Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

"Charlotte Delbo" de Violaine Gelly, Paul Gradvohl

CR Dominique Dufourmantelle, une biographie
vendredi 17 janvier 2014

Du 18 au 29 novembre 2015, Les Hommes, de Charlotte Delbo. Cartoucherie.
« "Les Hommes" se déroule dans le fort de Romainville, à l’intérieur de la prison dans laquelle un groupe de femmes, arrêtées pour faits de résistance en 1942, vit depuis quelques mois. »
Les hommes sont incarcérés de l’autre côté du bâtiment et ne croisent leurs compagnes, leurs femmes ou leurs sœurs, qu’une fois par jour, lors de la promenade. La pièce met en scène un épisode de la vie carcérale de Charlotte Delbo, avant sa déportation. Elle témoigne de l’effort de survie intellectuelle et affective auquel l’auteur s’est livré dès son arrestation.
http://www.epeedebois.com/un-spectacle/les-hommes/

Charlotte Delbo est née le 11 août 1919 à Vigneux-sur-Seine, dans une famille d’immigrés italiens de tendance anarchiste.
En 1934, elle s’inscrit aux J C (Jeunesses Communistes), suit les cours du soir de l’Université ouvrière et rencontre Georges Dudach, membre du Parti depuis 1933. En 1935, il devient rédacteur de l’Avant-garde, le mensuel des J C. Ils logent dans un petit appartement, 115 rue de Turenne.

« Le 17 mars 1936, à 10h55, en la mairie du IIIème arrondissement de Paris, Georges Paul Dudach, employé de banque, né le 18 septembre 1914 à Saint-Maur-des-Fossés, épouse Charlotte Joséphine Delbo, sténodactylographe. »

Danielle Casanova, femme de l’assistant de Maurice Thorez et Charlotte Delbo sont chargées de créer une structure féminine spécifique, l’UJFF, l’Union des jeunes filles de France, un mouvement communiste, féministe, pacifiste et antifasciste.
En 1937, Georges Dudach devient rédacteur de la nouvelle revue mensuelle des Jeunesses Communistes, Les Cahiers de la jeunesse, dirigée par Paul Nizan.
Charlotte Delbo rencontre Louis Jouvet. Elle le questionne sur le rapport entre théâtre et cinéma. Elle devient sa secrétaire et prend en note ses cours au Conservatoire.

Georges Dudach est mobilisé. Le gouvernement Daladier dissout le PCF.
Charlotte vit dans une petite chambre dans le cinquième arrondissement, 19 rue Cujas. Elle participe aux actions clandestines de l’UJFF. En septembre 1940, Georges Dudach est démobilisé. Roger Ginsburger (Pierre Villon), compagnon de Marie-Claude Vaillant-Couturier, responsable du secteur de l’édition du Parti regroupe des « patriotes » communistes ou non, à l’Université : Georges Politzer, Danielle Casanova, Jacques Salomon, Jacques Decour. Georges Dudach à la tête des Cahiers de la jeunesse, dirige l’appareil technique. En novembre 1940, le premier numéro de L’Université libre paraît.

Aragon et Elsa Triolet se sont réfugiés en zone libre chez leur ami Pierre Seghers. Louis Jouvet est rentré d’exode en septembre 40. Charlotte Delbo part en tournée avec Jouvet en Suisse, puis en Amérique latine. Le 15 novembre 41, elle rentre en France et retrouve son mari. Le Parti leur loue un studio, 93 rue de la Faisanderie dans le XVIème au nom de M. et Mme Delépine. Charlotte Delbo transcrit les émissions de Radio Londres et Radio Moscou. Elle tape les tracts et les journaux clandestins. Elle a loué un local, 14 rue Molière, sous son véritable nom. Georges Dudach entrepose tracts, affiches, revues.

Le 8 novembre 1941, la mère de Georges Dudach, sa sœur et son beau frère, fichés comme communistes, ont été arrêtés pour propagande. Les Brigades spéciales de la police française, héritières des RG prennent de l’ampleur. En février 1942, les arrestations se multiplient. Georges Dudach est fiché par les RG. Charlotte Delbo est dénoncée par un membre de la troupe de Louis Jouvet, depuis l’Amérique latine, fichée comme « propagandiste des théories moscoutaires ».

