Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

Rire le jour, pleurer la nuit, Katy Hazan

CR Claude Dumond
mercredi 3 février 2016

Histoire de la maison d’enfants de Chabannes dans la Creuse.

Rire le jour, pleurer la nuit, Katy Hazan

Rire le jour, pleurer la nuit
Des enfants séparés de leurs parents, obligés de fuir une menace dont ils ne peuvent rien comprendre, si ce n’est qu’elle est terrible, leurs rencontres avec des adultes, qui se révèlent des éducateurs exceptionnels, qui n’hésitent pas à prendre tous les risques pour réussir à ce qu’ils échappent aux complices des criminels, l’ouvrage se lit d’une traite tant nous sommes avides d’en mieux connaître chaque personnage, de lire sa contribution au "Journal de Chabannes". Il ne s’agit pourtant pas d’un roman mais de l’histoire, bien réelle, d’enfants juifs cachés dans la Creuse, de Rire le jour, pleurer la nuit, le dernier livre de Katy Hazan.

L’histoire de la vie au château de Chabannes s’ouvre par la biographie d’une personnalité exceptionnelle, celle du directeur Félix Chevrier. Autodidacte, il fut successivement aide jardinier, chauffeur mécanicien, militant syndical puis politique chez les Républicains socialistes. Au moment du Front populaire il est chargé de mission auprès du ministre de la Santé publique et puis se met au service de l’OSE [1] pour laquelle il utilise son réseau de relations.

Directeur de la maison de Chabannes, c’est lui qui, en novembre 1942, encourage enfants et adultes à participer à la rédaction d’un journal retrouvé récemment dans un fonds d’archives privées déposées au Mémorial de la Shoah, dont la transcription clôt le livre.

En 1939, l’OSE obtient le droit d’ouvrir une maison d’enfants à Chabannes dans la Creuse pour mettre des petits Parisiens à l’abri des bombardements. La plupart rentrent assez rapidement à Paris après la défaite mais sont remplacés par de jeunes Berlinois, puis par des enfants exfiltrés des camps d’internement de la zone non occupée, enfin par de jeunes isolés après l’arrestation de leur parents.
303 enfants ont été accueillis à Chabannes de quelques semaines à plusieurs mois ; entre 1939 et 1943.

Katy Hazan a reconstitué quelques exemples de trajectoires, ainsi celles de :
Herbert Hubert, né en pays de Bade, enfant caché aux multiples identités qui aboutit en Suisse, Ruth Adwokat, née à Vienne, la première du canton au Certificat d’études en 1942, Léon Wodowski qui se souvient d’avoir découvert à Chabannes la culture, l’art et surtout la musique classique en 1942, Wolgang Blumenreich qui alla de Chabannes à Haifa en passant par Auschwitz, Marjan Sztrum qui décora le réfectoire du château avant d’être déporté en Silésie où il disparut.

Commune à celles des autres maisons de l’OSE, la vie quotidienne au château est chaleureuse, "on travaille, on réfléchit, on s’amuse". Trois pièces ont été équipées et mises à la disposition d’institutrices y initient les "petits" à la lecture et à l’écriture avant qu’ils fréquentent l’école du hameau. Là, les maîtresses ont mêlé fils et filles de paysans et enfants étrangers (1/3 de l’effectif) et ont su créer un climat de confiance et de travail qui a fait l’admiration de tous ceux qui ont été témoins de l’atmosphère qui régnait dans l’école et des succès de ses élèves. Les jeunes juifs ont obtenu les meilleurs résultats du canton, dont le premier prix, au Certificat d’études. Même enthousiasme des "grands" pour Auguste Depomme le maître du cours supérieur qui les accueillis en déclarant "il n’y a ni juifs, ni catholiques ici, il n’y a que des enfants désireux d’apprendre et de s’instruire". "Il a fait aimer la France et sa littérature !"

Mais la période se prête aux manifestations de la sottise et de la haine la plus stupide, la directrice de l’école est suspendue, accusée par des membres de la "Légion" d’avoir favorisé des juifs. Ses supérieurs hiérarchiques, qui avaient toujours célébré ses compétences, n’ont pas osé la défendre !

Si dans la maison et le parc, "on rit le jour", mais "on pleure la nuit", les enfants souffrent de l’absence de leurs parents, beaucoup n’ont plus aucune nouvelle, ils savent qu’ils ont été arrêtés et sont minés par l’inquiétude.
Bientôt le château lui-même n’est plus une protection. Le 26 août1942 les gendarmes, à la demande de la préfecture, débarquent à 22h30 avec une liste de 17 enfants de plus de 15 ans à arrêter. 9 réussissent, de justesse, à se cacher dans les bois voisins. Le directeur mobilise toutes ses relations pour obtenir la libération des autres internés au camp de Nexon où ils ont été conduits. Quatre seront déportés malgré ses efforts, deux ne survivront pas.

Désormais l’urgence est à l’évacuation, le directeur et l’OSE travaillent à l’envoi des enfants vers les États-Unis et la Suisse. La plupart seront confiés au réseau Garrel.
A partir de novembre 1943, le château, vide d’enfants, cache des résistants, on y entrepose des armes ! !

Les enfants qui y ont vécu, les adultes qui les ont encadrés, les habitants du village ont entretenu après la guerre le souvenir de la vie au château, des liens qui s’étaient noués, Katy Hazan en a recueilli les témoignages.
Elle a aussi, au prix d’une recherche menée sur plusieurs continents, réussi à retrouver les traces de 44 enfants passés par Chabannes et de 26 adultes qui sont intervenus dans l’histoire de la maison d’enfants. Une enquête qui répond chez le lecteur à l’angoisse suscitée par ce qu’à pu être le sort de chacun, leur vie après la guerre. De belles vies !

Image vivante de la colonie, relation des étapes qui ont conduit certains jusqu’à Chabannes, récits des cauchemars qui hantent les nuits des joies et des peines de la vie quotidienne, des projets d’avenir.

Nouvelle source d’intérêt, d’admiration, d’émotion, le Journal, projet pédagogique et témoignage exceptionnel, clôt ce livre indispensable.

Claude Dumond

Kathy HAZAN, Rire le jour, pleurer la nuit : Les Enfants juifs cachés dans la Creuse pendant la guerre (1939-1944), Calmann-Levy, Collection Mémorial de La Shoah, 2014.

Les Justes : Chambon sur Lignon, Dieulefit, St Christophe des bois

Février 2016

[1OSE : Oeuvre de secours aux enfants
Les rafles, le réseau Garel, l’OSE, Georges Loinger