Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

Abraham Berkowicz

interné à Drancy, déporté (1941-1942)
lundi 15 septembre 2014

La dernière année de vie d’Abraham Berkowicz, de son internement à Drancy, le 20 août 1941, jusqu’à sa déportation à Auschwitz, le lundi 22 juin 1942, par le premier convoi parti de la gare de Drancy-Le Bourget (convoi N°3).

Abraham Berkowicz, interné à Drancy, déporté (1941-1942)

Grâce aux documents écrits (lettres, photos, dessin, fiches et papiers administratifs) soigneusement conservés par sa fille Jacqueline(1), il est possible de retracer la dernière année de vie d’Abraham Berkowicz, de son internement à Drancy, le 20 août 1941, jusqu’à sa déportation à Auschwitz, le lundi 22 juin 1942, par le premier convoi parti de la gare de Drancy-Le Bourget (convoi N°3).
L’on peut aussi intégrer son passage dans l’histoire de la première période du camp de Drancy, de son ouverture à la Grande Rafle du Vél’ d’Hiv’, qualifiée par les historiens Michel Laffitte et Annette Wieviorka (2), à la suite de l’écrivain et témoin Noël Calef, de « Drancy-1941 : camp de représailles, Drancy-la faim ».

Lorsqu’il est arrêté, le premier jour de la rafle, Abraham, dit aussi Albert Berkowicz, est un jeune homme de 26 ans, né de parents juifs polonais. Lui-même est né en Pologne, le 20 décembre 1915, et a été naturalisé Français. C’est à ce titre qu’il a fait son service militaire (classe 1935), a été mobilisé en 1939, blessé et démobilisé le 2 août 1940, à Marseille. C’est sans doute aussi à ce titre qu’il s’est fait recenser, à l’automne 1940, au commissariat de la Porte St Martin (10e) et que sa carte d’identité N° 996055 porte le tampon « Juif », et le N° 57334 du fichier juif de la Préfecture de police de Paris, comme sa fiche individuelle d’entrée à Drancy, porte la mention J. C’est enfin, à cause de son identité, qu’il est interpellé dans un contrôle de la police française, à la station de métro Nation, alors qu’il se rend à son travail d’ouvrier tapissier, chez son employeur les établissements Ibertric, 12 place de la Nation (11e). Il est alors marié à Estelle Alboukrek, de famille juive séfarade, et a une petite fille d’un mois. Ils habitent le 20e, quartier de Ménilmontant.

Interné parce que Juif, il fait partie de la minorité des 1500 Français sur les 5784 personnes arrêtées jusqu’au 25 août. Au terme de dix mois de détention, il est déporté par le convoi N° 3 qui, s’il n’est pas à proprement parler un convoi dit de « la solution finale » - il n’y a pas de sélection pour les chambres à gaz jusqu’au 6e convoi du 17 juillet 1942 -, reste une déportation de Juifs : 934 hommes et 66 femmes, voués aux travaux forcés et à la destruction dans les camps d’Auschwitz-Birkenau. Là encore, il fait partie d’une double minorité, celle des 435 Français et 114 anciens combattants, qui à cette date, jusqu’à la transformation de Drancy en camp de transit et de déportation massive, aurait dû lui valoir une double « protection ». C’est alors qu’il a été sélectionné par l’officier SS Dannecker et le commandant français du camp, nommé par le Préfet de police, le capitaine Henri Laurent. À son départ, ses bagages ont été fouillés par un inspecteur de la police aux questions juives, dépendant du Commissariat aux questions juives (CGQJ) dirigé par l’avocat antisémite Louis Darquier de Pellepoix.

Les cartes-lettres qu’il adresse tous les quinze jours à sa femme, ouvertes et contrôlées par le bureau de la censure de la Préfecture de police, permettent de le situer : immatriculé N°995, à son arrivée à Drancy, il est logé dans le bloc Il, escalier 8, chambre 10 ; il est interné avec ses copains du 140 rue de Ménilmontant.
Un interné juif hongrois, Étienne Rosenfeld, dessine son portrait, le 3 mai 1942(3), alors que lui-même reçoit des photos de sa femme et de sa petite fille. Ce mode de fonctionnement, par solidarité de groupe, ainsi que la garde militaire par les gendarmes français, n’est pas sans rappeler celui des camps d’internement de Pithiviers et Beaune-la-Rolande jusqu’aux premières déportations des 25 et 28 juin 1942. Ce qui le préoccupe beaucoup, c’est le vécu et le devenir de sa femme, couturière, de sa fille et de sa famille ; C’est sur eux qu’il compte d’abord, en même temps que de recourir à des structures d’aide, comme l’assistante sociale de l’OSE, le comité de la rue Amelot ou la Croix rouge française. Ce qui l’obsède, comme tous les internés juifs « de base », c’est le manque, la faim, il a un besoin vital de vivres complémentaires à une alimentation très insuffisante, qu’il camoufle en partie pour ne pas alerter sa famille, mais qu’il traduit par des demandes répétées de colis alimentaires à partir du moment où ils sont autorisés (la première mention date d’une lettre du 17 octobre). Il avoue le 30 novembre, que les colis lui ont permis de reprendre trois kilos, qu’il est donc en état de sortir, et il écrit le 27 février 1942, qu’il a gagné cinq kilos, son portrait en témoigne. Il attend aussi beaucoup de l’échange de colis de linge, s’ajoutant aux colis vestimentaires, via la Croix rouge, comme une protection contre le froid, jusqu’à ce que soient installés des poêles, mais aussi pour rester propre (objets de toilette) et même élégant (costume(s), chemise(s) et chaussures), avec l’espoir chevillé au corps d’être libéré.