Plaque Georges Dudach et Charlotte Delbo
93 rue de la Faisanderie, XVIe Paris.
Wikimedia Commons

Au 93, rue de la Faisandrie, dans le 16e arrondissement :
"Ici furent arrêtés le 2 mars 1942 par 5 policiers des brigades spéciales Georges Dudach résistant, mort pour la France et Charlotte Delbo, résistante, déportée à Auschwitz et Ravensbrück. "

Ils sont menottés à leur domicile et conduits au dépôt de la préfecture de Paris. Les hommes sont torturés, Georges Dudach est enfermé à la prison du Cherche Midi. Les femmes sont enfermées puis transférées au dépôt du Palais de justice. Le 29 avril 1942 elles sont déférées devant la Gestapo et remises aux autorités allemandes, à la prison de la Santé. Transférée rue des Saussaies dans les bureaux des brigades spéciales, Charlotte Delbo est interrogée par la Gestapo. Elle reste au secret, puis elle est renvoyée dans les quartiers allemands de la Santé, où des résistants communistes sont guillotinés. Le 23 mai 1942, Georges Dudach part à l’aube pour être fusillé au mont Valérien.

Le 24 août, Charlotte Delbo est transférée avec ses camarades au fort de Romainville. Elle est photographiée, enregistrée, identifiée sous le n° 661. Danielle Casanova et Marie-Claude Vaillant-Couturier organisent un journal clandestin (Le Patriote de Romainville). Marie-Claude Vaillant-Couturier donne des cours d’histoire politique, Charlotte Delbo des cours de théâtre.

Le 22 janvier 1943, Charlotte Delbo et 99 autres femmes sont embarquées dans des cars pour Compiègne. Elles passent deux jours au camp de Royallieu, camp de transit avant la déportation en Allemagne. Elles sont 230.
Le matin du 24 janvier 1943, elles partent pour la gare de Compiègne dans des camions ouverts, avec un pain de son et d’un morceau de saucisson.
1 200 hommes du camp de Royallieu ont passé la nuit dans quatorze wagons sur une voie de garage, à l’écart. Quatre wagons de femmes, au sol recouvert de paille, un baril de goudron en guise de tinette. Les wagons sont plombés. Première nuit à Metz ; à Weimar, soupe d’orge ; 2ème nuit à Halle, en Saxe, -30°C.

Les wagons des hommes partent pour Sachsenhausen. Le train repart pour Auschwitz. Les femmes politiques étaient dirigées en principe sur Ravensbrück sauf le convoi du 24 janvier 1943 dit « convoi des 31000 », appelé ainsi en raison des matricules attribués à l’arrivée.

Danielle Casanova, dentiste, est conduite au Revier "hôpital" où elle aidera ses camarades. Marie-Claude Vaillant-Couturier traduit les ordres des SS. Le 3 février, elles sont photographiées, fichées ; le 12, elles sont déplacées dans le Block 26, un millier de femmes de toutes nationalités. Après l’appel du matin, elles travaillent onze heures dans des Kommandos. Le 9 mai Danielle Casanova meurt du typhus.

En mai 1943, un sous-camp est construit à Rajsko, à quelques kilomètres d’Auschwitz. Charlotte Delbo et ses amies font l’aller-retour entre Birkenau et Rajsko, matin et soir, pendant 3 mois. Un orchestre féminin les accompagne, lorsqu’elles passent le portail. En juillet, les dortoirs sont construits à Rajsko, elles vivent dans de meilleures conditions. 

Fin juillet, les Françaises survivantes de Birkenau sont mises en quarantaine sur ordre de Berlin. À Rajsko, Charlotte Delbo monte Le Malade Imaginaire le 26 décembre. Peu de temps après, elles sont transférées à Ravensbrück, 15 000 prisonnières, début 1944, en provenance de toute l’Europe. L’industrie allemande se fournit en main d’œuvre. Un secteur industriel doté d’ateliers de fabrication fut aménagé dans l’enceinte du camp. L’entreprise Siemens & Halske fit construire aux abords du camp 20 halles de production. Après l’appel, il arrive que des industriels ou leurs contremaîtres sélectionnent des détenues pour les usines de travaux forcés à Ravensbrück, les mines de sel du camp de Beendorf [1], les usines d’armement de Mauthausen.

Le crématoire de Fürstenberg est utilisé jusqu’en 1943, date à laquelle un crématoire est édifié dans le camp, puis à partir d’octobre 1944, une chambre à gaz est construite et le crématoire agrandi. 5 000 à 6 000 détenus sont assassinés de janvier à avril 1945.

