Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah

Hommage à Devi Tuszinski

poète et « Prince de la miniature »
dimanche 26 octobre 1997

« Parce qu’on a tranché un morceau de ma vie, je la chante en cantiques, en oiseaux, en étoiles » Devi Tuszinski

Devi Tuszinski, poète et « Prince de la miniature », est né en 1915 à Brzeziny ; il dessine dès l’âge de 6 ans. Il existe chez lui une tradition, son grand-père illuminait les parchemins. Il est distingué par de nombreux prix dès 1923. En 1939, il prend part à la défense de Varsovie, puis se retrouve dans divers camps de travaux forcés pendant l’occupation de son pays.
Tous ses proches sont passés par le ghetto et les camps de concentration, dont sa sœur et ses trois frères - Moniek, y fut exterminé à 13 ans à Auschwitz (cette blessure ne s’est jamais refermée, voir son poème dans un numéro précédent). A Brzeziny, on a utilisé de la terre mêlée d’os pour construire des maisons - et à Plock, où il a vécu sa jeunesse, tout avait été détruit, il n’a pas retrouvé une maison, un souvenir.
A la Libération, en Allemagne, il participe à la rédaction du premier journal juif de l’après-guerre... et le voilà arrivant à Paris en 1947, à pied. Il y connaît d’abord l’asile de nuit. « Nulle part au monde le pain que je mange à Paris ne pourrait avoir un tel goût de gâteau... ». Il continue à y étudier l’art, y œuvre en tant que miniaturiste, et y enseigne le dessin à la Fédération des Sociétés Juives de France. Il illustre des œuvres littéraires (Cholem Aleïchem), en particulier des poètes, dont Paul Fort ; il a conçu une vingtaine d’ouvrages artistiques et publié un ouvrage autobiographique « Feuille de Limba ». Des films (dont celui de Nina Behar, visible au musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme), articles et essais lui ont été consacrés, nous possédons un entretien sur cassette de lui à l’Amicale. Parmi ses titres, une somptueuse « Histoire d’Esther », « Bestiaires », « Ballade du Bien et du Mal ». Son dernier grand œuvre magnifia les « Psaumes » du Roi David, qui nécessitèrent 25 ans de travail minutieux, inspiré de la très ancienne technique de la micrographie. Il y a associé des miniatures ressuscitant la vie du shtetl en un lamento à l’image de Job.

Il a exécuté des affiches, des décors, des costumes de théâtre, des objets en bronze, cuivre, des vitraux, des découpages, des « ketuboth » (contrats de mariage). Parmi ses amis, il compta Van Dongen, Dali, Chagall, Léger, Zadkine, Mané-Katz, P. Fort, André Maurois. Le nombre impressionnant d’expositions auxquelles il participe, les innombrables distinctions qu’il reçoit, la place de ses œuvres dans tous les grands musées du monde, confirment la place qu’il occupe parmi les artistes du xxè siècle. Ce n’est que 30 ans après la guerre qu’apparaît la couleur dans son œuvre. L’encre y est parfois allongée de sucs de fleurs, de traits d’or et d’argent. Il y juxtapose, dans une spiritualité poétique, les éléments en présentation optique simultanée, il fait voltiger ses compositions en rondes, renverse la position normale des sujets et des objets dans de tendres univers remplis d’échos d’enfance. « La miniature, c’est comme un poème par rapport à un roman » ; " Si je fais des miniatures, c’est que j’ai été choisi par elles ». Son style foisonne d’animaux, symboles du bien et du mal, avec des visages mêlés dans leurs entrelacs et des tours royales réminiscentes de la ville de son enfance. Son univers, relié à une tradition arabe et persane, d’inspiration onirique, puise ses allégories et sa syntaxe au sein de la Kabbale, des signes du Zodiaque, de la Bible, de l’architecture gothique ; y domine la symbolique de la foi juive, dans une atmosphère de conte populaire, œuvre à la foi savante et naïve « où viennent se marier les fantasmes d’un Orient de rêve, le romantisme lyrique, l’ambiguïté exotique d’un univers dont les formes subtilement sensuelles se cloîtrent volontairement ». (M. Politi). Il est « miniaturiste avec grandeur ».

« Mes miniatures, c’est ma langue pour évoquer le passé, pour faire revivre leurs visages, les maisons, les ruelles, les arbres, les chèvres et les oiseaux, les pierres et les nuages, avec l’espoir du monde sans haine [...]. Mon jardin de paradis a disparu. » S’il a « survécu au prix de mille miracles » c’est « pour montrer la lumière, car l’ombre, on la voit tout seul ». « Explorateur du vrai » (D. Béresniak) « II voyage entre la terre et la lune ; c’est un poète du blanc et du noir. Il est le maître de ses caprices. C’est un joaillier de l’encre de Chine ». (E.Gorbitz).

Voilà, je n’aurai plus jamais le plaisir et l’honneur de faire de la poésie avec lui. Et ne m’avait-il pas parfois demandé l’impossible ? De « corriger » son français ?... Je remercie chaleureusement la Bibliothèque du musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme et Isabelle Rozenbaumas, qui m’a ouvert son précieux et volumineux dossier sur Devi, qu’elle voyait apparaître presque journellement. Enfin, nous pensons tout particulièrement à Ada, celle que je l’entendais appeler avec ferveur « son étoile... ».

FRANÇOISE VALLETON, paru dans Après Auschwitz n° 286 p. 7

Je vous chante

Parce que je ne peux jamais rire de tout mon cœur
Je dessine des choses gaies
Parce que l’on a supprimé ma joie
Je dessine le soleil
Parce que j’ai entendu tant de cris
Je joue du violon pour les couvrir
Parce que ma maison est détruite
Je construis des palais et des châteaux,
Parce que je ne verrai plus ma mère, mon père,
Mon frère brûlé vivant,
Je raconte les ballades de la feuille, des fleurs
Des arbres jamais vus,
Jamais touchés, jamais sentis
Parce qu’on a tranché un morceau de ma vie
Je la chante en cantiques, en oiseaux, en étoilesv
En noir, avec les larmes de ma nuit
Avec la lune de mon cœur
Avec l’aube de mon cri
Je vous chante

Poème paru dans Après Auschwitz n° 265, janvier 98

http://www.zchor.org/tuszynsk.htm


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