Abraham Berkowicz ne comprend pas sa situation ; il pense qu’il est victime d’un malentendu et que sa détention est provisoire. Il écrit le 17 octobre 1941 qu’il n’est question que « d’une mesure de représailles » (aux attentats de la Résistance) et que « cela ne peut être indéfini ». Il commence, cependant, à douter, à se déclarer « sceptique », le 22 octobre. C’est que son espoir de sortie est alimenté par le fait qu’il est un ancien soldat. Il a été blessé, hospitalisé à Saint Dizier. Un interné « israélite », l’avocat Edmond Bloch, à la tête du Bureau militaire, a constitué un fichier des anciens combattants. En novembre 1941, Abraham Berkowicz espère que son livret militaire et ses problèmes de santé aideront à sa libération (comme un millier d’autres). Peine perdue.

Enfin s’il est las de l’oisiveté, du temps passé à grignoter le colis ou à jouer aux cartes, il se réjouit d’avoir trouvé un emploi, et d’être au contact des gendarmes qui, pour lui, sont de « braves gens » ; le jugement les qualifiant aussi de « chics types, le 27 février 1942, interroge tant il est contradictoire avec une majorité de témoignages (4) : effet de la censure ? Expérience personnelle positive ?
Le camp de Drancy, fonctionnant dans sa première période comme les camps d’internement du Loiret, est vécu comme un lieu de détention provisoire, où les hommes sont maintenus dans un état d’ignorance et l’espoir toujours démenti d’une libération prochaine. Ce sont les déportations de juin et juillet 1942 qui révéleront, à terme, le projet génocidaire.

L’annonce du départ en déportation pour l’Allemagne, prévue pour le lundi 22 juin 1942 est donc très brutale. Abraham Berkowicz écrit dans une dernière lettre datée du 20 juin 1942 : « j’ai été averti au dernier moment », « lorsque cette carte te parviendra, je serai déjà parti ». Il recommande à sa femme d’être « forte, pour notre enfant » et ajoute « moi, je ne faiblirai pas jusqu’au bout ».
D’après le Livre des morts à Auschwitz, Abraham Berkowicz, matricule 33501 est mort du typhus, le 30 septembre 1942, date officielle, d’après un de ses camarades de camp revenu en France. À noter que dès la mi-août 1942, 80 % des déportés de ce convoi avaient déjà disparu. Sa femme a été avertie de sa mort en octobre. Elle n’a pas été arrêtée mais, via une assistante sociale de l’OSE, elle a placé sa petite fille âgée de 2 ans, à la campagne, chez Gabriel et Colombe Lecouple, dans le village de Saumeray en Eure-et-Loir. Pour la sécurité de l’enfant, le couple l’a fait baptiser par le curé de la paroisse, diocèse de Chartres, le 9 avril 1944, sa logeuse étant devenue sa marraine. Jacqueline Berkowicz, devenue pupille de la nation, le 30 mars 1949, a fait reconnaître Gabriel et Colombe Lecouple, comme « Gardiens de la vie », en 2002.

Marie-Paule Hervieu
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1- Jacqueline Berkowicz que nous remercions pour le prêt de documents, travaille aujourd’hui comme bénévole à l’UDA et au CDJC-Mémorial de la Shoah.
2- Voir le livre publié en 2012 par l’éditeur Perrin, À l’intérieur du camp de Drancy
3- Ce portrait dessiné par E. Rosenfeld et reproduit dans son livre De Drancy à ces camps dont on ne parle pas, ainsi que plusieurs fiches, ont été présentés par le Cercle d’étude de la déportation et de la Shoah, au lycée Buffon, le 18 juin 2014, en même temps que les estampes de Georges Horan, interné à Drancy, entre juillet 1942 et mars 1943, ainsi que le Petit Cahier, 2e série-N°20 intitulé « Le camp de Drancy vu et vécu de l’intérieur ».
4 - voir l’article dans ce Petit Cahier, 2e série-N°20, chapitre IX, Abécédaires, entrées Préfecture et Gendarmerie, p. 119, 120 et 137 et 148

NM


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