Peu à peu les 52 survivantes des 31 000 sont séparées. Le 7 janvier 1945, les cinq amies les plus proches de Charlotte Delbo sont transférées au camp de Beendorf dans une usine de fabrication de missiles V1, installée dans une mine de sel [2].

Deux mois plus tard, 33 survivantes du convoi des 31000 partent pour Mauthausen. Elles ne sont plus que 10 à rester à Ravensbrück. Charlotte Delbo fabrique des petites pièces destinées aux radios dans l’atelier Siemens.
Le 15 avril, les Françaises et les Belges sont rassemblées sur la Lagerplatz, puis contre-ordre. Le dimanche 22 avril, nouveau rassemblement. Un colis de la Croix-Rouge leur est remis. Contre-ordre.
Le 22 avril 1945, les trente Françaises du convoi des 31000 venant de Ravensbrück, encore en vie à Mauthausen, sont libérées et sont rapatriées par la Suisse, le 30 avril 1945, en train, à Paris.

Le 23 avril 1945, les huit des 31000 encore à Ravensbrück, dont Charlotte Delbo, sont libérées ainsi que la presque totalité des autres Françaises encore dans ce camp. Les camions de la Croix- Rouge les conduisent à Padborg [3] à la frontière germano-danoise, puis elles arrivent à Copenhague en train le 27 avril et à Malmö en Suède, par ferry-boat. Elles sont transférées à Trelleborg (Suède), au bord de la Baltique puis rapatriées le 23 juin en avion au Bourget.

Charlotte Delbo reprend sa place de secrétaire au théâtre. Elle témoigne dans le cadre de l’instruction des procès des inspecteurs des Brigades spéciales. Le 9 février, elle est acceptée dans une maison de repos en Suisse, à Mont-sur-Lausanne. Elle écrit  Aucun de nous ne reviendra  et ne le montre à personne pendant dix-neuf ans, jusqu’en 1965.

Le 8 avril 1947, elle travaille à l’ONU, à Genève, comme secrétaire de séance. Elle obtient une pension de veuve de guerre. Elle est pensionnée au titre de déportée politique, puis de déportée résistante. Elle recherche le corps de Georges Dudach qui repose désormais dans le carré communiste du Père-Lachaise.
A partir de janvier 1949, elle est déléguée en tant que secrétaire en Grèce, Palestine, Israël, Turquie, Syrie, Égypte, Chypre. Le 16 août 1951, Jouvet meurt d’un infarctus dans son bureau de l’Athénée.

Serge Samarine, poète et écrivain, chef du service des interprètes de l’ONU lui donne des cours de russe. Après leur séparation, elle entre dans une clinique pour une cure de sommeil.
Elle devient l’assistante d’Henri Lefebvre, chercheur au CNRS, exclu du PC en 1957 pour avoir critiqué le stalinisme. Elle le suit à Strasbourg, puis en 1963, à Nanterre. Elle écrit régulièrement dans la Revue française de sociologie. Révoltée par la guerre d’Algérie, elle ne rejoint aucun réseau, mais transporte des déserteurs ou des Algériens entre Paris et la Suisse, prête son appartement parisien.

Au CNRS, Andrée Michel sociologue, féministe, résistante contre la guerre d’Algérie, militante du réseau Jeanson, l’introduit auprès de Colette Audry, éditrice, qui publie  Aucun de nous ne reviendra chez Gonthier. Le convoi du 24 janvier paraît aux Éd. de Minuit en 1965. Puis elle raconte Rajsko, Ravensbrück, le retour. Elle réunit le tout : Une connaissance inutile. Jérôme Lindon la publie aux Éd. de Minuit. Mesure de nos jours paraît en 1971.
Elle donne des conférences sur son œuvre dans des Universités américaines. Entre 1974 et 1977, elle publie cinq pièces chez Pierre-Jean Oswald, éditeur de théâtre.
« Voilà ce qu’un écrivain peut tirer de ce qui s’est passé ».
En 1982, elle publie La Mémoire et les jours.

Elle meurt à l’Hôtel-Dieu dans la nuit du 1er mars 1985. Elle repose à Vigneux auprès de ses parents.

Dominique Dufourmantelle, janvier 2014

Charlotte Delbo de Violaine Gelly, Paul Gradvohl, Fayard, 2013, 324 p.

