Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

André Montagne, résistant déporté, 1922-2017

un des "45000"
samedi 13 mai 2017

Mort d’André Montagne hier, vendredi 12 mai 2017. La Cérémonie d’incinération aura lieu Mercredi 17 mai 2017 à 14h30 au Père Lachaîse. Il a été secrétaire général adjoint de l’Amicale d’Auschwitz dans les années 80, et vice-président du Comité International d’Auschwitz entre 1984 et 1993. Il était dans la résistance à Auschwitz dans le groupe Langbein."

Biographie par Claudine Cardon-Hamet :
André Montagne

Témoignage écrit d’André Montagne résistant déporté

André Montagne, à Avon. Photo M Braunschweig
avec Georges Dudal et Lucien Ducastel et Mme Prel, veuve de Prudent Prel.

André Montagne est né le 17 septembre 1922 à Boussois (Nord). A la date de son arrestation, il habitait 13 place de l’Ancienne Comédie à Caen (Calvados).
Célibataire, il avait été embauché comme auxiliaire des postes entre le 13 septembre 1939 et le 10 juillet 1940, puis il travailla comme électricien avec son père, artisan licencié à la suite de la grève du 30 novembre 1938 à la Société métallurgique de Normandie (SMN) où il était responsable syndical CGT.

Deux fois arrêté

Le 28 janvier 1941, alors qu’il est membre des Jeunesses Communistes, André Montagne est arrêté à son domicile par la police française. Il est incarcéré à la prison de Caen puis condamné, le 14 mars 1941, par le tribunal correctionnel à 8 mois d’emprisonnement. Il est libéré de la prison de Lisieux le 31 juillet 1941.
Il est de nouveau arrêté le 1er mai 1942 comme otage à la suite d’une action de la Résistance : le déraillement du train de permissionnaires allemands Maastricht - Cherbourg.

« L’atmosphère est dramatique, chacun est conscient des menaces qui pèsent sur le groupe. Avant la fin de la nuit, nous sommes transférés à la Maison centrale de la Maladrerie. Nous sommes entassés à 10 ou 15 par cachot avec par terre des paillasses. Très peu dorment. Nous restons deux jours dans l’incertitude et dans l’angoisse. Le 3 mai, en fin d’après-midi, nous sommes transférés en autocar ou voitures cellulaires vers le "petit lycée", sous le contrôle des autorités allemandes.
Pendant le trajet nous sommes accompagnés de forces de l’ordre impressionnantes : des éléments de la Wehrmacht sont là puissamment armés ; des gendarmes et des gardes mobiles entourent la place Guillouard devant le tribunal. Nous sommes menés au 1er étage du lycée où nous rejoignent des otages venus de Lisieux, Bayeux, Mézidon, arrêtés selon les mêmes listes de communistes ou de juifs [1]. »

Déporté à Auschwitz

Amené au commissariat puis à la prison de Caen, il est transféré dans le camp militaire allemand de Compiègne-Royallieu le 5 mai 1942.
Déporté le 6 juillet 1942 dans le convoi dit des 45.000, il passe par les gares françaises de Laon, Châlons-sur-Marne, Bar-le-Duc, et les gares allemandes de Francfort, Iéna, Chemnitz, Dresde, Breslau, et arrive à Auschwitz le 8 juillet 1942.

Le 9 juillet, il est transféré à Birkenau.

« Nous sommes séparés en Blocks. C’est la panique, nous sommes maltraités par les Kapos, c’est effrayant. Ce sont des brutes immondes. Pour les juifs du convoi qui sont séparés de nous, c’est encore pire. A Birkenau il n’y a pas d’eau. C’est l’été, la chaleur. Nous avons peur des coups de matraque. Dès le deuxième jour, nous participons aux travaux de construction du camp. Des baraques sont en train d’être bâties. Dans nos vestes rayées mises à l’envers nous transportons le sable. »

Interné à Auschwitz, résistant

Immatriculé 45912, il sera tatoué sur l’avant-bras gauche début 1943. Après son retour à Auschwitz, il est affecté comme électricien le 14 juillet 1942 au Kommando Elektriker jusqu’au 22 décembre 1942.
Malade, atteint d’une broncho-pneumonie, il entre au "Revier" (infirmerie) malgré la menace d’une "sélection" (par piqûre ou asphyxie) commune à l’ensemble des détenus "inaptes au travail" jusqu’en mai 1943.
Il est secouru par des dirigeants de la résistance intérieure au camp, le comité international, créé par des communistes autrichiens et allemands. Il attrape le typhus.

