Sühnezeichen Friedensdienste : Action Signe de réconciliation-Services pour la paix.

Andrea RUDORFF, "Organisation Schmelt",Wolfgang Benz, Barbara Distel (Hrsg.) : Der Ort des Terrors. Geschichte der nationalsozialistischen Konzentrationslager. Band 9, C.H. Beck, München 2009

[1Il est possible, à partir de multiples sources de documentation (travaux de Serge Klarsfeld, de l’AFMD de l’Allier, livre « Raflés, internés, déportés, fusillés et Résistants du 11e », publié par le Comité de Libération du 11e, recherches d’Odette Szylit (AMEJD du 11e ) de reconstituer l’itinéraire de Jacques Grynberg, déporté.

[2Il est reconnu déporté politique par le Ministère des Anciens Combattants et Victimes de Guerre en 1956 ( carte N°1 175 10634).

[3Plusieurs photos de la famille Grynberg sont publiées, pages 98-99, dans le livre cité dans la note 1 : de son père, de sa mère et de ses quatre enfants, son frère en uniforme de l’armée française, ses sœurs déambulant libres dans une rue de Paris, devant le domicile familial, et du matricule tatoué sur son bras.

[5La trace de son frère aîné s’est longtemps perdue jusqu’à ce que, via les Archives de Bad Arolsen, soit publié le télégramme signé de Röthke, SS-Obersturmführer, de la SIPO-SD, en date du 25 mars 1943, avertissant A. Eichmann, à Berlin, Cracovie et Lublin que le train de déportation parti du Bourget, est à destination de Sobibor, avec 1009 noms dont celui d’Henri Grynberg (décédé le 30 mars 1943 à Sobibor ).
tomasz-toivi-blatt-describes-gassing-operations-in-the-sobibor-killing-center

[6D’après les recherches de l’AFMD de l’Allier, ces trois camps sont le 661e GTE d’Idron ( Basses-Pyrénées), 664e GTE de St Georges d’Aurac ( Haute-Loire), 861e GTE de Bourbon- l’Archambault (Allier) : exploitation des forêts.

[7près de Montluçon, dans une ancienne usine désaffectée en 1936 qui fabriquait de la paille à chapeau
http://www.afmd-allier.com/PBCPPlayer.asp?ID=1292283

[8L’organisation Schmelt a été créé, sur ordre d’Heinrich Himmler, le 15 octobre 1940, pour gérer le travail forcé en Haute-Silésie

[9Camp extérieur à Buchenwald dans d’anciennes mines de sel. Des détenus ont creusé des galeries pour abriter la fabrication de moteurs d’avions et de pièces pour les V1etV2.

[10À titre personnel et au nom de mes camarades du Cercle d’étude de la déportation et de la Shoah, nous rendons par ce texte un hommage respectueux à un déporté témoin, modeste et généreux, mort en 2004, que nous avons connu à l’Amicale d’Auschwitz.