Médiagraphie

- DELBO Charlotte, Auschwitz et après. I, Aucun de nous ne reviendra, Paris, Éditions de Minuit, Coll. Documents, 1970, 182 p.
- DELBO Charlotte, Auschwitz et après. II, Une connaissance inutile, Paris, Éditions de Minuit, Coll. Documents, 1970,191 p.
- DELBO Charlotte, Auschwitz et après. III, Mesure de nos jours, Paris, Éditions de Minuit, Coll. Documents, 1971, 214 p.
- DELBO Charlotte,Le convoi du 24 janvier, Paris, Éditions de Minuit, Coll. Grands Documents, 1965, 303 p.

DUNANT Ghislaine, Charlotte Delbo. La vie retrouvée, Grasset, 2016, 608 p.
Charlotte Delbo, résistante, écrivain de la déportation, par Ghislaine Dunant

Ida Grinspan amie de Charlotte Delbo
Ida Grinspan 1929-2018, une biographie

PC N°27 – Charlotte Delbo, résistante, écrivain de la déportation. Conférence de Gisèle Dunant, témoignage d’Ida Grinspan. Articles de M. Braunschweig, D. Dufourmantelle, M-P. Hervieu. En hommage à Ida Grinspan, 2018, 91p.

Petit Cahier / 2e Série – N°21, Octobre 2014, Marie-Claude Vaillant-Couturier, Déportée à Auschwitz-Birkenau et à Ravensbrück, Témoin au procès de Nuremberg, Conférence-débat du 13 décembre 2012 : conférence de D. Durand ; témoignages oraux de M. Cling, R. Créange, M. Martin-Chauffier ; textes de M. Braunschweig, I. Danon, D. Dufourmantelle, M-P. Hervieu ; témoignages écrits de M-J. Chombart de Lauwe, S. Franck-Floersheim, G. de Gaulle-Anthonioz. (A commander au Cercle d’étude)

Film :
L’histoire du Convoi du 24 janvier 43-Auschwitz-Birkenau, de Claude-Alice Peyrottes et Alain Cheraft.

Le sel de la mine - De Lyon à Beendorf, Dr Raymonde Guyon-Belot, Préface de Michel Noir, Éditions France-Empire, 1990, 290 p.

Björn Kooger : "Helmstedt-Beendorf („SS-Arbeitslager A3“)". In : Wolfgang BENZ, Barbara DISTEL (Hrsg.) : Der Ort des Terrors. Geschichte der nationalsozialistischen Konzentrationslager. Band 5 : Hinzert, Auschwitz, Neuengamme. C.H. Beck, München 2007

https://www.kz-gedenkstaette-neuengamme.de/geschichte/kz-aussenlager/aussenlagerliste/helmstedt-beendorf-frauen/

Théâtre :
"Je reviens de la vérité", ainsi qu’une biographie de Charlotte Delbo :
http://www.cercleshoah.org/spip.php?article167

L’association « Terre du ciel Paris » présente Charlotte Delbo (1913-1985) « Je reviens de la vérité ». Conférence de Violaine Gelly (une biographe de Charlotte Delbo) et lectures par Claude Alice Peyrottes. 26 Novembre 2014 à 19h30 au Forum 104, 104, rue de Vaugirard - 75006 Paris - M° St Placide, Montparnasse, Duroc

Centenaire :
http://delbo.gandi.ws/centenaire

Marie, “Mariette”, et Simone, “Poupette”, Alizon – 31777 et 31776 :
http://www.memoirevive.org/marie-mariette-et-simone-poupette-alizon-31777-et-31776/

http://www.charlottedelbo.org/

Janvier 2014- 2018

[1elles travaillent pour les usines Askania-Werke AG et Luftgerätewerke Hakenfelde (groupe Siemens)] sous-camp de Ravensbrück, puis en 1944, le camp dépend de Neuengamme (un des 85 Außenlager du KZ Neuen­gamme)

[2Le camp est nommé “Helmstedt-Beendorf A3”. Les noms de camouflage sont Bulldogge pour l’usine dans la mine Marie et Hiltis (Putois) pour l’usine dans la mine de Bartensleben.
http://kz-beendorf.hebfree.org/traducteurla-chronologie-de-lhistoire.html

[3Pattburg en allemand, située au Danemark