Du 15 mars 1943 à septembre 1943, il est infirmier au Block 20 grâce à l’influence d’Hermann Langbein [2] et prend en charge des malades tuberculeux.
A partir du 4 juillet 1943, comme les autres déportés politiques, il a le droit d’écrire deux lettres par mois et de recevoir deux colis (cela durera jusqu’en juin 1944).
Du 14 août 1943 à la mi-décembre, avec les autres 45.000 survivants, il est mis en quarantaine dans le Block 11.

« Les survivants sont rassemblés en quarantaine excepté ceux qui sont hospitalisés. Nous demandons pourquoi cet isolement ? Mais généralement la quarantaine précède un transfert. La menace pèse sur nous. Le Block 11 surnommé le bunker, avec en bas un mur noir, mur des fusillés. Au premier étage, une salle avec des fenêtres partiellement murées.
Nous restons quatre mois dans le Block 11. Lors des exécutions fréquentes, nous sommes rassemblés dans le couloir du premier étage. On ne voit pas ce qui se passe dans la cour mais par l’escalier nous parvient le bruit des fusillades. »

Il reprend le travail pour un mois environ dans le kommando Elektriker, puis il tombe de nouveau malade, avant d’être affecté au kommando des colis en provenance de toute l’Europe occupée.
De septembre 1944 au mois de janvier 1945, il est Blockschreiber au Block 7A effektenkammer et responsable du Block 7. Il est témoin de pendaisons.

« En décembre 1944 après l’appel du soir, cinq dirigeants de l’organisation de résistance du camp sont pendus : trois Autrichiens et deux Polonais. Ce soir-là, les SS exigent que les Allemands soient présents au premier rang devant la potence.
Le chef de Block est malade. C’est moi qui commande pour amener en rang devant la potence les 150 - 200 occupants de mon Block.
Les camarades meurent courageusement avant qu’on ne leur passe la corde autour du cou : "A bas Hitler", "A bas le fascisme". Les Polonais crient : "Pologne pas morte", "Vive la Pologne ". C’est un moment bouleversant et inoubliable. J’y repense tous les 30 décembre avec une grande émotion. »

Évacué, libéré

Le 18 janvier 1945, il participe à l’évacuation du camp d’Auschwitz du fait de la prochaine arrivée des troupes soviétiques.
D’abord, il marche trois jours, puis est transporté dans un wagon à ciel ouvert jusqu’à Mauthausen où il arrive le 25 janvier, il est immatriculé 118108.
Il est transféré dans les camps annexes de Melk (travail dans des usines souterraines), puis de Gusen I et Gusen II (usines Messerschmidt, construction d’avions à réaction) en avril 1945.
Le 5 mai 1945, il est libéré par l’armée américaine et rapatrié par l’armée française en camion, wagon de marchandises, train de voyageurs. Il arrive au Lutetia le 25 mai 1945.

« De Caen sur 80 nous revenons à 8. »

Extrait du Petit cahier N°24 : Journée d’étude du 1er octobre 2005 : - La déportation politique à Auschwitz : Conférence de C. Cardon-Hamet. Témoignage oral de M. Odru, Témoignages écrits d’A. Montagne, de F. Devaux et d’H. Borlant. Hommage à S. Radzynski.

« Triangles rouges à Auschwitz, le convoi politique du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de « Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé).

[1Texte extrait d’un entretien d’André Montagne datant de février 2001, publié par le collège Paul Verlaine d’Evrecy, le lycée Malherbe de Caen et l’association Mémoire Vive sous le titre : « De Caen à Auschwitz », Cahier du temps, juin 2001, p.19.

[2Auteur de : La Résistance dans les camps de concentration nationaux-socialistes (1938-1945), traduit de l’allemand par Denise Meunier, Paris, Fayard, 1981, 516 p. Sur Hermann Langbein, voir également : « Témoignage écrit de Fernand Devaux ».